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N51 - Photos / Dossiers de photos
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2014-06-01
11e Journée du Patrimoine culturel immatériel. Photos
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2014-05-25
Congo. Chants et danses des Pygmées Aka. Photos
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2014-04-18
Iran. Maede Tabatabai Niya. Photos
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2014-04-17
Iran. Pantea Alvandipour. Photos
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2014-04-12
Sénégal. Papa Djimbira sow. Photos
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2014-04-06
Espagne. Trovo des villes, trovo des champs. Photos
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2014-04-04
Irak. Les taqâsîm d'Omar Bashir. Photos
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2014-03-28
Egypte. Chantres coptes. Photos
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2014-03-22
Vietnam. Le Don ca tai tu. Photos
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2014-03-20
Vietnam. Le Ca tru. Photos
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2014-03-15
Maroc. Cheikha Hadda Ouakki. Photos
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2014-03-07
Corée. Arirang. Photos
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2013-06-08
Japon. Kyôgen. Photos
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2013-06-29
Turquie. Sema, cérémonie soufie des Mevlevi. Photos
Mieux connu en Occident sous le nom de derviches tourneurs, l’ordre soufi des Mevlevi fut l’union avec le divin. La danse comprend quatre grandes parties, salam ou « saluts », correspondant à quatre états de l’âme humaine : soumission au créateur, questionnement, amour, acceptation. L’ensemble instrumental accompagnant la cérémonie comprend les instruments originels du rituel, la flûte oblique ney, image du souffle vital, le tambour sur cadre bendir, les timbales kudüm et les cymbales halile, auxquels ont été ajoutés au XIXe siècle des instruments de la musique savante ottomane tels que le luth à manche long tanbur et la cithare kanun. Les chants ayin sont organisés en répertoires selon le mode mélodique dans lequel ils sont chantés : ici, le mode bayati. Situé à deux pas du palais de Topkapı, le couvent de Silivrikapı perpétue l’héritage de l’ancienne communauté de Galata, à Istanbul. Signe des temps, son chef spirituel Hasan Dede, 78 ans, a introduit voici une vingtaine d’années les femmes au sein de la cérémonie, renouant avec une coutume qui s’était perdue au XVIIIe siècle. Loin d’une reconstitution historique qui se voudrait l’image fantasmée d’un soufisme d’avant la révolution laïque d’Atatürk, cette cérémonie nous présente la réalité d’une communauté aujourd’hui, telle qu’elle se rassemble tous les jeudis soir pour suivre l’enseignement de son maître et célébrer le zikr et le sema. -
2013-06-14
Mali. Les Dogon. Photos
Il est venu de l’est ! Le masque est venu de l’est ! Le chemin est tout droit, allez-y ! Vous ne pouvez pas vous perdre. C’est le chemin des morts, suivez-le ! [chant d’entrée des masques] Le peuple dogon vit enclavé dans une région rocheuse du centre du Mali, entre plaine et plateau. La plus grande partie vit dans des habitations accrochées à la falaise de Bandiagara qui s’étend entre quatre cents et neuf cents mètres d’altitude sur plus de deux cent cinquante kilomètres, mais aussi sur le plateau et dans la plaine. Venus du pays Mandé, à cheval sur l’actuelle frontière du Burkina Faso et du Mali, au XIIIe ou au XIVe siècle, semble-t-il pour échapper à l’islamisation, ils s’installèrent dans une zone auparavant occupée par les Tellem dont ils transformèrent les anciennes habitations troglodytiques en tombeaux et bâtirent des villages en banco ponctués par des greniers à mil au toit pointu. L’ethnologue Marcel Griaule fut un des premiers à révéler une partie de leur cosmogonie. Il semblerait qu’une cohérence remarquable s’établisse entre le