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Cambodge. Ballet Royal. Spectacle

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Évènement

Titre

Cambodge. Ballet Royal. Spectacle

Sous-titre

sous la direction de la Princesse Bopha Devi et Nouth Narang

Date

1994-03-23

Date de fin

1994-04-08

Direction artistique

Lieu de l'évènement

Type d'évènement

Danse

Description de la pratique

23 mars au 8 avril 1994.

La danse du Naga, par Nouth Narang, Ministre de la culture.
Situé au coeur de l'Asie des moussons, le Cambodge est l'un des rares pays où la civilisation austro-asiatique survive encore avec un certain dynamisme. Depuis les premiers siècles de l'ère chrétienne, diverses pratiques rituelles et matérielles se sont développées au cours de l'histoire, mêlées à d'autres apports notamment indiens, formant la sève toujours renouvelée d'une civilisation qui caractérise toute l'Asie du sud-est péninsulaire et dont le Cambodge d'aujourd'hui est l'émanation : la civilisation môn-kher.
En effet, cette civilisation, conditionnée par le rythme binaire des saisons, s'articule autour d'un principe qu'inspire le dualisme cosmologique, pierre angulaire des mythes fondateurs de ces sociétés. C'est ainsi que s'est constituée la société khmère, reposant sur la complémentarité entre les éléments femelles et les éléments mâles, respectivement assimilés à l'eau et à la terre, et dont l'union se retrouve immortalisée en la personne du reptile totémique qu'est le naga.
Comme l'expression artistique n'est autre que la projection intime de la conscience collective de chacun, on comprend aisément l'omniprésence du naga dans le monde mythologique et artistique khmer. Ainsi, dans la danse, le mouvement ondulatoire ou spiraliforme constitue la trame fondamentale et essentielle de la khmérité, sans laquelle l'immortalité ne saurait être garantie à la société.
A partir de ce principe on distingue deux catégories de danse : la danse sacrée ou classique et la danse populaire.

La danse classique
L'appellation "danse sacrée" est plus appropriée car elle a pour fonction essentielle l'affirmation du pouvoir royal. Or les rois khmers sont les dieux sur terre, leur demeure n'est autre que la réplique exacte du palais céleste : danseurs et danseuses évoluent donc dans un monde céleste qui se caractérise par leur démarche, l'envol, et par les costumes et les coiffes réservés aux divinités. Les thèmes interprétés peuvent appartenir au théâtre épique (Râmâyana, Mahâbhârata') ou être simplement la transposition chorégraphique de gestes rituels, sociaux ou quotidiens.
La danse populaire
C'est l'expression d'un peuple en symbiose avec son monde du travail, ses croyances, ses relations quotidiennes au bien et au mal, ses jouissances et ses malheurs. On peut en distinguer deux types : les danses rituelles centrées sur le thème de la fécondité, de la fertilité et de la mort (Danse des b'ufs sauvages, Danse du Trott, Danse des Paons de Pursat, Danse du sacrifice du buffle') et les danses de divertissement remplissant une importante fonction sociale : travail, vie rurale, Nouvel An (en avril). Elles s'expriment sous la forme de cours d'amour, un peu comme les bals villageois d'Europe.
Nous espérons que ces danses aideront le public à mieux apprécier l'âme du peuple khmer, ce peuple qui a tant souffert et qui trouvera le chemin de la délivrance dans la compréhension et l'amitié des autres peuples.

