Monde Arabe. Parloir Maghrebin. Théâtre international de langue française. Spectacle
Collection
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Évènement
Titre
Monde Arabe. Parloir Maghrebin. Théâtre international de langue française. Spectacle
Sous-titre
direction Gabriel Garran
Date
1990-03-28
Date de fin
1990-04-07
Artistes principaux
Direction artistique
Lieu de l'évènement
Type d'évènement
Théâtre
Description de la pratique
28 mars-7 avril 1990. Lectures théâtrales de textes inédits pour le théâtre avec un collectif international d'acteurs.
28-29 mars 1990,
Yacoub Abdellatif (Algérie)
'Ahmed Bouffe Tout, la gamelle et les fourchettes avec'
Régie: Medhi Charef
30-31 mars 1990
Ilia Driss (Maroc) 'Confusions'
Régie : Farid Paya
31 mars - ler avril 1990
Tahar Ben Jelloun (Maroc) 'Moha le fou, Moha le sage'
Régie : Malek Kateb
3-4 avril 1990
Fatima Gallaire (Algérie) 'Les Co-épouses'
Régie : Maurice Attias
5-6 avril 1990
Taïeb Sbouaï (Tunisie) 'Le rêve suspendu'
Régie : Alain Rais
Samedi 7 Avril
Hommage à Kateb Yacine
Projection du film de Kama1 Dehaene
'Kateb Yacine, l'amour et la Rencontre d'écrivains, d'artistes et de journalistes autour de l'oeuvre et de l'homme
'Le cadavre encerclé' lu par Armand Gatti
Le Québec et les Afriques constituent hors Europe des terres de paroles et d'élection d'une littérature de langue française.
Mais sa mouvance réside également là où le poète, la plume, les lèvres ont choisi de s'extérioriser à travers elle. D'où cette quête constante de découvertes et d'investigations qui nous amène aujourd'hui à des paroles théâtrales françaises d'origine maghrébine.
Que des algériens, des marocains, des tunisien écrivent d'un mouvement naturel en cette langue, est réalité qui n'enlève rien à l'arabophobie mais au contraire nous enrichit mutuellement.
De Villon à Yacine le cri ne s'arrête pas à des frontières.
Je n'ai fondé le Théâtre International de Langue Française que pour dire cela.
Gabriel Garran.
Yacoub Abdellatif est né à Tigzit-sur-mer en Algérie, en 1957. Ses parents quittent l'Algérie pour la France en 1962, il a alors cinq ans. Il est actuellement étudiant en Langues Orientales à l'université d'Anières-Gennevilliers.
De nationalité française, ses écrits témoignent tous de la difficile quête d'une identité.
Pour le théâtre, il écrit : "Un homme à la mer", "Méditations clandestines d'un paranoïaque professionnel", "Ahmed Bouffe Tout la gamelle et les fourchettes avec", " Jeux de maux"
Il est également l'auteur d'un roman inédit "Les treize lycées d'Ahmed", d'un recueil de poèmes "Etats d'âme" et de deux scénarios.
Ahmed est arrêté par les douaniers. Ahmed s'arrête à la frontière algérienne, à la frontière française. En Algérie, famille déchirée par la guerre. En France, la drogue, les casses, les avocats véreux, la misère et le rêve de frimer au cinéma. Où est le pays d'Ahmed? Il ne lui reste plus qu'à dialoguer avec lui-même, avec Ahmed bis, à cracher tout seul les mots de l'amertume et de la révolte, à trouver dans ce désaroi un endroit où faire son lit.
Mehdi Charef est né en 1952 à Maghnia (Algérie). Après un passage en usine comme affûteur, il écrit son premier roman "Le thé au harem d'Archi Ahmed" paru aux éditions Mercure de France en 1983. Il adapte ce roman pour le cinéma et le film qu'il réalise est plusieurs fois primé (prix Jean Vigo). En 1989, il met en scène "Amour sans séjour" à Grenoble et publie un second roman aux éditions Mercure de France "Le harki de Meriem".
Ilias Driss est né à Fès au Maroc en 1959. Dès l'âge de vingt ans, il participe activement à la vie culturelle de son pays (articles, ciné-clubs, animation théâtrale).
