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Mayotte. Rite de possession Hichima. Spectacle

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Évènement

Titre

Mayotte. Rite de possession Hichima. Spectacle

Sous-titre

un cadeau aux génies patrosi

Date

2004-04-02

Date de fin

2004-04-04

Artistes principaux

Lieu de l'évènement

Type d'évènement

Cérémonie, rituel

Description de la pratique

2-4 avril 2004
Le rituel hichima (littéralement "le cadeau") appartient à ce culte des esprits patrosi très populaire à Mayotte et pourtant largement méconnu à l'extérieur de l'île. Et si Mayotte s'est construit une notoriété comme "l'île au lagon", il serait tout aussi légitime de la nommer "l'île aux esprits" au regard du dynamisme actuel des rites de possession ! Pas moins de neuf catégories bien distinctes de génies, associées à autant de cultes spécifiques, "animent" en effet ce minuscule archipel de 374 km2. À ce jour la seule étude publiée reste celle en anglais de l'ethnologue Michael Lambek qui s'intéressa à la fin des années 1970 plus particulièrement au trumba, le rituel lié aux esprits originaires de la grande île voisine de Madagascar.
Patrosi, matrumba, mugala ou encore rahuani. Voici donc autant de djini dont nul n'ignore à Mayotte l'influence sur la vie quotidienne des humains. Cette curieuse diversité des esprits s'explique par l'extraordinaire brassage des cultures dont est issue la société mahoraise contemporaine. Le monde des djini reflète parfaitement les migrations et les influences successives qui singularisent cette île située dans le canal du Mozambique au carrefour des routes reliant l'Afrique, l'Arabie et l'Inde : les esprits patrosi ressortissent du fond bantou (IVe siècle) et de la traite continue des esclaves africains via Zanzibar, les djinns rahuani des influences perse du Shiraz et arabe d'Oman (IX-XVe siècles), les esprits matrumba de l'invasion de l'île par les dynasties de Madagascar au XIXe siècle, ou encore les génies mugala de l'inclusion de Mayotte dans l'ensemble culturel des Comores.
Le culte des patrosi tient donc de la grande culture bantoue et, de fait, on bat les mêmes tambours ngoma (nom donné par extension au culte lui-même) dans toute l'Afrique centrale et sur la côte orientale. Ce ngoma se range dans la famille des "rituels d'affliction" dont le célèbre ethnologue Victor Turner a mis en évidence le principe : l'activité religieuse est liée à l'irruption soudaine d'un invisible synonyme de malheur et de désordre. Ainsi à Mayotte lorsqu'une personne se trouve frappée d'une maladie inexpliquée et réfractaire aux thérapies "ordinaires" (plantes médicinales mais aussi biomédecine car Mayotte dispose grâce à la DASS d'un réseau perf o rmant de dispensaires), elle consultera un devin astrologue (le mwalimu). À celui-ci la tâche de découvrir le genre du génie agresseur et d'orienter le patient vers le culte approprié. Commence alors le travail du fundi wa djini (littéralement "le maître des esprits") : très patiemment, grâce à des rites appelés "médicaments" (malalao), il cherche à établir une communication avec l'esprit possesseur pour reconnaît re son appartenance familiale (les patrosi sont des génies anthropomorphes se répartissant en trois familles : les Blancs, les Rouges et les Noirs) et ensuite lui faire énoncer ses exigences (respect de certains interdits, offrandes votives, sacrifices, etc.). Véritable processus de domestication, ce cycle des médicaments doit aboutir à la tenue d'un ngoma organisé par le malade. À cette occasion, au terme d'une nuit ponctuée de danses de possession et du sacrifice d'un zébu, le génie (en fait plusieurs se manifestent fréquemment) acceptera de révéler publiquement son nom au cours d'un rite extraord i n a i rement saisissant. Une fois nommé, le génie n'est plus une entité malveillante mais un allié, l'initié est délivré de ses maux. Le culte des patrosi repose donc sur l'idée d'un adorcisme, c'est-à-dire d'une alliance possible et bénéfique avec les esprits. À ce titre il peut parfaitement être comparé au culte des gnawa du Maroc, à celui du candomblé brésilien, ou même au chamanisme sibérien.
Le hichima n'appartient pas pro p rement au cycle des médicaments. Il s'agit d'un rituel public que l'on effectue couramment en fin d'après-midi pour se propitier les patro s i. Ainsi il est fréquent qu'un adepte l'organise avant le départ de son enfant scolarisé en métropole, ou s'il 'sent' quelques mauvaises influences rôder autour de sa maisonnée. Le hichima vise en fait à capter un peu de ce fluide immatériel synonyme de vie, de force et de chance (le hacina) dont sont porteurs les esprits. Pour ce faire il convient de convier le plus de patrosi possible et de leur offrir ce qu'ils apprécient grandement, à savoir la musique des tambours, la danse, les exhortations joyeuses. Et du sucré, c'est-à-dire des offrandes de nourritures (tels que du pop corn et des gâteaux de riz au coco) et de lourds parfums. Le hichima se doit d'être une véritable fête : mieux les patrosi s'amusent, mieux on les gâte et plus bénéfique sera la force irradiée sur les humains.