La danse Khmère par Solange Thierry, anthropologue
Rares dans le monde sont les pays qui évoquent par leur seul nom l'image d'une danseuse. Et s'il est vrai, hélas, que d'autres images, cruelles et destructrices sont venues s'imposer dans des années de guerre et de malheur, il n'en est pas moins évident que l'art de la danse au Cambodge survit à toutes les tourmentes.
L'histoire l'atteste avec éclat : les monuments d'Angkor en effet font apparaître dès le neuvième siècle, à fleur de grès rose ou gris, des silhouettes féminines d'un charme singulier. Mi-femmes mi-êtres divins, elles avaient leurs répliques humaines à la Cour des rois bâtisseurs de la dynastie angkorienne. Une inscription épigraphique du temple de Lolei dit que le roi Indravarman offrit au dieu Shiva "des danseuses, chanteuses, musiciennes, affectées au service des prêtres, nommées au nombre de quarante-deux ; et au nombre de sept, des danseuses, chanteuses, musiciennes de deuxième ordre, affectées au service du public". Ce qui suppose une hiérarchie dans les rôles et donne à penser que les premières "étoiles" étaient plus proches du sacré que les derniers "sujets".
Nombreuses sont les évocations de la danse à travers la sculpture, la légende, l'épigraphie. La chorégraphie est inséparable de la vie du temple, c'est-à-dire aussi bien la tradition religieuse et rituelle que celle de la Cour et de celle du peuple qui peut assister aux fêtes. "Un grand nombre de belles danseuses, chanteuses, récitantes, musiciennes, joueuses de vina et d'autres instruments, habiles à frapper des cliquettes'" animaient les fastes angkoriens, et ne nous dit-on pas que le roi Yaçovarman lui-même, à la fin du neuvième siècle, "apprenait à danser aux princesses en leur donnant la mesure" et que "les filles des grands dansaient en sa présence" ? Le recensement du personnel nous donne le chiffre de six cent quinze danseuses'
Coiffées de tiares à triples pointes, chargées de bijoux ouvragés, les seins bombés et lisses, le sourire équivoque, en même temps êtres mythiques du Paradis d'Indra et ballerines de la Cour, elles sont souvent représentées les jambes doucement arquées et ployées, un pied reposant sur une fleur de lotus' Evolutions incontrôlables de l'autre monde ? Non pas : chorégraphie raffinée où la moindre inclinaison de la taille, le moindre repli des doigts ou tremblement du cou a son sens irréfutable.
Quant à l'origine de la danse cambodgienne, on peut l'envisager selon deux sources. L'une appartient au tréfonds autochtone, si l'on considère les danses populaires, celles des groupes ethniques de la forêt et des villages, connues d'ailleurs de tous les Cambodgiens. Elles consistent essentiellement en pantomimes de chasse et de pêche, de semailles et de moissons, en exorcismes ou "danses des esprits", en chant alternés ou "cours d'amour" auxquelles les villageois participent. Les plus célèbres de ce type de danses issues de la tradition "austro-asiatique" ou "môn-khère" sont la "danse des b'ufs sauvages" et surtout celle du Leng Trott dansée à l'occasion du Nouvel An khmer dans la région d'Angkor.
L'autre source, celle de la danse royale et classique illustrée par le Ballet Royal, se situe d'une manière lointaine dans la tradition indienne du langage par les gestes et les positions du corps, les mudra.
Les comparaisons entre ces techniques s'urs ont révélé des divergences d'interprétation, des modifications dans la pose pour une attitude désignée par un même terme. Le point précis où se dégage l'originalité cambodgienne, où se situe-t-il dans l'espace ? Est-ce le doigt retroussé en arrière, là où la danseuse indienne le maintient droit ? Le regard khmer immobile et comme visant l'au-delà, là où les yeux indiens roulent et se révulsent ? Ce qui demeure clair, c'est l'identité de la conception fondamentale de la danse, née d'une révélation divine, d'une "connaissance" surnaturelle. Pour les Cambodgiens, le Maître ou Génie de la Danse, Tep Robam, est encore honoré par un culte spécifique. Mais si l'Inde a transmis cet art par des traités techniques écrits, le Cambodge a connu une longue transmission orale et pratique, faite d'une continuité de répertoire et d'enseignement, prérogative des danseuses âgées qui apprennent aux plus jeunes tous les aspects de leurs rôles, ne se référant à aucune notation écrite.
Enfin, les emprunts et les échanges entre le Cambodge, l'Indonésie, le Laos, la Thaïlande, la Birmanie, ont créé une sorte d'aire culturelle de la danse en Asie du Sud-Est, où chaque pays met en valeur ses propres colorations, la brillance de ses parures et le rythme de ses pas. C'est du Cambodge que le Siam du quinzième siècle (qui ne s'appelait pas encore Thaïlande) a recueilli l'héritage du spectacle dansé, le façonnant par la suite selon son style, modifiant ses costumes, selon une évolution devenue commune aux deux pays. Toutefois, la « marque » khmère reste intensément sensible dans sa souplesse alanguie ou hiératique, comme teintée de la nostalgie d'un passé grandiose, de même que dans sa verve acrobatique, où la violence est, lorsqu'il s'agit des combats entre démons et singes, comme une forme de l'humour'
Ceux qui ont eu le privilège de contempler dans la salle de danse du Palais de Phnom-Penh ou devant le temple d'Angkor-Vat l'apparition des danseuses cambodgiennes, presque immobiles en début de ballet, dans leurs gangues de miroitements, de scintillements, expressives en leurs gestes savants hautement codifiés, doigts retroussés prolongés d'ongles immenses, genoux ployés, taille et cou doucement infléchis, ont à jamais inscrit dans leurs yeux et dans leur mémoire l'image de ballerines raffinées, comme surgies d'un autre monde.