En 1982, il s'installe en France. Il suit un séminaire de cinéma à l'Ecole des Hautes Etudes.
Tout en continuant à publier des articles en langue arabe, il écrit de nombreuses pièces de théâtre en langue française, dont : "La chaise vide","le jardin", "Promenades", "Braises", "Confusions", "Parlez-moi du Liban". "Promenades" a fait l'objet d'une lecture publique dirigée par France Darry dans le cadre de Théâtre à Une Voix, au théâtre Essaïon.
En 1987, il publie "Une écriture d'exil" dans un livre collectif consacré à l'immigration "La société française et l'immigration maghrébine"
Etrange pièce où une femme vient rendre visite à son mari mort auprès duquel se trouve une dame inconnue L'épouse est arabe et le mari français.
Le mariage comme simulacre d'une fusion possible entre les cultures.
Devant ce mari déjà mort, devant "l'acceptation inconditionnelle, l'identification ineffable et insensée'' réclamées à l'épouse par le clan du mari, il ne reste à celle-ci que le droit à la mort "parce que la mort est l'échec de toutes leurs tentatives de vous assimiler".
Farid Paya, né en 1947 à Téhéran, ingénieur de l'Ecole Centrale, auteur dramatique et metteur en scène, est directeur fondateur de la Compagnie du Lierre installée au Théâtre du Lierre depuis 1980. Parmi ses nombreuses mises en scène, il faut noter : "Les Pâques à New-York" d'après Blake Cendrars, "Oedipe-Roi" de Sophocle, "L'Opéra nomade" (théâtre chanté, conception de Farid Paya), "Electre" d'Yves Plunian, "J'irai vers le nord, j'irai dans la nuit polaire" opéra de Kasper T. Toeplitz, et tout dernièrement "Patio" spectacle du quatuor vocal Nomad. Par ailleurs, Farid Paya a participé à des ateliers de recherche vocale lors d'émissions radiophoniques et assure de nombreux stages en France et à l'Etranger.
Tahar Ben Jelloun est né à Fès au Maroc en 1944. Il étudie et enseigne en France la philosophie et la sociologie.
En 1973, il publie son premier roman "Harrouda" (éd. Denoël). Depuis, beaucoup d'autres ont suivi, principalement publiés au Seuil, dont : "Moha le fou Moha le sage", "La prière de l'absent", "L'enfant de sable", "La nuit sacrée" (prix Goncourt 1987).
Poète, il publie aux éditions Maspéro "Les amandiers sont morts de leurs blessures", "A l'insu du souvenir" et une anthologie de la nouvelle poésie du Maroc "La mémoire future"
Pour le théâtre, il écrit "Chronique d'une solitude" créée par Michel Raffaeli en 1976 au festival d'Avignon, et "La fiancée de l'eau" créée par Charles Tordjman en 1984 au Théâtre Populaire de Lorraine. D'autre part, en 1982, Antoine Vitez crée au Théâtre National de Chaillot "Entretien avec monsieur Saïd Hammadi, ouvrier algérien".
Sur la place publique, dans les bidonvilles ou les quartiers riche, dans les mosquées dans les banques, dans la forêt, dans le désert, dans le cimetière où on l'enterre, Moha ne cesse de parler. Sa voix court, réveille son peuple, du banquier au patriarche, de la petite domestique à l'esclave noire. Et chacun à son tour de parler' Mémoire de tout un peuple, mise en garde contre l'oubli. Moha, dépositaire, gardien, troubleur de conscience. Chant lyrique et puissant qui ne peut tarir car il est la tradition maghrébine même'
A la demande de Tahar Ben Jelloun, Malek Kateb a adapté ce roman pour la scène. Malek Kateb, comédien algérien, a participé à la création du Théâtre National Algérien. Il y a joué de nombreuses pièces en arabe avec Abdelkader Alloula, Ould Abderrhamane Kaki, Mustapha Kateb' En France depuis 1966 il a travaillé, entre autres, avec Jean-Marie Serreau, Pierre Debauche, Christian Dente, Jorge Lavelli, Bernard Sobel, André Engel, Anne Delbée.
Fatima Gallaire est née en Algérie. Elle a fait une licence de Lettres à l'université d'Alger et une licence de cinéma à la faculté de Vincennes Ses premières oeuvres sont des nouvelles.
