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Ethiopie. Tradition chantée des ménestrels. Spectacle

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Évènement

Titre

Ethiopie. Tradition chantée des ménestrels. Spectacle

Date

1997-02-24

Artistes principaux

Lieu de l'évènement

Type d'évènement

Musique

Description de la pratique

L’Éthiopie est un des rares pays d’Afrique dont on puisse retracer l’histoire avec une relative précision. Les connaissances actuelles permettent de remonter au Ve siècle av. J.-C., époque du royaume de Saba, qui s’étendait du sud de l’Arabie au plateau éthiopien. Cependant, si cette période peut être considérée comme l’origine de l’empire éthiopien (ou abyssin [ ]) dans la mesure où elle légitima la longue dynastie salomonide, jusqu’à son extinction en 1974 avec le règne de Hailé Sélassié, c’est avec l’empire d’Aksoum que son histoire débute véritablement.
Du Ier au IXe siècle de notre ère, l’empire d’Aksoum étend sa domination jusqu’au Nil Bleu. Le souverain porte le titre de négus (litt. "roi des rois"). Le christianisme est introduit par deux laïcs syriens au début du IVe siècle. L’un deux, Frumentius, est ordonné évêque d’Éthiopie par le patriarche d’Alexandrie. Depuis cette époque jusqu’à son émancipation en 1959, l’église éthopienne demeure rattachée au patriarcat copte d’Alexandrie. La culture d’Aksoum est dominée par la langue ge'ez ; son usage, général jusqu’au Xe siècle, se limitera ensuite à la littérature et aux liturgies chrétienne et juive. D’autres langues prendront la relève, selon les régions : le tigrigna, le harari, l’argobba, le gafat, les dialectes gouragués du sud et bien sûr l’amharique qui deviendra la langue de l’empire abyssin. Toutes ces langues appartiennent, comme l’arabe, au même rameau sémitique occidental.
Au Xe siècle, l’empire d’Aksoum s’effondre sous les coups de l’islam. Une dynastie Zagoué qui se réclame de Moïse crée un royaume à l’est du lac Tana. Son plus grand roi, Lalibela, établit sa capitale à Roha. Cette ville dont il reste encore les douze églises extraordinaires, sera rebaptisée Lalibela et vénérée comme une ville sainte. En 1270 Yekouno Amlak renverse la dynastie Zagoué et restaure la dynastie salomonide du royaume d’Aksoum. Mais l’équilibre du royaume est menacé par les querelles qui déchirent l’église et les agressions des sultans musulmans soutenus par l’empire ottoman. Au XVIe siècle, le Portugal "découvre" l’Éthiopie et y dépêche une ambassade. Membre de cette ambassade, le chapelain Francisco Alvarez en rapporte une description des m'urs et des coutumes abyssines, consacrant quelques lignes aux pratiques musicales.
Cette époque dite du moyen-âge éthiopien laissera, malgré les troubles politiques, des témoignages d’un essor culturel important notamment sur le plan littéraire. Outre la poésie dont il sera question plus loin, une Chronique de la gloire des rois (Kebra Nagast) rédigée en ge'ez voit le jour au XIVe siècle, ainsi que différents textes religieux et théologiques. La littérature amharique quant à elle, à l’exception des Chants royaux (XIVe s.) ne se développera guère avant le XVIIe siècle.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le royaume éthiopien encerclé par les sultans musulmans et les seigneurs féodaux (ras) en rébellion, sombre dans la féodalité. Les souverains se replient dans leur nouvelle capitale, Gondar, tandis que les Galla, peuple animiste venu du sud, profitent de l’affaiblissement des belligérants pour envahir le plateau éthiopien. À la fin du XVIIIe, des seigneurs galla convertis à l’islam s’emparent enfin de Gondar.
Ce n'est qu'en 1827 qu'un héritier des souverains de Gondar, Theodoros, parvient à reconstituer une armée, reconquérir le territoire, restaurer un État et ouvrir le pays aux puissances occidentales. De la fin du XIXe siècle jusqu’à 1941, l'Éthiopie est prise dans le jeu des rivalités entre puissances occidentales et doit lutter contre l’expansionnisme égyptien et les effets du soulèvement mahdiste au Soudan. Libéré de la tutelle italienne en 1941, le pays est dirigé Haïlé Sélassié, dernier empereur éthiopien qui sera déposé en 1974.