Ces ballerines racontent une histoire par leurs gestes, mais elles font beaucoup plus que de mettre en scène un livret. Leurs rôles, qui ne sont pas interchangeables d'une danseuse à l'autre, les font représenter, au sens plein de "rendre présents", les héros de la légende et de l'épopée. Le spectacle est global, il implique la chorégraphie, la récitation chantée scandée par les cliquettes, la musique orchestrale. Et pendant le temps d'une représentation ' autrefois sept nuits lorsqu'il s'agissait du Râmâyana ' se trouvent actualisés les épisodes, incarnés les personnages, "évoqué" au sens magique le monde surnaturel. Comme l'écrivait Makhali-Phal dans son Chant de paix, "toutes les danseuses, celles qui miment les dieux, celles qui miment les rois, celles qui miment les ogres, celles qui miment les singes, celles qui miment les oiseaux" attirent sur la scène les êtres mythiques. Elles réalisent pour un temps la rencontre momentanée mais combien vivifiante du monde terrestre et du monde qui le dépasse.
La danse-pantomime "classique" est scandée par les chanteuses batteuses de cliquettes qui en récitent l'épisode dansé. Elle est accompagnée par les xylophones, les hautbois, les vièles, les tambours et les gongs. Le répertoire a toujours privilégié la version cambodgienne du Râmâyana, le Ream-Ker (en sanskrit Râmakîrti) c'est-à-dire "La gloire de Râma" dont le texte littéraire est découpé pour la scène. Mais il comporte aussi, rarement, un passage du Mahâbhârata et des légendes tirées du folklore local comme celle du Prince Ngos ou de la féerique Manohara, ou encore quelques exemples de pure chorégraphie comme la danse des Apsaras. Ces "livrets" paraissent appartenir à l'histoire littéraire orale et écrite, plus qu'à celle de l'art du spectacle ou de l'art sacré. Mais ici tout est lié, selon une conception globale, celle du spectacle total. Il suffit de contempler les gestes de l'offrande initiale, la salutation de louange et d'hommage au Maître de la Danse, pour comprendre qu'il y a là autre chose qu'un divertissement. Il suffit d'aborder les phases de l'apprentissage pour s'apercevoir qu'au-delà de la technique, la danse cambodgienne est une initiation. Le lien avec le sacré est évident : le rôle est une incarnation, le vêtement, cousu sur le corps, est une métamorphose.
Autrefois présentées toutes jeunes aux monitrices du Palais, les petites filles poudrées et fardées étaient soumises à l'approbation du souverain. Le jeudi est toujours le jour faste où commence l'apprentissage, car ce jour est placé sous la protection des Maîtres. Au Génie de la Danse sont offertes les bougies en cire d'abeille, les baguettes de parfum, les feuilles de bétel. Dans le bol d'eau sacralisée nagent les herbes et les fleurs d'aubergine destinées à faire obtenir le succès, à conserver la beauté, et un peu de cette eau est versée sur chaque tête. Le long entraînement scandé par la baguette de rotin comportera des années ' au moins dix ' d'exercices d'hyper-extension des bras, des doigts, des jambes, non seulement en vue d'un assouplissement toujours plus accompli, mais afin d'obtenir des gestes plus qu'humains.
Les coudes en dehors, les mains retournées, les jambes dans la position de « l'envol » ne relèvent pas de l'acrobatie gratuite mais de l'imitation des êtres de la légende. Au bout de son apprentissage, la danseuse sera experte aux combats qui se passent dans les nues, et la cadence des « fuites aériennes » l'aura transfigurée. Les rôles de singes et de démons, géants ou ogres, les yaks, auront transformé les agiles danseurs, les uns en bondissants et comiques petits habitants de la forêt, les autres en grands balourds manieurs de gourdins, dont le seul masque révèle qu'ils sont le parti des méchants.
La tradition classique n'accordait que des rôles féminins au Lokhon Boran ou théâtre ancien, et des rôles masculins au théâtre masqué, le Lokhon Khol. Aujourd'hui, singes et yaks sont des rôles masqués masculins dans la représentation du Ream-Ker.
Enfin l'apprentissage se termine par une cérémonie de clôture célébrée un jeudi, au cours de laquelle récitations, offrandes, musique, exercices de danse se succèdent, et où sont remis les coiffures, masques et attributs de chaque personnage. Etonnante célébration, où l'on peut admirer à travers l'encens et la lueur des bougies les tiares étincelantes des princes, les faces grimaçantes des ogres, les mufles guillerets des singes posés sur une estrade recouverte d'étoffe blanche, dominés par le masque-aux-dix-visages du roi des démons et la face étrange de l'Anachorète'
C'est merveille que de nos jours, dans un pays si meurtri, où beaucoup de jeunes n'ont plus accès à leur patrimoine culturel et où bien des maîtres et artistes ont disparu, la transmission ait survécu intacte, portée par quelques-uns, dans l'isolement et le dénuement : et voici les instruments de musique traditionnels reconstituant l'orchestre, les costumes brodés, pailletés, les masques façonnés, les diadèmes incrustés de pierres aux feux multicolores. Surtout, voici ressuscitée cette chorégraphie raffinée, sophistiquée, unique dans son langage du silence, dans son symbolisme des gestes et des poses. C'est la pantomime de l'irréel, où rien n'est exprimé selon des normes uniquement terrestres, c'est le jeu des équilibres difficiles où statique et dynamique s'opposent et se rejoignent, où mesures, soupirs et points d'orgue naissent du corps lui-même. Art savant, codifié, délicieusement concerté' Quintessence de la Danse.
Hommage à tous ceux qui gardent vivante cette fleur de l'art universel.