langage, la musique et la danse, l’architecture, le tissage, les masques, le comportement des vivants et le culte des morts. Les Dogon, chasseurs et pêcheurs, cultivent le mil, le maïs, l’arachide, le coton et, depuis quelques décennies, de petits jardins d’oignons. La musique et la danse religieuses des Dogon sont liées à un calendrier saisonnier pendant lequel sont pratiqués les rites des ancêtres, les rites funéraires et les rites agraires. Un événement extraordinaire rythme la vie de l’homme dogon : le sigi. Il s’agit d’un grand rituel de régénération pratiqué tous les soixante ans, approximativement la période de révolution de Po Tolo, l’Étoile du commencement, autour de Sirius, et qui dure six à sept années. La danse et la musique du sigi sont confiées à l’awa, une société initiatique masculine chargée également d’accomplir les levées de deuil ou dama, moment central des rites funéraires. Tous les deux ou trois ans, lorsque plusieurs personnes sont mortes dans un ensemble de villages, se déroule le dama, cérémonie du départ de l’âme au cours de laquelle dansent les masques. Chorégraphie processionnaire dans les lacis étagés des villages, le dama est entrecoupé de stations dans les différentes places. Il peut durer une demi-journée ou une semaine entière. Un par un, les membres de l’awa apparaissent, portant des masques de bois peints de couleurs vives et des cagoules-muselières d’étoffe ornée de cauris. Ils forment un cercle entre les maisons des morts avant que l’un d’eux ne vienne occuper le centre par une danse acrobatique. La ronde se brise ensuite et les masques interviennent par couple ou bien un à un. Tout d’abord vient la « sœur des masques » Satimbe, surmontée d’une marionnette de 60 cm de hauteur, aux bras écartés. Elle représente la femme qui utilisa la première les fibres rouges pour se masquer et effrayer les hommes. Ceux-ci lui reprirent les fibres, affirmant ainsi leur autorité, mais lui donnèrent le nom de Satimbe, sœur des masques. Ensuite, selon un ordre variable, arrivent des types humains et sociaux : les jeunes femmes bambara et peule au visage couvert de cauris, une jeune fille dogon montée sur des échassses, le chasseur, le goitreux (un mal répandu du fait de la carence en iode), le colporteur, le guérisseur chargé de purifier l’espace rituel, un Peul ; des animaux : coq, poule de rochers, lièvre, buffle, hyène reconnaissable à son masque à pois, babouin ; masques ésotériques enfin, comme le kanaga dont la signification demeure incertaine, les initiés conservant jalousement leurs secrets : outarde komolo tebu pour les uns, antilope pour d’autres, symbole cosmique pour les derniers, et enfin le sirige, la « maison à étages », siège du lignage patrilinéaire, figurée par une planche de plusieurs mètres de haut colorée de graphismes blancs et noirs. Chaque danseur possède un vocabulaire chorégraphique qui correspond à son masque. L’agilité prodigieuse des participants permet de reconnaître des mouvements tels que réception sur un pied, ressort sur une jambe, envolée, pas glissés, écartements, tremblement des membres, rebondissement. Le tout ponctué de glapissements à la manière du chacal, personnage central de la mythologie dogon. À chaque masque correspond aussi un chant et un rythme, parfois deux. L’ensemble musical est composé de voix et de percussions diverses qui vont toujours par paires. Les tambours cylindriques à deux peaux, dont une seule des deux faces est frappée avec deux baguettes courbes : boy na (le grand) et boy tolo (le petit), et les tambours d’aisselle à tension variable gom boy forment le cœur rythmique de la musique des masques. Les voix se répartissent entre plusieurs solistes qui entonnent le chant tour à tour, un chœur qui leur répond et des crieurs qui lancent à intervalles irréguliers des cris d’animaux pour encourager les musiciens et les danseurs et marquer peut-être la présence des esprits des masques. Les danseurs et les musiciens appartiennent à la société initiatique awa de la commune de Sangha. Ce groupe de villages perchés sur le plateau dogon est considéré comme la capitale culturelle du pays dogon en raison notamment de ses liens historiques avec les anthropologues Marcel Griaule, Germaine Dieterlen et Jean Rouch. Il n’est pas possible de dire à l’avance dans quel ordre sortiront les masques. On laissera donc le spectateur les reconnaître à partir des photographies reproduites dans ce programme. -