"Jessie ou l'appel du désert" paraît aux éditions Syros dans le recueil "les meilleures nouvelles de l'année (1988).
Sa première pièce "Ah !vous êtes venus... là où il y a quelques tombes" est mise en espace au Petit Odéon dans le cadre de la semaine des auteurs organisée par la S.A.C.D. (1986). Elle est créée au premier Festival International des Arts, à New-York (1988). Publiée en français (édition des Quatre Vents) et en anglais (Ubu Theater), elle est en projet de montage à Paris dans une mise en scène de Jean-Pierre Vincent. Sa seconde pièce "Témoignage contre un homme stérile" est créée au Festival de l'Acte de Metz (1987) et publiée par l'Avant-Scène. Traduite en néerlandais, elle est jouée à Anvers en Octobre 1989. Après le Parloir Maghrébin, "Les Co-épouses" sera créée au Festival des Francophonies de Limoges en Octobre 1990, dans une mise en scène de Maurice Attias.
"Elles sont là. Elles sont là toutes. Mères, s'urs et mères-grand! A rire sous cape. A pleurer et à souffrir. A baisser la tête et à désespérer. Du fait d'un seul homme. Fils, Père, Frère, Epoux. Qu'importe? Elles sont là. Et elles continuent à donner la vie et l'espoir. A inculquer la solidarité aux petites filles - dont je suis? ' dans l'espace clos du champ domestique, le seul champ permis. Oui, elles sont là, dans ma mémoire. Je suis sortie pourtant. Je suis partie. Dans ce choeur qu'elles m'ont fait grand, j'ai dû les emporter tout au long de ces années de pérégrinations. Habitée que j'étais par leur discours étrange et parfois excessif. Celui-là même qui sera à jamais ignoré des hommes de la tradition. Comment les oublier' Co-épouse? Je le suis par sympathie. Co-épouses, elles le sont par la tragédie de leur destin' Ici, je leur rends hommage."
Fatima Gallaire.
Maurice Attias, né à Marrakech, formé au Théâtre-Ecole de Reims dirigé par Robert Hossein, assistant de Robert Hossein et Marcel Maréchal, a mis en scène, notamment, "L'échange", "Le Pain dur" et "L'otage" de Paul Claudel, "Ma mère" de Georges Bataille, "Les ensorcelés" d'après Barbey d'Aurevilly et dernièrement "Comme tu me veux" avec Fanny Ardant au Théâtre des Célestins à Lyon et au Théâtre de la Madeleine à Paris. Il est également professeur à l'Ecole de l'acteur-François Florent.
Taïeb Sbouaï, âgé de quarante ans, est né à Kairouan en Tunisie. Il vit en France depuis 1975. Instituteur puis professeur de l'enseignement secondaire, il est depuis cinq ans chargé de cours à l'université de Paris XIII. Il a publié un ouvrage critique sur le théâtre de Kateb Yacine: "La femme sauvage" (éd. De l'Arcantère) ainsi que de nombreux articles dans des revues et des ouvrages collectifs. Titulaire d'un doctorat de troisième cycle en Etudes Théâtrales, il a écrit pour le théâtre: "Les biens de main morte" et "Le rêve suspendu".
Dans le fracas de la guerre, deux femmes, belle-mère et belle-fille, attendent le retour du fils, du mari combattant palestinien. Deux femmes veillent un bébé peut-être déjà mort. Fièvre, angoisse, délire, ressassement jusqu'à la folie' quand survient un messager. Où sommes-nous? Tunis, Sabra, Shatila, Liban? Nous sommes dans l'horreur. Mais dans cette horreur, Taïeb Sbouaï délimite des îlots. D'une langue où alternent âpreté des dialogues et dérive poétique, il nous conduit vers un rêve suspendu'
Alain Rais, issu de la Comédie de Saint-Etienne (Jean Dasté), implanté à Martigues puis à Valence jusqu'à la fin de l'année 1986, aujourd'hui parisien, a monté des 'uvres du répertoire, des textes contemporains et des adaptations de textes narratifs ou poétiques. On a pu voir à Paris "Le chef-d''uvre sans queue ni tête" de Yannis Ritsos(1987), "Le livre de l'intranquillité" de Fernando Pessoa et "Pourquoi n'as-tu rien dit, Desdémone?" de Christine Brükner (1989) au Théâtre 14 ' Jean-Marie Serreau. Alain Rais est également écrivain. Il a publié plusieurs livres de récits (Flammarion) et de poésie (Oswald, Chambellan, Seghers, La Sétérée) et tout dernièrement "La cavatine du 13ème quatuor" (Comp-Act).