Aujourd’hui, un tiers de la population se compose d’Éthiopiens chrétiens vivant dans le centre-nord : le Tigré, l’Amhara, le Godjam, le Semien et Dembiya) et le Shoa), le reste du plateau, au sud, étant occupé par des tribus galla. Les frontières occidentales du pays sont peuplées par les Shanqella, l’est est dominé par des peuples musulmans (Danakil, Issa, Somali), et le sud par diverses populations regroupées sous le terme Gouragué.
Les traditions musicales d’Éthiopie reflètent cette diversité : musique religieuse chrétienne chantée et dansée par les prêtres accompagnés de tambours et de sistres, musique religieuse juive des Beta Israël, musique profane des chrétiens Amhara et Tigré, chants religieux et musique profane des musulmans Galla, et enfin formes vocales et instrumentales multiples des populations méridionales. Ces traditions ne sont pas étanches et de nombreuses influences s’y font mutuellement sentir.
Ce disque est consacré pour l’essentiel à la musique amharique, à l’exception d’une pièce instrumentale et d’un chant tigrés (plage 5). Réunis autour du thème de l’amour, ces chants traditionnels ou composés dans le style traditionnel (plage 7) sont puisés dans le répertoire aristocratique et dans celui des ménestrels azmari. Longtemps dominée par la civilisation de la langue ge'ez, la culture éthiopienne du royaume de Gondar aux XVIIe et XVIIIe siècles, permet l’essor d’une littérature abondante et essentiellement poétique fondée sur la langue amharique. Cette poésie aristocratique est généralement chantée et accompagnée à la grande lyre bägänna ou, dans les répertoires plus lyriques, à la lyre krar. Appelé "cire et or", ce discours poétique fondé sur des vers à double sens évoque l’image d’un précieux objet d’orfèvrerie enchâssé dans un délicat moule de cire et aborde aussi bien des thèmes métaphysiques ou existentiels que lyriques (cf. par ex. plage 11).
Parallèlement à la poésie classique qui est chantée à la cour ou chez les seigneurs, se forge une tradition plus truculente, celle des ménestrels azmari. Cette poésie de style léger est chantée en amharique ou en tigré. Les vers, souvent improvisés ou suggérés par d'autres, dans lesquels abondent métaphores et doubles sens, mais aussi ironie et sarcasmes, sont le plus souvent accompagnés à la vièle masinqo.
La voix, mise au service du texte, peut se déployer sur un registre relativement large. Les ornements et les vibrato, les timbres qui se cuivrent dans les moments dramatiques, l'usage d'échelles pentatoniques, illustrent bien l'appartenance de cette musique au monde nilotique. On y décèle en outre une forte mais ancienne influence de la culture arabe qui se manifeste notamment par l’usage d’intervalles non tempérés.
La musique profane éthiopienne est monodique et modale. Elle utilise quatre modes pentatoniques, le mode bati construit sur une échelle anhémitonique, les modes hémitoniques tizita et ambassal et enfin le mode anchihoy qui comprend des intervalles intermédiaires entre le demi-ton et le ton. Les transcriptions qui suivent présentent les échelles de ces modes selon l’accord de la lyre à six cordes krar.