2013-06-08
France, Bretagne. Fest-noz. Photos
Le fest-noz, mot breton signifiant «fête de nuit», a pour origine une pratique rurale ancestrale consistant à se rassembler après des travaux collectifs pour des soirées de danse accompagnées de chants ou de musiques instrumentales. Tombé en désuétude après la seconde guerre mondiale, le fest-noz devra attendre quelques décennies avant de connaître une renaissance, profitant du succès de la musique celtique portée par Alan Stivell. Beaucoup de jeunes découvrent la musique et la danse bretonnes et s’en emparent : le fest-noz devient une manifestation urbaine. De nombreuses associations en organisent parfois dans un but militant ou même lucratif. Ce premier effet de mode passé, ces rassemblements se raréfient à la fin des années 1970. Toutefois, au cours des années 1980 et 1990, musiciens et danseurs bretons se réapproprient leur culture en l’approfondissant et en la consolidant, et le fest- noz retrouve une grande popularité à la fin des années 1990. Ce fort mouvement culturel breton préservera la vitalité de cette pratique et assurera le renouvellement de ses répertoires de musique et de danses qui comptent plusieurs centaines de variantes et des milliers d’airs. En effet, si la transmission traditionnelle s’effectuait par immersion, observation et imitation, le travail de collectage réalisé par des centaines de passionnés a permis de recueillir de nombreux répertoires et de jeter les bases de nouveaux modes de transmission. Environ un millier de fest-noz ont lieu tous les ans, certains pouvant attirer jusqu’à plusieurs milliers de musiciens, chanteurs et danseurs. Aujourd’hui, le fest-noz est au centre d’un intense bouillonnement d’expériences musicales et a généré une véritable économie culturelle. De nombreuses rencontres ont lieu entre chanteurs, musiciens et danseurs de Bretagne et d’autres cultures, et l’essor du fest-noz est devenu dans de nombreux villages un moyen d’intégration efficace. Ce fest-noz au Théâtre équestre Zingaro rassemble les acteurs les plus reconnus en Bretagne et témoigne de la diversité des expressions que l’on peut y entendre. De la formule orchestrale récente, représentée ici par le groupe Loened Fall – centré autour de la voix de Marthe Vassallo et de Ronan Guéblez – aux formes plus anciennes, qui rappellent tous les week-ends leur modernité, à savoir les couples de chanteurs Erik Marchand / Ifig Troadeg pour la Basse Bretagne et Mathieu Hamon / Charles Quimbert pour la Haute Bretagne, sans oublier les sonneurs du pays vannetais Hervieux père et fils, le joueur de vielle Michel Colleu et l’accordéoniste Pierrick Cordonnier. -
2013-05-30
Corée. Le Gagok. Photos
Le gagok est sans nul doute ce que la culture coréenne a produit de plus délicat et de plus raffiné en matière de musique vocale. Loin des formes populaires friandes d’émotions fortes et de celles de cour, hiératiques et figées, le gagok illustre l’art des lettrés, exquis et discret, imaginatif, économe et élégant, un art de salon pour un public choisi, cultivé et mélomane. Il se caractérise par son hiératisme, une sorte de récitation modulée en voix de tête, chaque nuance étant mise en valeur par le tissu sonore de l’orchestre qui allie les sons percussifs du tambour en sablier janggu et des cithares geomungo et gayageum avec les sons fluides et continus de la flûte daegeum, de la vièle haegeum et du hautbois cylindrique piri. Le gagok est apparu vers le xviie siècle et son répertoire fut fixé lorsqu’il fut introduit au palais pour compenser le déclin des musiques de cour, causé par les