Kateb Yacine, Le "Maghrébin errant". Ce poète au chant bouleversant, soudainement émergé de l'Algérie profonde, a marqué de son "étoile de sang" toute la génération de l'après-Seconde guerre mondiale. Il est urgent de lire, d'entendre aujourd'hui ce grand autre de nous-mêmes, ce clandestin qui s'introduit dans notre mémoire à la faveur d'un équivoque passeport de langue française et nous dérange par tant de familiarité mêlée à tant d'étrangeté radicale. Alors que nous nous accrochons aux pans de notre identité, refusant de reconnaître que l'autre, depuis des siècles, est déjà en nous, Kateb nous force à nous décentrer, à entrer par mimétisme dans son jeu et son monde afin que, dans le "jardin parmi les flammes", notre coeur devienne "capable de toutes les formes".
Jacqueline Arnaud, universitaire, extrait de "L'oeuvre en fragment", édition Sindbad
Bibliographie : "Soliloques" (1946, édité à Bône),"Abdelkader et l'indépendance algérienne" (1948, ed. An-Mahda, Alger), "Nedjma" (1956, Le Seuil), "Le cercle des représailles", théâtre (1959, Le Seuil), "Le polygone étoilé" (1966, Le Seuil), "L'homme aux sandales de caoutchouc",
théâtre (1970, Le Seuil), "L'oeuvre en fragment" (éd. Sindbad). Pièces de théâtre en arabe, inédites: "Mohamed prend ta valise", "La guerre de deux mille ans", "La Palestine trahie" et "Le roi de l'ouest".
Gatti, Dante, Sauveur, né le 26 janvier 1924. Fils d'immigrés italiens; bon élève (dissipé) du petit séminaire; résistant, condamné à mort (gracié en raison de son âge); déporté (évadé); journaliste (prix Albert Londres); cinéaste, écrivain, metteur en scène ("La vie de l'éboueur Auguste G.", "Chant public pour deux chaises électriques", "V. comme Vietnam"') ; écrivain public itinérant et vidéographe. En 1983 fonde "l'Archéoptérix", atelier de création populaire pour jeunes en mal de vivre. En 1987, s'installe à Montreuil avec "La Parole Errante". En 1989, avec des taulards, écrit et représente "Les combats du jour et de la nuit" à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. Prépare à Marseille un spectacle sur la naissance du langage fasciste...
Des écrivains maghrébins témoignent de leur usage du français'
DU FRANçAIS COMME BUTIN
Il y a eu d'abord ma sortie au-dehors; le scandale de mon âge nubile.
La mobilité du corps de femme. Sans me rendre compte à quel point la voix avait à se tasser, à se terrer, parce qu'ensoleillée.
Solitude du départ. Sortie du harem, au début des années 50, pour les centaines ou les quelques milliers de maghrébines comme moi, grâce à l'étude du français, considérée comme chance. "Elle sort" disait la mère de sa fille, heureuse ou frileuse de cette chance orpheline, "elle sort parce qu'elle lit !". C'est-à-dire, en traduisant de l'arabe dialectal, qu'elle "étudie". Comme si le français des autres devenait stèle immense profilée à l'horizon, la marche du corps étant dirigée vers ce but. Comptait la marche même; un trajet individuel dans le silence concerté.
Comme si l'oralité du français allait habiller le dénuement du corps s'aventurant dans l'entre-deux qui séparait, qui sépare toujours, dans nos cités tumultueuses, les médinas des beaux quartiers, ou des bidonvilles. Si le dévoilement féminin ne se muait pas en dévoiement, c'était justement grâce à ce recours : le français comme "lecture-étude", et donc comme silence préalable, avant toute licence.