La question de l'éventuelle incongruité d'un tel rituel transplanté comme "spectacle vivant" à Paris trouve ici sa réponse. Dans le ngoma l'apparition des esprits devant un public hétérogène est parfaitement courante, et les patrosise plaisent à faire admirer leur virtuosité chorégraphique et à laisser entrevoir leurs pouvoirs occultes même à une assistance incrédule. Les règles rituelles à respecter sont simples : ne pas être assis plus haut qu'eux (d'où la présence d'un canapé à côté des musiciens), se déchausser si on pénètre sur l'aire de danse et leur témoigner du respect' en les encourageant par d'enjoués "Ochocho !" et en battant des mains !
Le hichima débute doucement par des mélopées chantées dans la langue des djini et accompagnées de battement de mains. Le rythme chaloupé est ici celui des berceuses car on redoute une arrivée trop brutale des génies. En effet l'entrée dans le corps de l'initié est le plus souvent vécue douloureusement et de ce fait cette incorporation fait l'objet de toutes les attentions. Mais cette phase de transition est brève, la souffrance cède bien vite le pas à une jouissance hédoniste. En témoignent les grandes rasades de Pompéïa (une marque d'eau de Cologne) bues avec délectation, les effusions de joie, les refrains repris à tue-tête ou les pas de danse enthousiastes. Une fois le génie "monté", le possédé revêt ses vêtements rituels et adopte sa personnalité propre : ainsi Afrit se montre un vénérable vieillard, vêtu de blanc et de rouge et reconnaissable à sa lente démarche claudicante ; Zabi, drapé de rouge, est un esprit puissant et expansif qui brandit fièrement une canne signe de sa puissance magico-thérapeutique, tandis que Maoua, une de ses petites-filles, multiplie les facéties enfantines en gloussant timidement. Les costumes attestent d'une prédominance des génies masculins car les patrosi féminins adultes ne se manifestent que rarement en public en raison de leur grand sens de retenue. Quant aux patrosi de la famille des Noirs, on fait en sorte d'éviter leur venue par crainte de leur extrême dangerosité. Une fois les autres patrosi salués (l'embrassade marque la proche parenté, la main levée au-dessus de la tête le respect dû à un Ancien), chaque esprit participe à la fête. Danses et chants sont entrecoupés de discussions animées car "les familles" dispersées sur l'île dans leurs villages invisibles, sont heureuses de se retrouver ici. On échange des nouvelles, on s'enquiert des récentes apparitions chez les humains, on règle des différends, et on n'hésite pas aussi à circuler dans l'assistance pour deviser avec tout un chacun. Et les spectateurs du hichima de saisir cette opportunité offerte par le rituel pour solliciter le don divinatoire des invités. Des questions précises peuvent leur être posées, des problèmes exposés (famille, travail, santé, etc.) ou des requêtes adressées. Tout ceci n'exclut nullement qu'on se lance par ailleurs dans des plaisanteries ou des joutes orales facétieuses avec eux ! Le hichima se termine toujours lentement, sans hâte. Certes les tambours cessent de battre et les musiciens s'en vont mais les patrosi s'attardent comme s'ils voulaient encore jouir du "cadeau". Dans la pièce où sont déposées les offrandes (flacons de Pompéïa), gâteaux, sachets de pop-corn, jus de coco, 'ufs crus ou cuits etc. ), les discussions, les chants, les rires continuent à les retenir dans notre monde jusque tard dans la nuit.
Dans notre univers quotidien, fundi Attoumani, comme les autres initiés participant au hichima, sont des gens parfaitement "ordinaires" : lui-même travaille comme secrétaire de mairie, Zak est ambulancier au CHU, Cassim est employé de banque et les femmes sont de respectables mères de famille. Âgé de 40 ans, marié et père de 4 enfants, fundi Attoumani bénéficie d'une très grande notoriété dans le monde des esprits à Mayotte. Dès l'âge de huit ans l'invisible le marqua de son empreinte et hallucinations, convulsions et troubles physiques l'empêchèrent de poursuivre une scolarité normale. Soigné puis initié par la célèbre fundi Kalu de Petite Terre, il effectua son ngoma à l'âge de 23 ans : cinq patrosi se nommèrent, dont l'un, Zabi le Rouge (ici sur la photo, avec sa canne), l'enjoignit d'officier parallèlement à son travail comme voyant-guérisseur. À ce jour, Attoumani compte plus d'une centaine "d'élèves" et chaque année il se rend à La Réunion et en métropole pour prend re en charge de nouveaux malades. Mais Attoumani fut aussi frappé à l'adolescence par les génies malgaches matrumba et en 1999 il effectua le voyage à Madagascar pour célébrer son Grand Sacrifice. Ici également cinq esprits se manifestèrent exigeant qu'il guérisse aussi grâce à leurs savoirs.
BERTRAND HELL

avec Attoumani Abdallah Djaha, Raianti Said, Bacari Hamada, Ali Abdoul-Kader, Soulaimana Abdou, Zakaria Nourdine, Mariama Oumouri, Ibrahim Madi, Ayouba Zoubert, Bourouhana Abdallah, Kassimou Abdallah, Hadidja M'ssaidié, Najah Said, Zainaba Ali Nassibou, Hadidja Madi, Nouriati Hamada, Fouraha Colo.

Contributeurs

Origine géographique

Mayotte

Mots-clés

Date (année)

2004

Cote MCM

MCM_2004_YT_S1

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