invasions japonaise et mandchoue. Le gagok est un chant lyrique accompagné par un ensemble d’instruments à vent et à cordes. Il était très apprécié des lettrés et des aristocrates au temps de la dynastie Joseon (1392-1910). Le répertoire de gagok comprend vingt-sept chants qui se répartissent en fonction du sexe de l’interprète et de la performance : le cycle de gagok pour homme seul comprend 24 chants, celui pour femme seule, appelé yeochang, comprend 15 chants, enfin le cycle pour homme et femme alternés en comprend 27. Dans ce nombre, seul un chant, Taepyeongga, est interprété en duo mixte en clôture de cycle. Ces concerts sont consacrés au cycle pour femme seule, le yeochang. De même, neuf chants sont composés dans le mode mélodique ujo (ou pyeongjo) bâti sur l’échelle pentatonique anhémitonique (ré-mi-sol-la-si), dix-sept dans le mode gyemyeonjo, particulièrement expressif et structuré autour du tricorde ré-sol-la auquel s’ajoutent des notes secondaires, et un chant alterne les deux modes. Les pièces sont enfin classées selon des styles définis par le registre et le mouvement général de la mélodie : isudaeyeop, junggeo, pyeonggeo, dugeo, banyeop, pyeongnon, urak, hwangyerak, gyerak, pyeonsudaeyeop, taepyeongga. Ainsi, chaque pièce de gagok est identifiée par un titre, son mode et son style. Chaque poème comprend trois vers ou distiques, chacun se composant de quatre groupes de trois à cinq syllabes. L’exécution musicale cependant n’épouse pas la forme du poème puisqu’elle le subdivise en cinq parties mélodiques encadrées par des passages instrumentaux. Après un prélude instrumental, le premier vers ou distique forme les deux premières sections ; le second, la troisième section ; vient ensuite s’intercaler un interlude instrumental, suivi du premier groupe de syllabes du troisième vers qui forme la quatrième section, et le reste du vers, la cinquième. Le gagok est accompagné par un petit ensemble instrumental à géométrie variable comprenant les cithares geomungo et gayageum, la flûte daegeum, le hautbois piri, la vièle haegeum et le tambour janggu. Quoique mal connu à l’étranger, le geomungo est considéré par les Coréens comme leur principal instrument de musique ; il s’agit d’une cithare à six cordes en soie et munie de frettes et de chevalets ; son origine remonte au royaume de Goguryeo à la fin du ive siècle. Beaucoup plus connu, le gayageum est une cithare à douze cordes en soie et à chevalets ; cousine du guzheng chinois, du koto japonais et du yatag mongol, elle fut inventée au vie siècle dans le royaume de Gaya sur le modèle du guzheng ; c’est sur cet instrument que fut créé à la fin du xixe sièce un genre majeur de la musique instrumentale coréenne, le sanjo. Le daegeum est une grande flûte traversière en bambou dont le timbre se cuivre parfois grâce à la vibration d’un mirliton. Le haegeum est une vièle à deux cordes en soie au timbre feutré et délicat. Le piri est un hautbois à perce cylindrique et au timbre délicat très utilisé dans la musique de cour. Le janggu, facilement reconnaissable à sa forme en sablier, est le tambour coréen le plus répandu. Tous les instruments jouent la même mélodie mais chacun lui applique un mode de rubato différent de sorte que les notes ne tombent pas toujours ensemble. Il en résulte une impression de strates superposées, d’épaisseur hétérophonique faite de timbres mélangés et mouvants. La chanteuse oscille entre la voix de poitrine (sokcheong : voix intérieure) et la voix de tête (seseong : voix fine) et développe sa mélodie en longues notes tenues, filées ou finement ornementées. Dans cet enchaînement de mélismes d’une exquise délicatesse, le poème éclate, le sens s’abolit, ne reste que la musique. Les quinze chants féminins yeochang qui constituent l’un des deux pans du répertoire de gagok sont présentés ici dans leur intégralité, répartis sur les deux soirées qui se terminent, comme le veut la tradition, par l’unique chant mixte du répertoire, Taepyeongga, interprété par Kim Young- gi et Kim Dae-yoon. Le gagok a été inscrit en 2010 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. -