Prétendre écrire dès ma sortie de l'adolescence ne pouvait, en ce cas, que m'amener à utiliser le murmure, la "sotto voce". Malgré quelques mirages de l'histoire collective, nous ne sortîmes que l'une après l'autre de la claustration. Chacune seule dans la rue, sous le regard des frères et des cousins ennemis.
Un français de solitaire, une écriture qui serait de grelottement.
Toutes les premières tentatives, pour les femmes du monde arabe, de vouloir à la fois sortir au-dehors et "sortir en la langue différente" étaient risqué d'une double expulsion : que subissaient d'une part l'écriture même balbutiante (ravalée aussitôt à l'anecdotique ou au folklore) et d'autre part le corps parlant. Ecrire en la langue étrangère devient presque faire l'amour hors la foi ancestrale : le tabou, en Islam, épargne en ce cas les mâles, bien plus les valorise.
Si la langue ainsi brandie l'est souvent sans risque réel par les "jeunes hommes en colère" de la pré- ou de la post-décolonisation, il en va autrement des femmes. Parler hors la chaleur matriarcale, hors l'antienne de la Tradition, hors la "fidélité" - ce terme pris aussi au sens religieux - écrire à la première personne du singulier et de la singularité, corps nu et voix à peine déviée par le timbre étranger, rameute tous les dangers symboliques. Censure et anathèmes proviennent d'ailleurs, avec une prolixité hâtive, plus des nouveaux tribuns, fraîchement "modernisés", que des arrières de la tribu soupçonneuse... Toute femme écrivant qui s'avance ainsi hardiment, prend le risque de voir combien son chemin est miné.
Oui, du français comme butin, c'est-à-dire en emportant avec soi tout le champ (et le chant) de la guerre intérieure, à chaque instant de l'échappée hors harem. Butin arraché sur le voisin proche, sur le frère ou le cousin germain, pour une parole ancrée dans la mémoire de l'ombre populeuse.
Assia Djebar, écrivain algérienne
QUEL RAPPORT À LA LANGUE FRANçAISE ?
Cette question m'a toujours irrité. Pourquoi? Parce qu'elle est rarement objective, désintéressée. Le postulat de génie et d'universalisme - plus ou moins exclusifs - de la langue française étant posé, n'attend-on pas souvent des écrivains interrogés des déclarations d'allégeance et d'amour à cette langue? Piètre logique qui enferme l'écrivain dans le rôle d'usager activiste d'une langue au lieu de susciter un réel intérêt pour l'écrivain lui-même et son oeuvre! Il est temps de sortir de ces questions étroites, de ces sentiers battus où le complexe du colonisé et l'hégémonisme paternaliste d'antan reviennent sans cesse au galop.
Pour un écrivain engagé ou perdu dans l'aventure de l'écriture, la question n'est pas tant d'écrire dans telle ou telle langue. Elle est plutôt celle de créer une nouvelle langue, sa propre langue en quelque sorte, celle-là qui donnera à sa voix les couleurs méritées de l'arc-en-ciel, le souffle fécond des folies visionnaires, les saveurs fauves de l'hérésie, celle-là irréductible qui deviendra à la fois étrange et familière pour tous ceux que la littérature concerne encore, pour qui elle reste primordial besoin.
Abdellatif Laâbi, écrivain marocain
ECRIRE DANS LA LANGUE DE L'AUTRE...
Ecrire dans la langue de l'Autre et faire sienne cette même langue est, certes, une situation inconfortable pour un écrivain, surtout quand la langue de son pays est aussi prestigieuse et riche que l'arabe. Mais la langue a cela de profond qu'elle nous donne à découvrir nos semblables, nos frères. Certes, la langue est un pays, mais les hommes passent d'abord!
Et c'est pourquoi dans mon cas, où l'écriture est bilingue, duelle, où les passions ne sont pas apaisées, cela nécessite une grande pudeur, celle de l'invité qui, habité par une haute mémoire, tente de dire à son hôte, dans sa propre langue, la diversité et l'unicité du paysage humain.
