Ressource précédente
Ressource suivante

Japon. Théâtre Nô, Kanze Hideo. Spectacle

Collection

Type de document

Évènement

Titre

Japon. Théâtre Nô, Kanze Hideo. Spectacle

Date

1983-06-22

Artistes principaux

Lieu de l'évènement

Type d'évènement

Théâtre

Description de la pratique

Théâtre de l'Alliance, 22 juin 1983.
Le nô est un théâtre qui pour l'essentiel a pris la forme que nous lui connaissons vers la fin du XIVe siècle. Ce sont les efforts déployés par deux hommes, Kan.ami (1333-1384) et plus particulièrement son fils Zéami (1363-1443), qui ont réussi à donner un statut artistique autonome à ce qui n'était auparavant qu'un spectacle populaire, à la fois cérémonial agraire et divertissement forain.
Le terme même de nô, au XIVe siècle, indiquait la partie dramatique d'un spectacle, qui consistait en l'imitation d'une action imaginaire, tirée de fables sacrées ou profanes. Le genre pour lequel travaillaient Kan.ami et Zéami est le sarugaku: originellement jeu de singes, le terme au moyen âge a une signification à la fois vaste et précise:
Dans son étendue la plus vaste, il désignait tous les jeux forains, jongleries, acrobaties, mimiques satiriques, danses cérémonielles, etc., mais, dans une acception plus restreinte, il s'appliquait à une forme de spectacle fondée sur la théâtralisation du rite de fertilité (Okina' ou le Vieillard sacré) à laquelle venaient s'ajouter des pièces sur les démons ou sur les héros de la littérature ancienne. C'est ce nô de sarugaku qui a connu un grand épanouissement avec Kan.ami et Zéami.
Il existait dans le jeu de nô de sarugaku deux tendances majeures : celle d'Omi, région proche de la Capitale et de son raffinement, était marquée par la beauté plastique et sensuelle du spectacle ; celle de Yamato (actuellement Nara), était caractérisée par un souci plus robuste de fidélité mimétique et de cohérence dramatique. Kan.ami et Zéami appartenaient à cette dernière, mais ils réalisèrent une sorte de synthèse de ces deux tendances pour inaugurer un style qui leur fut propre. On attribue généralement à Kan.ami l'intégration, dans la dramaturgie du nô, d'un style de danse narrative chantée, très à la mode à l'époque. Mais c'est son fils Zéami, qui, tout en continuant la voie paternelle, parvint, grâce à sa pratique d'acteur, d'auteur, de compositeur et de metteur en scène, à codifier différentes formes de nô (parmi lesquelles celle du nô onirique à deux parties) tant par ses 'uvres qui sont tous chefs-d''uvre que par les traités secrets qu'il écrivit sur son art.
Ce nô onirique à deux parties se déroule en général de façon suivante : un moine en pélerinage arrive en un site littéraire célèbre : c'est, par exemple, un temple dédié à un héros du roman courtois. Il y rencontre une jeune femme à qui il demande le récit détaillé de l'épisode qui est étroitement lié à cet endroit. La jeune femme commence à raconter cette histoire à la troisième personne, et à la fin de son récit, elle se révèle être le fantôme de l'héroïne qui vient demander au moine une prière pour le salut de son âme. Elle disparaît. Un interlude, confié à un acteur de kyogen, reprend sur le mode prosaïque, le récit de l'héroïne. Tandis que le moine s'endort en faisant sa prière, l'héroïne réapparaît sous sa forme véritable et danse, en reproduisant l'aspect le plus fascinant du personnage : lorsque la cloche du temple sonne à l'aube, elle s'évanouit comme le rêve du moine.
Cette forme de nô rappelle, malgré son raffinement poétique, certaine structure archétypale du rite agraire du Japon ancien : dans un premier temps, l'incantation, l'invocation du dieu ou du démon par l'officiante, et dans un second temps, la possession de l'officiante, et sa transformation, par cette forme surnaturelle.
C'est en opérant la synthèse des éléments positifs de différents spectacles populaires de l'époque que Zéami a su créer une forme de théâtre qui intègre en elle-même divers courants culturels contemporains, tels que la poésie traditionnelle et sa poétique (basées sur l'esthétique de l'ambiguïté et la suggestion) et la philosophie zen qui fondait l'esthétique de l'intensité et du vide.
Or ce qu'un Japonais éprouve aujourd'hui devant les meilleures représentations de nô relève effectivement de ces deux esthétiques en apparence contradictoires : le principe de l'ambiguïté et celui des intensités. Le tissu poétique du discours, caractérisé, non par les simples emprunts érudits à la littérature ancienne ou moyenâgeuse, mais par le processus, voire le jeu, de transformation de ces emprunts dans la texture scénique, dramatique musicale ;
une musique que les cris poussés par les musiciens doivent rendre surprenante, et qui en dépit d'une certaine uniformité apparente finit par devenir captivante par son jeu de délicate balance entre les rythmes, le tempo, l'alternance des intensités et la sinuosité mélodique ;
ce jeu de l'acteur, qui par une concentration soutenue durant deux heures de toutes ses forces physiques et psychiques parvient à représenter la quintessence de la grâce féminine ;
ces masques dont l'absence d'expressions précises les rend, selon le contexte dramatique du jeu, plus intensément expressifs :
ces costumes, tout en défiant le souci de réalisme, restent à la fois fonctions et signes :
une minimisation, enfin, poussée presque jusqu'au dépouillement, des moyens d'expressions scéniques et théâtraux .
Tout cela nous incite à constituer et en nous-mêmes et dans la réalité de l'espace scénique un drame à la fois mythique et humain, dans lequel nous lisons quelques figures qui, traversant la nuit des temps, reviennent vers nous, figures toutes chargées de textes étranges et familiers qui doivent faire partie de notre fond inconscient.
Voici quelques éléments constituant un spectacle de nô tel qu'il se déroule dans une salle spécialisée en nô :