2013-04-26
Irak. Le maqâm de Bagdad. Photos
Le maqâm irakien est le fruit d’un long brassage de civilisations et plus particulièrement des traditions arabe, persane et turque. Cet art essentiellement vocal et poétique est organisé en suites modales, composées de pièces vocales et d’interludes instrumentaux selon un principe général qui prévaut depuis des siècles dans presque tout le monde islamique, depuis la nûba maghrébine à l’ouest jusqu’au muqâm ouïgour aux confins de la Chine. Le maqâm irakien se subdivise en trois grandes traditions, celle de Bagdad (al- maqâmât al-baghdâdîyya) et celles de Mossoul et de Kirkouk. Chaque suite ou maqâm est fondée sur l’enchaînement de modes musicaux, de rythmes spécifiques et de formes poétiques selon un ordre établi par la tradition. Elle se compose généralement de deux parties. La première débute par une pièce instrumentale muqaddima ou par une improvisation instrumentale en solo taqsîm suivie d’un tahrîr, partie vocale non mesurée et chantée sur un ou quelques mots seulement. Puis s’enchaînent plusieurs passages chantés de rythme libre ou des pièces vocales entrecoupées de mélodies instrumentales. La première partie se conclut enfin par une cadence djalsa. Le seconde partie comprend une ou plusieurs meyana (parties médianes) chantées dans le registre supérieur renforçant, par contraste, l’effet dramatique, et qui alternent avec des passages chantés et des pièces vocales entrecoupées de refrains instrumentaux teslim, de ritournelles dulab ou d’improvisations taqsîm. Puis le maqâm se conclut sur un rythme plus alerte par des chansons citadines peste ou rurales abûdhîyya. Le chanteur, appelé qari’ (récitant), a toute liberté de puiser dans l’immense corpus poétique, que ce soit en arabe littéraire ou en dialecte de Bagdad, à condition de respecter la forme imposée et de préserver l’intelligibilité du poème tout en l’embellissant par son chant. Le poème éclate donc sous l’effet des parties musicales qui se succèdent et des passages instrumentaux insérés entre les vers ou les stances, le maqâm est donc avant tout une musique expressive, aux couleurs nostalgiques ou dramatiques, accentuées par diverses techniques ornementales dont une sorte de huchement ou de sanglot, que Hamed Al Saadi est aujourd’hui l’un des seuls à avoir conservé. Deux chanteurs ont marqué l’art du maqâm au XXe siècle : Muhammad al-Gubantchi (1901-1989) et Yusuf Omar (1918-1987). Hamed Al Saadi fut le principal disciple de Yusuf Omar et peut à bon droit se considérer comme son héritier. Le style du maqâm est aux antipodes de celui des musiques d’Égypte ou du Proche Orient. Le timbre est tout sauf brillant, on affectionne au contraire un chant légèrement voilé, presque rauque, marqué par de subtiles hésitations. Il est soutenu par le son plaintif de la petite vièle djozé, les frappes un peu fragiles de la cithare à cordes frappées santûr et des percussions au jeu sobre, dénué d’esbrouffe : un tambour tabla et un tambourin à sequins riqq ou daff zindjari, parfois une paire de petites timbales naqarat. Récemment, nombre de chanteurs influencés par la chanson égyptienne ont en partie abandonné ce style ainsi que les instruments du tchalghi baghdadi traditionnel au profit du violon, du nây et du ‘ûd. Hamed Al Saadi demeure quant à lui fidèle à l’équilibre sonore du tchalghi et à l’héritage de ses maîtres, héritage qu’il a consolidé, enrichi de son apport personnel et qu’il transmet aujourd’hui au sein du conservatoire de Bagdad. Art savant autrefois chanté dans les cafés, lieux d’échange et de détente mais aussi de spectacle et de transmission de la tradition, le maqâm touchait tous les milieux : populaire, bourgeois, aristocratique. Avec la disparition des cafés, il s’est transporté dans les soirées privées, plus bourgeoises, et c’est là qu’il survécut jusqu’à l’orée des années 90. Les guerres, les embargos ont failli le faire disparaître, éparpillant chanteurs et musiciens un peu partout dans le monde arabe et à l’étranger. Quelques artistes ont cependant assuré sa préservation et sa diffusion. Hamed Al Saadi est de ceux-là. Il n’a pratiquement jamais quitté l’Irak et c’est de là qu’il vint en 1998 donner ses premiers concerts en France, à la Maison des Cultures du Monde. En 2003, le maqâm irakien a été inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, mais beaucoup d’efforts restent à faire pour préserver ce fleuron des musiques orientales. -