Les instruments de l'orchestre.
La danse classique khmère est accompagnée par un ensemble instrumental, le pinpeat, (prononcer « pinpît ») que l'on retrouve à quelques variantes près au Laos et en Thaïlande. L'ancienneté des instruments qui le composent est attestée par les représentations qui en sont données sur les bas-reliefs des temples d'Angkor datant du douzième siècle.
De même que le gamelan javanais et le gong balinais, le pinpeat témoigne de la prédilection particulière des civilisations de l'Asie du Sud-Est pour les percussions mélodiques, qu'il s'agisse de xylophones, de métallophones ou de carillons de gongs.
L'orchestre est conduit par le sampho, un tambour horizontal à deux peaux, qui indique les départs et les temps de repos et donne le rythme. Le sampho est secondé par deux gros tambours obliques, les skor thom, et des cymbales au son très aigu, les chhing.
Les instruments à percussion mélodiques sont de trois sortes :
-Les jeux de gongs kong thom et le kong touch, comprenant l'un dix-sept et l'autre seize petits gongs bulbés disposés horizontalement sur un cadre circulaire au milieu duquel s'assied l'instrumentiste. Le premier joue les sons graves et le second les sons aigus. Ces deux instruments jouent la mélodie principale qui est ornementée et variée par les xylophones.
-Les xylophones roneat ek et roneat thung, accordés à l'octave, comportent respectivement vingt-et-une et dix-sept lames de bambou ou de teck disposées selon un plan incurvé sur une caisse de résonance en forme de barque. La caisse est posée sur un pied.
-Le métallophone roneat dek comprend vingt-et-une lames de bronze. Son jeu suit fidèlement celui des jeux de gongs.
-Le hautbois pey âr apporte à l'ensemble sa sonorité lumineuse et deux chanteuses interprètent le livret.