La scène
Elle est en bois, et se compose d'une estrade carrée de 5,40 m environ de côté, prolongée sur la gauche par une galerie d'une dizaine de mètres de longueur fermée par un rideau : c'est lepont, qui assure l'entrée et la sortie des acteurs et des musiciens, et sert parfois également de lieu scénique. Mais ce passage entre la coulisse et le plateau revêt aussi un aspect symbolique ; c'est l'endroit où l'acteur quitte le monde des hommes pour parvenir en ce lieu immatériel où se déroule le plus souvent l'action toute spirituelle du nô. C'est pourquoi, avant de pénétrer sur le pont par le rideau qu'on a soudain ouvert devant lui, l'acteur s'est si longuement concentré en contemplant sa propre image dans la "chambre du miroir".
Au fond de la scène proprement dite, un espace étroit est prévu pour les assistants, qui entrent et sortent, ainsi que le choeur, par une petite porte pratiquée dans la paroi ; à droite, une galerie fermée par une balustrade est d'ailleurs réservée au choeur qui s'y tiendra assis pendant toute la durée de la pièce.
Les piliers qui délimitent la scène jouent un rôle important : imposant aux comédiens une position traditionnelle sur le plateau (le waki vient ainsi le plus souvent s'asseoir près du premier pilier de droite, qui porte d'ailleurs son nom), ils servent aussi de points de repère à l'acteur principal, dont la vue presque entièrement obstruée par le masque ; points de repère aussi les trois pins plantés le long du pont.
Quant à l'image de grand pin qui couvre presque entièrement la paroi du fond, elle est là pour rappeler l'origine rituelle de ce théâtre : elle est censée représenter l'arbre de pin par lequel un dieu visitait le pays pour y apporter sa bénédiction.

Les musiciens
On les entend tout d'abord s'accorder en coulisse ; puis ils pénètrent sur le pont par le rideau entrouvert, et viennent s'asseoir vers le fond de la scène, les uns à terre (le flûtiste et éventuellement le joueur de tambour), les autres sur le petit siège qu'ils déplient devant le public.
- La flûte est une traversière qui laisse largement percevoir le souffle même de l'instrumentaliste ;
- Le petit tambourin est tenu à l'épaule ; on frappe à main nue sur sa peau humidifiée ;
- Le grand tambourin est posé sur le genou ; on frappe sa peau sèche avec des doigtiers de morceaux de papiers collés et solidifiés ;
- Le tambour, posé sur un piédestal, intervient parfois dans la seconde partie de la pièce pour souligner l'apparition d'un personnage démoniaque ou sacré.
Ce petit ensemble va ainsi accompagner l'ensemble du spectacle, les percussionnistes ponctuant leur jeu de cris destinés entre autres à souligner les temps forts de la rythmique.