Pour cela, l'invité a emporté avec lui ses mots et leurs couleurs, ses accents et ses rythmes, ses images et ses métaphores, sa respiration et son souffle, ses ciels et ses mers, ses espoirs et ses rêves comme cadeaux, offrandes bien modestes mais combien précieuses car elles sont son corps et son esprit, son être, sa vie. Or cet écrivain est susceptible, comme tout invité qui se respecte, car il porte avec lui sa langue, celle de ses ancêtres, sa terre qui lui colle aux semelles et pour tout l'or du monde il ne peut la laisser au seuil de la maison hospitalière. Cet invité a peur que sa visite fraternelle ne se transforme en une séance pour le dépouiller, lui qui n'a plus que ses mots pour dire son humanité. Et c'est la grandeur de son hôte que de veiller à respecter ses luttes contre le silence parfois au prix des reproches des siens, ses longs voyages, ses peines dans la distance, ses lettres de noblesse, ses combats pour porter sa voix jusqu'à lui. Il ne faut, dès lors, limiter la langue à un support. Si une voix court tant de pérégrinations, c'est qu'elle attend au bout du voyage une écoute.
C'est cette écoute qui me paraît urgente car, au-delà du support linguistique, cet invité voudrait dire à son hôte que toutes les langues se valent et que toute langue perdue est une part de l'Homme qui s'en va. Tous les hommes sont responsables de la mémoire humaine. Et afin que ne s'installe une confrontation entre les langues qui a poussé, pendant la période coloniale, l'écrivain algérien Malek Haddad à s'écrier : "La langue française est mon exil", seul doit primer le respect de la langue de chaque peuple. Seule une langue libre peut donner une écriture libre. Seule cette liberté me semble valoir cette grande aventure de l'esprit qu'est l'écriture capable de créer sa propre langue, au sein de n'importe quelle langue, où qu'elle soit, d'où qu'elle vienne, vers où elle se dirige et vogue!
Tahar Bekri, poète et universitaire tunisien
28-29 mars 1990,
Yacoub Abdellatif (Algérie)
'Ahmed Bouffe Tout, la gamelle et les fourchettes avec'
Régie: Medhi Charef
30-31 mars 1990
Ilia Driss (Maroc) 'Confusions'
Régie : Farid Paya
31 mars - ler avril 1990
Tahar Ben Jelloun (Maroc) 'Moha le fou, Moha le sage'
Régie : Malek Kateb
3-4 avril 1990
Fatima Gallaire (Algérie) 'Les Co-épouses'
Régie : Maurice Attias
5-6 avril 1990
Taïeb Sbouaï (Tunisie) 'Le rêve suspendu'
Régie : Alain Rais
Samedi 7 Avril
Hommage à Kateb Yacine
Projection du film de Kama1 Dehaene
'Kateb Yacine, l'amour et la Rencontre d'écrivains, d'artistes et de journalistes autour de l'oeuvre et de l'homme
'Le cadavre encerclé' lu par Armand Gatti
Le Québec et les Afriques constituent hors Europe des terres de paroles et d'élection d'une littérature de langue française.
Mais sa mouvance réside également là où le poète, la plume, les lèvres ont choisi de s'extérioriser à travers elle. D'où cette quête constante de découvertes et d'investigations qui nous amène aujourd'hui à des paroles théâtrales françaises d'origine maghrébine.
Que des algériens, des marocains, des tunisien écrivent d'un mouvement naturel en cette langue, est réalité qui n'enlève rien à l'arabophobie mais au contraire nous enrichit mutuellement.
De Villon à Yacine le cri ne s'arrête pas à des frontières.
Je n'ai fondé le Théâtre International de Langue Française que pour dire cela.
Gabriel Garran.
Yacoub Abdellatif est né à Tigzit-sur-mer en Algérie, en 1957. Ses parents quittent l'Algérie pour la France en 1962, il a alors cinq ans. Il est actuellement étudiant en Langues Orientales à l'université d'Anières-Gennevilliers.
De nationalité française, ses écrits témoignent tous de la difficile quête d'une identité.
Pour le théâtre, il écrit : "Un homme à la mer", "Méditations clandestines d'un paranoïaque professionnel", "Ahmed Bouffe Tout la gamelle et les fourchettes avec", " Jeux de maux"
Il est également l'auteur d'un roman inédit "Les treize lycées d'Ahmed", d'un recueil de poèmes "Etats d'âme" et de deux scénarios.