2013-04-22
Chine. Le muqam des Dolan. Photos
UNE MUSIQUE DE RÉJOUISSANCE Aux confins du désert du Taklamakan (Chine), l’étonnante tradition de la musique ouïgoure frappe par sa liberté et sa vigueur. Le Xinjiang est un immense territoire situé au nord-ouest de la Chine. Cet univers impressionnant de déserts, de rivières et de glaciers est le berceau d’une civilisation turque issue des Huns, les Ouïgours, dont l’existence est attestée sous la forme d’une confédération clanique dès le Ve siècle de notre ère. Tour à tour chamanistes, bouddhistes, manichéistes et enfin musulmans, les Ouïgours vont utiliser deux systèmes d’écriture, et à ce titre, s’affirmer dès le IXe siècle comme les civilisateurs de leurs voisins turco-mongols. À la même époque, des musiciens ouïgours jouent à la cour impériale des Tang. Mais c’est cinq siècles plus tard, sous l’influence de la culture islamique et persane, que commence à fleurir dans les cités de Kashgar, Yarkand et Tourfan un art vocal, instrumental et poétique savant, tandis que des formes rurales et populaires voient le jour à Kumul et chez les Dolan. Sous-groupe ouïgour se réclamant d’une origine mongole, les Dolan occupent les oasis bordant le sud et l’ouest du désert du Taklamakan et tirent leur subsistance de l’élevage de moutons et de l’agriculture. Leur musique, le dolan muqam, est avant tout une musique de fête et de réjouissance jouée lors des mashrap. Ces grands rassemblements festifs et ritualisés se déroulent après les récoltes, pour un mariage, une circoncision ou tout autre événement heureux, et sont l’occasion de festoyer, de faire de la musique, de danser et de jouer à divers jeux de société et d’adresse. La fête se déroule dans un grand espace carré, les musiciens occupant l’un des quatre côtés et les danseurs évoluant au centre. L’ensemble se compose de chanteurs solistes (muqamqi) et d’instrumentistes : un rawap, luth à manche long à trois cordes mélodiques et quinze cordes sympathiques, une vièle ghijak, à une corde en crin de cheval et dix à douze cordes sympathiques en métal, une cithare qalun, à dix-huit cordes doubles pincées avec un long plectre de bois tendre. Les tambours sur cadre dap sont frappés par les chanteurs. Chaque musicien interprète à sa manière la mélodie commune. Il en résulte un effet d’hétérophonie répondant à un choix esthétique délibéré, une recherche d’épaisseur sonore qui s’est aujourd’hui perdue dans beaucoup d’autres musiques du monde islamique. Quant aux chanteurs, ils font preuve d’une telle ardeur dans le chant et d’une telle énergie dans le jeu des tambours que nombre de musicologues chinois n’ont pas hésité à qualifier cette musique de « jazz ouïgour ». Le dolan muqam se présente sous la forme de suites vocales et instrumentales accompagnées de danse et jouées dans plusieurs modes musicaux qui leur donne leurs noms : bash, zil, chöl, ötang, hudek, dugamet, bom, sim et jula. Chaque suite dure une dizaine de minutes et se compose de quatre ou cinq parties enchaînées sans interruption et allant s’accélérant jusqu’à la frénésie : muqaddima, introduction vocale non mesurée ; chikitma, pièce en 6/4 ; sanam, pièce en 4/4 ; saliqa, pièce en 4/4 ; serilma, en 4/4 ou 5/8. Les poèmes ne sont pas fixés à l’avance, mais ils ne sont pas non plus improvisés. Puisés dans un corpus poétique, les distiques ou les quatrains sont « lancés » spontanément par le chanteur soliste et se succèdent sans vraiment de continuité thématique, si ce n’est celle de l’amour, généralement déçu ou contrarié. -