Le choeur
Il est ordinairement composé de huit chanteurs, qui entrent par la petite porte du fond, s'assoient sur la droite en une double rangée et chantent à l'unisson, l'éventail fermé touchant alors le sol. Le rôle de ce choeur est soit d'ordre descriptif, soit d'intervenir en lieu et place des acteurs lors des scènes de narration ou de danse.

Les accessoires
Ils sont souvent apportés au début de la pièce par un ou des assistants. Ce sont les seuls éléments de décor dans ce théâtre.

Les acteurs
L'orchestre et le choeur se sont installés, l'accessoire a été apporté sur la scène. C'est maintenant au tour des acteurs de pénétrer sur le plateau : à l'extrémité du pont, le rideau, qui n'avait fait que s'entrouvrir pour l'entrée des musiciens, est alors levé brusquement pour laisser le passage au waki : l'exposition lui est confiée, mais il se cantonnera bientôt dans une attitude passive. Le waki, c'est celui qui est à côté, le waki-tsuré n'est qu'un compagnon, parfois même un comparse ; celui qui agit (le shité) est à venir. Il entre lentement sur le pont, le visage presque toujours recouvert d'un masque (curieux masque d'ailleurs, qui laisse à nu la partie inférieure du menton) : c'est le plus souvent un être en proie à une passion violente, qui se transformera dans la deuxième partie de la pièce en un démon terrifiant ou un fantôme vengeur. (Dans des cas plus rares, les shité de la première partie : maé-jité, et de la seconde partie : nochi-jité, sont des personnages différents).
Le plus souvent il s'agit donc pour l'acteur principal de changer totalement d'aspect durant l'interlude que l'on confie à un acteur de kyôgen ou aî : dans la langue plus prosaïque qui est celle du genre comique, ce dernier rappelle généralement la succession des événements qui se sont déroulés jusque là. Puis il quittera la scène, pour revenir après la fin du nô interpréter avec ses camarades l'un de ces intermèdes comiques, ou kyôgen qui, lors d'une représentation traditionnelle, intervient nécessairement entre chacun des nô du programme.

Moriaki WATANABE, Professeur à l'université de Tokyo

Les artistes
KANKE Hidéo, acteur
ASAMI Masakuni, acteur
ASAI Fumiyoshi, acteur
ISSÔ Hisayuki, flûte
KITAMURA Osamu, petit tambourin
KAKIHARA Takashi, grand tambourin
KODERA Sashichi, tambour
La démonstration de Nô est présentée et commentée par le Professeur WATANABE Moriaki

Kanze Hidéo
Né à Tokyo en 1927, il commence très tôt l'apprentissage du Nô et, à I'âge de 5 ans, joue le rôle de Shité dans le Tadanobu. Après l'université en 1952, il se plonge parallèlement dans la lecture profonde de Zeami et commence des études dramaturgiques. Il part à l'étranger et réalise plusieurs mises en scène de Sophocle à Berlin-Est en 1970, à Paris l'Aurore bleue de Takemitsu en 1971.
En 1972, il participe à un séminaire organisé par l'Odin - Théâtre au Danemark, puis donne une représentation de Nô au Bitef.
En 1974, il est à New-York et joue Le ciel, la terre et l'homme de Toshi Ichiynagi.
En 1976 il met en scène l'opéra Shunkin shô de Minoru Miki puis, au théâtre d'Orsay de nouveau à Paris, ainsi qu'en Belgique, à Stockholm et à Berlin, il donne des représentations de Nô. Il fait encore les mises en scène de la Bonne Ame de Sechuan de Brecht, de Ma Maison est le Paradis de Vina del Mar et présente Onibaba de Kaneto Shindo.
En 1978, il monte Donnagarsha de Tatasuji Moguchi et Idoménée de Mozart.
Hidéo Kanzé continue depuis 1979 ses mises en scène et tournées qui le verront présenter simultanément des 'uvres contemporaines de spectacles de Nô en Islande, en Grèce, en Pologne, en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Finlande et au Théâtre des Nations à Sofia en Bulgarie.