LES INSTRUMENTS
La musique traditionnelle éthiopienne fait appel à deux sortes de lyres, la grande bägänna à dix cordes autrefois réservée à la musique des dignitaires, et le krar.
-Le krar, plus petit que la bägänna, est une lyre à six cordes composée d’un cadre de bois fixé sur une caisse de résonance ronde et peu profonde. La table d’harmonie est formée d’une fine peau d’animal. L’instrument est tenu obliquement, la caisse appuyée contre la hanche ou le bas-ventre, de sorte que le musicien peut en jouer debout ou assis. Le krar étant un instrument à sons fixes, il doit être accordé chaque fois que l’instrumentiste change de mode musical. Plus facile à jouer que le masinqo et pourtant considéré comme un instrument plus noble, le krar connaît une grande popularité en Éthiopie.
-La vièle à une corde masinqo est le seul instrument à archet utilisé dans la musique traditionnelle éthiopienne. La caisse de résonance comprend quatre éclisses en bois d’olivier, disposées en forme de losange, et sur lesquelles sont fixées deux peaux de b'uf, l’une pour la table d’harmonie et l’autre pour le fond. La corde est en crin de cheval de même que la mèche de l’archet. Le musicien se tient assis, la caisse de l’instrument entre ses genoux et lorsqu’il joue, il utilise tous les doigts de sa main gauche (y compris le pouce). L’existence du masinqo est attestée dès le XVIe siècle dans un texte du chapelain Francisco Alvares. Dans un article rédigé au début des années vingt, Mondon-Vidailhet souligne la virtuosité dont font preuve les joueurs de masinqo, en dépit de l’apparence assez fruste de l’instrument.
Instrument profane, le masinqo peut être joué par des musiciens de villages, mais c’est entre les mains des ménestrels azmari qu’on peut en apprécier toute la luxuriance sonore et expressive, que ce soit en solo ou en accompagnement de la voix chantée (cf. plages 4, 5, 8, 9 et 12).

Programme détaillé

1. Bati
Chant solo dans le mode bati par Fantahun Shewankochew.
Un homme épris d’une jeune fille part la rejoindre. Longeant la vallée sinueuse qui descend vers la petite ville de Bati [ ], il traverse un lieu romantique appelé Gendelayu. L’amant exprime ses sentiments face à la splendeur du paysage et évoque la beauté de sa bien-aimée.

2. Yeberutma
Chant et krar dans le mode bati par Fantahun Shewankochew.
Ce chant raconte comment un homme pauvre mais invincible dut se soumettre à l’amour d’une belle et riche jeune fille. Il la supplie, quand viendra la nuit, de se sauver de son village et de venir le retrouver.
Je suis le seul qui ne puisse te résister [�]
D’aucuns te voient et passent leur chemin.
Moi je ne le peux [�]
Quel est cet oiseau qui croit pouvoir adorer un arbre ? [�]
Personne ne vit avec celui qu’il aime.

3. Tirut Yebatin Lig
Chant solo dans le mode bati par Ejigayehu « Gigi » Shibabaw.
Une femme amoureuse, demeurant à Bati, se languit de son amant. Elle voudrait qu’il vienne la rejoindre et qu’enfin ils connaissent une commune félicité. Le chant décrit aussi la beauté des paysages de Raya et Tobo et l’affabilité de ses habitants.
Viens, viens, pourquoi te sauves-tu ?
Mes yeux sont affamés. [�]
Le désir que j’ai de ton corps me tire, me tire hors de Bati. [�]
J’ai aperçu les traces de son cheval,
J’ai entendu le bruit de ses sabots.
Parti� Parti� Il est vraiment parti.

4. Tew Maneh
Chant dans le mode bati par Ejigayehu « Gigi » Shibabaw accompagnée au masinqo par Wores G. Egziabher.
Ce chant s’adresse à un séducteur. La jeune femme dort et rêve d’amour. Mais son c�ur se heurte à sa volonté de n’être jamais troublée par un homme.
Je t’en prie, n’éveille point mon c�ur.
Mieux vaut le laisser reposer. [�]
Aujourd’hui, les gens sont las du mensonge et de la fourberie.
Mais toi tu continues, avec toutes les femmes. [�]

5. Solo de masinqo, suivi du chant « Abo Yiba »
par Wores G. Egziabher, chant et masinqo.
Abo Yiba raconte comment, parmi toutes les femmes présentes, un homme choisit en chantant celle qu’il aimera.

6. Fikre Endeneh
Chant dans le mode bati par Ejigayehu « Gigi » Shibabaw accompagnée au krar par Fantahun Shewankochew.
Lettre d’amour.
Comment te portes-tu mon aimé ? [�]
Si tu ne peux venir, je partirai [te rejoindre].
Mais si tu ne veux pas venir, je ne partirai pas. [�]
Nous ne pouvons plus nous envoyer de messagers,
Ça ne pourra pas durer toujours. [�]
Tout cet amour que tu pourrais donner,
Pourquoi sans cesse le réprimer ?