Ahmed est arrêté par les douaniers. Ahmed s'arrête à la frontière algérienne, à la frontière française. En Algérie, famille déchirée par la guerre. En France, la drogue, les casses, les avocats véreux, la misère et le rêve de frimer au cinéma. Où est le pays d'Ahmed? Il ne lui reste plus qu'à dialoguer avec lui-même, avec Ahmed bis, à cracher tout seul les mots de l'amertume et de la révolte, à trouver dans ce désaroi un endroit où faire son lit.
Mehdi Charef est né en 1952 à Maghnia (Algérie). Après un passage en usine comme affûteur, il écrit son premier roman "Le thé au harem d'Archi Ahmed" paru aux éditions Mercure de France en 1983. Il adapte ce roman pour le cinéma et le film qu'il réalise est plusieurs fois primé (prix Jean Vigo). En 1989, il met en scène "Amour sans séjour" à Grenoble et publie un second roman aux éditions Mercure de France "Le harki de Meriem".
Ilias Driss est né à Fès au Maroc en 1959. Dès l'âge de vingt ans, il participe activement à la vie culturelle de son pays (articles, ciné-clubs, animation théâtrale).
En 1982, il s'installe en France. Il suit un séminaire de cinéma à l'Ecole des Hautes Etudes.
Tout en continuant à publier des articles en langue arabe, il écrit de nombreuses pièces de théâtre en langue française, dont : "La chaise vide","le jardin", "Promenades", "Braises", "Confusions", "Parlez-moi du Liban". "Promenades" a fait l'objet d'une lecture publique dirigée par France Darry dans le cadre de Théâtre à Une Voix, au théâtre Essaïon.
En 1987, il publie "Une écriture d'exil" dans un livre collectif consacré à l'immigration "La société française et l'immigration maghrébine"
Etrange pièce où une femme vient rendre visite à son mari mort auprès duquel se trouve une dame inconnue L'épouse est arabe et le mari français.
Le mariage comme simulacre d'une fusion possible entre les cultures.
Devant ce mari déjà mort, devant "l'acceptation inconditionnelle, l'identification ineffable et insensée'' réclamées à l'épouse par le clan du mari, il ne reste à celle-ci que le droit à la mort "parce que la mort est l'échec de toutes leurs tentatives de vous assimiler".
Farid Paya, né en 1947 à Téhéran, ingénieur de l'Ecole Centrale, auteur dramatique et metteur en scène, est directeur fondateur de la Compagnie du Lierre installée au Théâtre du Lierre depuis 1980. Parmi ses nombreuses mises en scène, il faut noter : "Les Pâques à New-York" d'après Blake Cendrars, "Oedipe-Roi" de Sophocle, "L'Opéra nomade" (théâtre chanté, conception de Farid Paya), "Electre" d'Yves Plunian, "J'irai vers le nord, j'irai dans la nuit polaire" opéra de Kasper T. Toeplitz, et tout dernièrement "Patio" spectacle du quatuor vocal Nomad. Par ailleurs, Farid Paya a participé à des ateliers de recherche vocale lors d'émissions radiophoniques et assure de nombreux stages en France et à l'Etranger.
Tahar Ben Jelloun est né à Fès au Maroc en 1944. Il étudie et enseigne en France la philosophie et la sociologie.
En 1973, il publie son premier roman "Harrouda" (éd. Denoël). Depuis, beaucoup d'autres ont suivi, principalement publiés au Seuil, dont : "Moha le fou Moha le sage", "La prière de l'absent", "L'enfant de sable", "La nuit sacrée" (prix Goncourt 1987).
Poète, il publie aux éditions Maspéro "Les amandiers sont morts de leurs blessures", "A l'insu du souvenir" et une anthologie de la nouvelle poésie du Maroc "La mémoire future"
Pour le théâtre, il écrit "Chronique d'une solitude" créée par Michel Raffaeli en 1976 au festival d'Avignon, et "La fiancée de l'eau" créée par Charles Tordjman en 1984 au Théâtre Populaire de Lorraine. D'autre part, en 1982, Antoine Vitez crée au Théâtre National de Chaillot "Entretien avec monsieur Saïd Hammadi, ouvrier algérien".