Programme
Le nô : Akogi (deuxième partie), nô de 4e catégorie
Le fantôme d'un pêcheur qui a profané la pêche réservée de la baie d'Akogi, consacrée à la Grande Déesse solaire d'Isé, montre à un moine en pèlerinage à la fois ses pêches sacrilèges et les tourments qu'il subit aux enfers, pour lui demander la prière pour le salut de son âme. La deuxième partie de ce nô constitue l'exemple même de transformation, selon l'esthétique propre à ce théâtre, de la mimique gestuelle en une danse accompagnée de chants.

Le nô : Tôru (deuxième partie), nô de 5e catégorie
Un des chefs d''uvre de Zéami, ce nô évoque, dans la ruine du jardin de Rokujô-kawaranoïn, la prestigieuse existence du ministre Minamoto no Tôru, qui, ayant fait construire un immense jardin à l'image de l'un des plus célèbres sites du Japon, y passait une vie de fêtes. La première partie, dont le texte est parmi les plus beaux de Zéami, fait revenir le fantôme du ministre Tôru sous la figure du vieux saunier, qui décrit la ruine du célèbre jardin : le site, par la magie du clair de lune automnal, commence à revivre son glorieux passé. La deuxième partie, constituée principalement d'une danse rapide, vous montre le ministre Tôru dans son splendide costume princier, qui tout en évoquant la magnificence de ses fêtes sur les eaux, va retourner au Palais de la Lune.
Dans notre programme la danse de Tôru sera exécutée sans costume de scène, une formule de performance qu'on appelle maï-bayashi (danse seule avec l'accompagnement instrumental).

Le nô : Djôji (version abrégée des première et deuxième parties), nô de 4e catégorie
Ce nô, dont le titre signifie le nom d'un temple célèbre précisément par la légende même qu'il met en scène, a pour figure centrale une jeune fille trahie, qui par la force de sa jalousie se transforme en serpent monstrueux et se venge de son amant infidèle, caché sous l'énorme cloche du temple Dôjôji, qu'elle fait fondre par sa flamme maléfique. La première partie montre le fantôme de la jeune fille qui arrive au temple, alors que vient d'être inaugurée la nouvelle cloche sur le lieu même du drame. Elle se présente sous les apparences de la grâce et de la séduction et exécute deux danses, très différentes l'une et l'autre. La première d'un immobilisme hiératique quasi total, que ponctuent de temps à autre de brusques changements d'attitude de l'acteur, suscités par les cris rauques de l'instrumentiste et par des coups secs que celui-ci produit sur le petit tambourin. La seconde, au contraire, d'une accélération vertigineuse qui finit par l'engloutissement de l'acteur dans la cloche qui tombe. Dans la deuxième partie, l'acteur principal réapparaît, mais cette fois sous la forme d'un serpent démoniaque, et la lutte s'engage entre lui et les moines qui réussissent dans les derniers instants à l'exorciser. Il est à signaler que Dôjôji n'est pas une pièce pour laquelle l'intelligence du texte est indispensable : la fable, qui y est représentée, est facile à saisir, et le spectateur n'a qu'à concentrer toute son attention sur ce qui se passe matériellement sur la scène.
Un cérémonial qui est organisé selon un hiératisme austère et dont la fonction magique demeure visible, le nô deDôjôji est effectivement constitué, dans sa première partie, de l'incantation des mânes tragiques, et dans la seconde partie, de l'exorcisme par les moines du démon maléfique. Ce nô est d'ailleurs considéré comme un des plus difficile à jouer, et seul un acteur qui atteint une parfaite maîtrise de son art peut en donner une interprétation satisfaisante.

M. WATANABE
- Akogi (2e partie) : Nô du pêcheur condamné (20')
- Concert instrumental (10')
- Concert avec danse : Nô de Tôru (15')
- Dôjôji (extrait) : Nô de la Cloche (30')
La venue en France de Hidéo Kanze et des artistes qui l'accompagnent a été organisée par
La Maison des Cultures du Monde avec la collaboration de l'Association
Française d'Action Artistique dans le cadre de JAPON 83.
La tournée en Europe a été réalisée par le Comité pour les Arts Extra-Européens (E.E.A.)

Origine géographique

Japon

Mots-clés

Date (année)

1983

Cote MCM

MCM_1983_JP_S9

Auteur val

Ressources liées

Filtrer par propriété

Titre Localisation Date Type
Saison 1983 1983