7. Kiraren Bikagnew
Chant et krar dans le mode ambassal par Fantahun Shewankochew, composition de Fantahun Shewankochew.
Un homme séparé de celle qu’il aime, prend conscience de la vacuité de sa vie. S’adressant à son krar, il le supplie de le conduire vers le lieu où demeure sa bien-aimée.

8. Simih Man Yibabal
Chant dans le mode bati par Ejigayehu « Gigi » Shibabaw accompagnée au masinqo par Wores G. Egziabher.
Une femme séduite par un homme cherche à connaître son nom.
Tu es étrange. Comment t’appelles-tu,
Toi que je vois tous les jours,
Debout dans la cour de ta maison ? [�]
Personne ne me demande si je t’aime ou pas.
Et pourtant ma gorge est nouée
Au point que je ne puis avaler la moindre goutte d’eau. [�]
Me reposer, dormir, me sont impossibles
Car toujours je suis la proie de cette passion.

9. Ambassal
Chant dans le mode ambassal par Fantahun Shewankochew accompagné au masinqo par Wores G. Egziabher.
Ambassal est une petite localité de la province du Wollo, célèbre pour ses histoires sentimentales. L’amant fait allusion à ce lieu pour flatter celle qu’il aime.
[�] Les nuages flottent sur Ambassal, il pleut sur Yeju,
Mais est-ce une raison pour tant tarder ? [�]

10. Ebakish tarekign
Chant dans le mode tizita par Fantahun Shewankochew.
Cessons de nous quereller et pensons à notre amour.

11. Sewnetua
Chant accompagné au krar dans le mode tizita par Fantahun Shewankochew.
Le texte décrit avec force métaphores la beauté d’une femme dans ses moindres détails.
[�] Où qu’elle se tienne, son corps attire
Les ermites hors de leurs monastères,
Les animaux hors de leurs forêts. [�]
Ses yeux sont comme des flèches. [�]
Sa poitrine est aussi vaste qu’un bouclier.
Ses seins ont l’agressivité d’un léopard femelle qui vient de mettre bas. [�]
Ses hanches et ses cuisses sont un mystère. [�]

12. Tizita
Chant dans le mode tizita par Fantahun Shewankochew et Ejigayehu Shibabaw.
Souvenirs d'un amour.

13. Yene Neh Woy
Chant en duo dans le mode tizita par Ejigayehu « Gigi » Shibabaw et Fantahun Shewankochew accompagnés au masinqo par Wores G. Egziabher.
Ce dialogue amoureux raconte toute une histoire, les premiers échanges où l’on se guette, les petites provocations, la passion enfin déclarée et la gratitude, mais aussi l’hostilité des familles qui cherchent à briser cette union.
[�] Es-tu à moi ? Puis-je m’approcher d’un pas ? [�]
Les gens disent que tu es rassasié,
Pour moi je n’en sais rien,
Il faut que je le demande à ma gorge et à mon ventre. [�]
Pourquoi les gens disent-ils
« Tuez-le, c’est un voleur » ?
Un voleur ne devrait pas mourir,
Car rien n’est aussi délectable que ce que l’on a dérobé. [�]

14. Endeneh Shegiye
Chant dans le mode tizita par Ejigayehu Shibabaw.
Chant d'amour et description de site magnifique de Borena.

15. Kibir Temesgen
Chant accompagné au krar dans le mode anchihoy par Fantahun Shewankochew.
Ce poème fait partie du répertoire classique amharique que l’on appelle « cire et or » en raison du langage à double sens qui y est utilisé. Il exprime l’inévitable destin de l’être humain, les vicissitudes de la vie et en appelle à la générosité du Tout-Puissant.
[�] Cette femme qui est assise là
Me dit qu’elle est si pauvre
Qu’elle n’a pas même de quoi manger.
Et pourtant, je me demande qui lui a enseigné
L’art de modeler ces figurines d’argile [ ]. [�]

16. Ete Abeba
Chant dans le mode anchihoy
Chant des jeunes filles pour la célébration de la nouvelle année.

Auteur du programme

Origine géographique

Ethiopie

Mots-clés

Date (année)

1997

Cote MCM

MCM_1997_ET_S1

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Ethiopie. Tradition chantée des ménestrels. Photos Ethiopie 1997-02-24 Photo numérique
Titre Localisation Date Type
1er Festival de l'Imaginaire 1997