De tradition plus tardive, l'ensemble mohori est spécialisé dans les musiques de divertissement, notamment les chants alternés aye-aye utilisés dans les « cours d'amour ». Il se compose généralement de vièles à deux cordes de tailles diverses, tro-ou, tro-chhê, tro-khmer, d'un luth chapey, d'une cithare takkhê, de flûtes, de xylophones roneat, de deux tambours et de cymbales.

Une renaissance, par Françoise Gründ, Directrice artistique, Maison des Cultures du Monde.
Le petit escalier raide débouche sur une terrasse dallée, entourée d'une balustrade. Les têtes touffues des manguiers et des frangipaniers cherchent à pénétrer dans la véranda couverte d'un toit pentu. Une vingtaine de gamines maquillées, lourds chignons sombres sur la nuque, graciles dans les soies drapées de leur costume d'entraînement, ne quittent pas des yeux une dame qui remue un doigt, puis l'autre, retourne ses phalanges, et étirant le bras dans un angle anormal place sa main en position de hameçon retourné. Les jeunes filles ' âgées environ de six à vingt ans ' reproduisent le mouvement tandis que tinte le son aigrelet d'un gong circulaire qui ne bat maintenant que pour rythmer l'exercice.
"Elles accrochent le ciel!" me souffle ma voisine, une chorégraphe d'une cinquantaine d'années, autrefois danseuse au palais royal. Il est vrai que le mouvement de mains retroussées vers l'arrière, d'orteils à angle droit par rapport au sol, de toits des pagodes en forme d'arcs ouverts, d'épaulettes de soldats divins sur les bas-reliefs des temples de pierre, reste une constante dans l'esthétique khmère. Des centaines d'autres signes codés existent et se manifestent particulièrement dans la danse royale.
Le destin de cette danse, à la fois sacrée et de cour, colle comme une seconde peau à l'histoire du Cambodge.
Depuis des millénaires, de délicates beautés dansent pour le souverain et ses hôtes, aussi bien que dans les pagodes au moment des fêtes religieuses. Le roi représentant Dieu sur la terre, elles se mettent au service du divin. D'autre part, du fait du répertoire, elles deviennent elles-mêmes des créatures célestes puisqu'elles interprètent des rôles de déesses, de fées et de magiciennes. Au Cambodge, le Bouddhisme du Petit Véhicule n'a jamais cessé de faire des emprunts à l'Hindouisme polythéiste. Les capitaines des singes, les dragons-princes, les créatures divines des eaux et des airs ne cessent de se côtoyer dans les pièces de danse. Celles-ci, toutefois, reposent sur une ossature unique : l'éveil du Naga ou les mouvements générateurs de vie du grand serpent primordial, coeur du mythe fondateur du Cambodge. C'est cette origine qui donne à la danse son caractère hiératique et ondulatoire qui se poursuit au-delà des siècles.
Une rupture mortelle se creuse après les années soixante, dès que commence le génocide. Et sans pitié, les Khmers rouges exécutent les danseurs et les maîtres de musique. Rien ne doit subsister des splendeurs de la culture khmère.
En 1990, lorsque je peux enfin pénétrer au Cambodge, je n'aperçois que des survivants, qui sous les grands arbres de ce qu'est devenu aujourd'hui le Conservatoire du Cambodge, tentent, malgré leur épuisement, de transmettre la science des sons et la précision des mouvements de la danse à des jeunes gens avides d'avoir accès à leurs connaissances. Un sentiment intense gagne tous ceux qui se tiennent à proximité : les étudiants anxieux, les professeurs épuisés et les observateurs au comble de la stupéfaction.
Aujourd'hui, en 1994, les artistes sont de nouveau debout. Le Théâtre National du Cambodge, ayant réussi à maintenir une équipe réduite de danseuses et de musiciens de l'ancienne génération, fusionne avec les jeunes filles de l'Ecole de Danse du Conservatoire.
Une triple impulsion contribue à la création d'une entité nouvelle : le Ballet Royal du Cambodge. Les Khmers peuvent se réapproprier le nom de leur danse sacrée, leur répertoire, leurs gestes codés engendrant tout une symbolique. Ils ont aussi la possibilité de pratiquer un enseignement intensif jumelé à une reconstitution des instruments de musique et des costumes.
La première impulsion émane de la princesse Bopha Devi, fille du prince Sihanouk, ancienne danseuse royale, âgée aujourd'hui d'une cinquantaine d'années, qui prend à coeur son nouveau rôle de directrice du Ballet Royal. Elle tient à sauvegarder ce qui subsiste ainsi qu'à exhumer ce qui a été enfoui ou abandonné pendant de si nombreuses années. Inspiratrice autant que femme de terrain, elle dispense elle-même un enseignement raffiné et attentif.
La seconde impulsion vient du Ministre de la Culture, Monsieur Nouth Narang. Celui-ci souhaite promouvoir la danse sacrée (ou royale, ou encore classique) et faire de sa jeune vie, une priorité. Pour cela, il mêle les danseuses du Théâtre National aux jeunes filles de l'Ecole de Danse. Créant l'idée de pépinière, il met en place une assurance pour le futur en même temps que de nouvelles structures d'apprentissage, basées à la fois sur la transmission traditionnelle et un système d'osmose artistique.
La troisième impulsion, celle de Chérif Khaznadar, directeur de la Maison des Cultures du Monde et du Rond-Point / Théâtre Renaud-Barrault, correspond à la continuité logique d'une action de collaboration artistique établie entre la France et le Cambodge depuis le dix-huitième siècle.
Voici comment ce courant est né puis s'est développé : les danseuses, jouant aussi bien des rôles féminins que des rôles masculins ont besoin d'une préparation de quatre heures avant chaque spectacle parce que toutes les parties de leur costume de danse sont cousues sur leur corps.
C'est à la fin du dix-septième siècle qu'apparaît au Cambodge le goût pour les velours en ce qui concerne les costumes et les accessoires royaux. Les danseuses du Ballet Royal, devenant les favorites du souverain et faisant désormais partie de la famille royale, commencent à porter du velours, même pendant le déroulement de la danse. Et cette matière fait désormais partie du vêtement quasi rituel, surtout en ce qui concerne le justaucorps moulé sur la poitrine ainsi que la large écharpe portée en bandoulière. Or, le Cambodge ne fabrique pas de velours ! Grâce à ses bonnes relations avec la France, le pays reçoit chaque année pour les besoins du Ballet Royal, un don de pièces de velours français. Ainsi la France participe à la vie du Ballet.
Bien entendu, avec la guerre, les relations culturelles sont interrompues, jusqu'à ce que Chérif Khaznadar décide de renouer avec la tradition. Il ajoute au don de textiles plusieurs dizaines de kilos de cabochons métalliques et de fins fils torsadés dorés, dont la France possède l'exclusivité de la fabrication et qui vont servir à confectionner ces broderies-sculptures qui orneront les écharpes-bandeaux, les collerettes-pectoraux, les épaules à pointes retournées ainsi que les tiares pointues à trois étages, et établir ainsi un nouveau vestiaire de la danse royale.
Aujourd'hui, la renaissance du Ballet Royal du Cambodge est due à la fois à l'inébranlable volonté des Khmers de garder leur identité par la défense de leur culture ainsi qu'à un réseau de collaborations et d'attentions pleines de chaleur et d'émotion.