2013-04-14
Turquie. Le chant du semah alévi. Photos
La tradition religieuse alévie est née en Asie centrale et s’est développée en Anatolie. À la fois mystique et humaniste, elle se fonde sur la foi en Dieu, la prophétie de Mahomet, la sainteté de Ali, son gendre, et la quête de la vérité dans le cœur de l’Homme. Cette tradition porte aussi le nom de bektashisme en référence à son fondateur Haji Bektash Veli (XIIIe siècle). Seule différence, on naît alévi par descendance, on devient bektashi par choix. Les Alévis furent longtemps décriés par les sunnites orthodoxes qui réprouvaient leur mode d’expression religieuse : pas de prières quotidiennes ou hebdomadaires mais de grands rituels nocturnes, les djem, où hommes et femmes participent et dansent ensemble, pas de jeûne du ramadan mais la privation d’eau et de viande pendant la commémoration du martyre de l’imam Hussein, pas de mosquée mais des « maisons de djem » (djemevi) qui sont à la fois des lieux de rituel et de socialisation de la communauté. Blâmée également leur doctrine fondée sur un islam chiite duodécimain mêlé d’éléments de zoroastrisme, de judaïsme et de christianisme et qui divinise l’homme en faisant de celui-ci le temple de la divinité, comme le rappellent ces vers d’Aşık Daimi : Je suis le reflet de l’univers puisque je suis un homme, Je suis l’océan où vit l’Éternel puisque je suis un homme. Cette religion demeura longtemps secrète, les communautés s’étant pour la plupart repliées dans les montagnes anatoliennes et pratiquant leurs rituels pendant la nuit. Pourtant, l’alévisme et le bektashisme ont fécondé tout un pan de la culture populaire anatolienne, en particulier celle des poètes-chanteurs ashek, tout en se nourrissant de l’œuvre de grands poètes turcophones du Moyen-Orient. Les Alévis représenteraient un sixième à un quart de la population turque, mais c’est principalement dans les régions rurales que s’est préservé le rituel du djem même s’il tend aujourd’hui à se développer également en ville et dans les communautés émigrées. Le djem n’est pas seulement une cérémonie religieuse, il a aussi une fonction sociale et éducative. Il renforce la solidarité de la communauté, notamment à travers un pacte de fraternité qui unit les membres de la communauté deux par deux (musahip) ; il est le lieu où une fois par an on règle les conflits et l’on juge les mauvaises actions (görgü djem); il permet enfin la transmission de l’enseignement entre le maître spirituel et ses fidèles sur le mode du dialogue (sohbet) également pratiqué dans les communautés soufies. Un djem complet commence en début de soirée et s’achève généralement à une heure très avancée de la nuit par un repas collectif qui commémore le Banquet des Quarante. La cérémonie superpose et combine en effet plusieurs éléments religieux et ésotériques. Le thème de la grue cendrée (turna), oiseau migrateur, ressuscite par exemple la mémoire collective des anciens nomades türks et de leurs pratiques chamaniques. Il se manifeste de manière mimétique dans les danses de couple semah, notamment à Turhal, comme une évocation de l’envol mais aussi de la parade nuptiale célébrant la fécondité et le renouvellement de la nature. Dans les textes chantés des semah la grue symbolise le messager entre les amants et son absence est l’exil, l’absence, l’attente de l’être aimé, autant de thèmes que l’on retrouve sous d’autres formes dans la littérature soufie. À qui s’adresse cette poésie ? À Dieu, au prophète et à sa famille au sens où l’entendent les chiites : sa fille Fatima et son gendre Ali, leurs fils Hassan et Hussein, ainsi que leurs descendants qui constituent avec eux les Douze Imams. Ceux-ci sont célébrés dans un chant appelé düvaz ou düaz-imam. Si Mahomet est respecté et vénéré comme le messager de la prophétie, sa tâche est considérée comme achevée et c’est Ali qui prend le relais dans une position encore plus centrale. Il est le saint, aimé de Dieu, le modèle d’honnêteté, de justice, de