PROGRAMME
1.Démonstration
des gestes codés par une danseuse de l'ancien Ballet Royal à une toute jeune fille
2.La princesse et la fleur
Poème lyrique sur la recherche des unions célestes. Rencontre d'une créature divine avec une fleur, puis un prince.
3.Tchung po (Danse des souhaits)
Dans cette danse agrémentée de jets de pétales parfumés, les ballerines expriment à leur souverain et à ses hôtes leurs voeux de bonheur et de paix.
4.Bung sung
Une femme vêtue d'un costume masculin blanc brodé d'or représente le dieu androgyne Bhrama. Cette danse que l'on dit originaire de Birmanie participait autrefois à la sacralisation du pouvoir royal. Présentée devant le souverain dans la plus stricte intimité, elle étaitcensée appeler sur lui la protection divine.
5.Ream Lak, Chup Lak (Le fils de Rama et le fils de Lakshmana)
Extrait du Ream ker (version khmère du Râmâyana). Les deux jeunes garçons, dont les rôles sont ici interprétés par de petites filles de dix ans, partent chasser dans la forêt. Ils y rencontrent Hanuman, le capitaine des singes, avec lequel ils combattent avant de conclure une alliance.
6.Les éventails
Danse pure. Le souverain offrait ainsi à ses hôtes la vision de la sérénité.
7.Apsaras (Les créatures célestes)
Cette danse sacrée participait aux cérémonies d'offrandes lors des sacrifices saisonniers ainsi qu'aux grandes fêtes palatines.
8.Mekala (La jeune femme et le géant)
Cette danse symbolise la victoire du bien sur le mal. Une créature divine triomphe d'un génie grâce à son intelligence et sa balle magique.
9.Musique de cour par l'ensemble pinpeat
10.Tep monorom (Le bonheur céleste)
Des créatures célestes, hommes et femmes dansent la joie de se retrouver dans la pureté des élans et des sentiments.
Voir 6 pages de notes de F. Gründ dans programme papier.

Origine géographique

Cambodge

Mots-clés

Date (année)

1994

Cote MCM

MCM_1994_KH_S1

Auteur val

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Titre Localisation Date Type
Cambodge. Ballet Royal. Affiche Cambodge 1994-03-23 Affiche
Titre Localisation Date Type
Saison 1994 1994