quête de la vérité, et ses fils Hassan et surtout Hussein dont on chante le martyre dans une longue élégie a cappella (mersiye) sont les symboles du sacrifice. Viennent ensuite les 366 Parfaits que leur sainteté prédispose à l’élévation à Dieu à la fin de leur vie terrestre. En font partie les grands maîtres dont la lignée est reconnue comme descendant d’Ali, notamment Ahmad Yasavi (mort en 1166) et son disciple Haji Bektash Veli (1209-1271). Entre la famille du prophète et ces Parfaits, on trouve l’Assemblée des Quarante auprès de laquelle le prophète fut introduit lors de son ascension au paradis (miraj). Les Quarante saints ou immortels, parmi lesquels figure Ali, sont présentés comme la manifestation de la réalité divine: «nous sommes un et chacun de nous est nous tous » et c’est l’image de leur Banquet, très forte chez les Alévis, qui symbolise le mieux le thème de l’union que la communauté doit instaurer dans sa vie sociale. La légende rapporte que Selmân donna au prophète un grain de raisin et lui demanda de le partager entre tous. C’est l’ange Gabriel qui apporta la coupe au-dessus de laquelle le prophète écrasa le grain pour en extraire le jus. Lorsque le premier des Quarante porta la coupe à ses lèvres, tous furent enivrés et se levèrent pour danser (semah) en invoquant le nom de Dieu. Le djem peut rassembler plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de personnes, hommes et femmes, mais son organisation revient à quelques fidèles qui se partagent les douze « services mystiques » (oniki hizmet) sous la direction du maître spirituel, le murshid. Celui-ci est notamment assisté d’un guide, le rehber, d’un surveillant, le gözjü et d’un ou plusieurs musiciens, les zakir. Les autres sont chargés, l’un d’allumer les trois chandelles (cheraghdje), l’autre d’assurer la propreté de l’espace central (süpürgedje), un troisième de verser l’eau (sakadje), un quatrième de préparer le repas (niyazdje), etc. Le rituel se déroule comme une succession de séquences vocales, instrumentales et parfois dansées qui sont entrecoupées de prières et de prônes. Hommes et femmes y célèbrent l’ascension du prophète et l’assemblée des Quarante dans le Mirajlama et la danse du Semah des Quarante, leur vision cosmogonique dans le Semah des grues cendrées où les femmes, tournant sur elles- mêmes, figurent la rotation des planètes tandis que les hommes, battant des bras imitent le vol de l’oiseau migrateur, ou encore le Semah des cœurs qui symbolise la quête d’harmonie au sein de la communauté. Les chanteurs (zakir, littéralement « ceux qui rappellent, qui remémorent ») invoquent les douze imams (düvaz), pleurent le martyre de Hussein dans une élégie a cappella (mersiye) et interprètent en s’accompagnant au luth baghlama ou au violon des chants d’amour (deyish) ou relatant une expérience mystique (nefes). Ces poèmes peuvent être anonymes, de leur propre composition, ou plus souvent l’œuvre de poètes renommés comme par exemple les Sept Grands Bardes (yedi ulu ozan) : Nesimi, Yemini, Khatai, Fuzuli, Pir Sultan Abdal, Kul Himmet, Virani. On aura l’occasion de les entendre au cours de ces deux représentations À partir du XVIe siècle, ces poètes ont pour héritiers les ashek, terme d’origine arabe signifiant « amoureux » et désignant des poètes, chanteurs, instrumentistes populaires, autrefois itinérants. L’histoire et l’œuvre des ashek sont associées depuis leur origine aux courants religieux hétérodoxes d’Anatolie. Cela les posa, comme leur devanciers, en rebelles face au pouvoir ottoman et en fit, avec le temps, des chroniqueurs critiques et engagés de la vie du peuple turc. Parmi les plus célèbres, on peut citer Aşık Seyrani (1800–1866), Aşık Veysel (1894-1973), Aşık Davut Sulari (1925-1985), Aşık Daimi (1932-1983), Aşık Mahsuni Şerif (1939–2002)... En général c’est à eux que l’on fait appel pour remplir l’office de zakir dans le djem. Le semah alévi-bektashi a été inscrit par l’UNESCO sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2010. Pierre bois