Sur la place publique, dans les bidonvilles ou les quartiers riche, dans les mosquées dans les banques, dans la forêt, dans le désert, dans le cimetière où on l'enterre, Moha ne cesse de parler. Sa voix court, réveille son peuple, du banquier au patriarche, de la petite domestique à l'esclave noire. Et chacun à son tour de parler' Mémoire de tout un peuple, mise en garde contre l'oubli. Moha, dépositaire, gardien, troubleur de conscience. Chant lyrique et puissant qui ne peut tarir car il est la tradition maghrébine même'
A la demande de Tahar Ben Jelloun, Malek Kateb a adapté ce roman pour la scène. Malek Kateb, comédien algérien, a participé à la création du Théâtre National Algérien. Il y a joué de nombreuses pièces en arabe avec Abdelkader Alloula, Ould Abderrhamane Kaki, Mustapha Kateb' En France depuis 1966 il a travaillé, entre autres, avec Jean-Marie Serreau, Pierre Debauche, Christian Dente, Jorge Lavelli, Bernard Sobel, André Engel, Anne Delbée.
Fatima Gallaire est née en Algérie. Elle a fait une licence de Lettres à l'université d'Alger et une licence de cinéma à la faculté de Vincennes Ses premières oeuvres sont des nouvelles.
"Jessie ou l'appel du désert" paraît aux éditions Syros dans le recueil "les meilleures nouvelles de l'année (1988).
Sa première pièce "Ah !vous êtes venus... là où il y a quelques tombes" est mise en espace au Petit Odéon dans le cadre de la semaine des auteurs organisée par la S.A.C.D. (1986). Elle est créée au premier Festival International des Arts, à New-York (1988). Publiée en français (édition des Quatre Vents) et en anglais (Ubu Theater), elle est en projet de montage à Paris dans une mise en scène de Jean-Pierre Vincent. Sa seconde pièce "Témoignage contre un homme stérile" est créée au Festival de l'Acte de Metz (1987) et publiée par l'Avant-Scène. Traduite en néerlandais, elle est jouée à Anvers en Octobre 1989. Après le Parloir Maghrébin, "Les Co-épouses" sera créée au Festival des Francophonies de Limoges en Octobre 1990, dans une mise en scène de Maurice Attias.
"Elles sont là. Elles sont là toutes. Mères, s'urs et mères-grand! A rire sous cape. A pleurer et à souffrir. A baisser la tête et à désespérer. Du fait d'un seul homme. Fils, Père, Frère, Epoux. Qu'importe? Elles sont là. Et elles continuent à donner la vie et l'espoir. A inculquer la solidarité aux petites filles - dont je suis? ' dans l'espace clos du champ domestique, le seul champ permis. Oui, elles sont là, dans ma mémoire. Je suis sortie pourtant. Je suis partie. Dans ce choeur qu'elles m'ont fait grand, j'ai dû les emporter tout au long de ces années de pérégrinations. Habitée que j'étais par leur discours étrange et parfois excessif. Celui-là même qui sera à jamais ignoré des hommes de la tradition. Comment les oublier' Co-épouse? Je le suis par sympathie. Co-épouses, elles le sont par la tragédie de leur destin' Ici, je leur rends hommage."
Fatima Gallaire.
Maurice Attias, né à Marrakech, formé au Théâtre-Ecole de Reims dirigé par Robert Hossein, assistant de Robert Hossein et Marcel Maréchal, a mis en scène, notamment, "L'échange", "Le Pain dur" et "L'otage" de Paul Claudel, "Ma mère" de Georges Bataille, "Les ensorcelés" d'après Barbey d'Aurevilly et dernièrement "Comme tu me veux" avec Fanny Ardant au Théâtre des Célestins à Lyon et au Théâtre de la Madeleine à Paris. Il est également professeur à l'Ecole de l'acteur-François Florent.
Taïeb Sbouaï, âgé de quarante ans, est né à Kairouan en Tunisie. Il vit en France depuis 1975. Instituteur puis professeur de l'enseignement secondaire, il est depuis cinq ans chargé de cours à l'université de Paris XIII. Il a publié un ouvrage critique sur le théâtre de Kateb Yacine: "La femme sauvage" (éd. De l'Arcantère) ainsi que de nombreux articles dans des revues et des ouvrages collectifs. Titulaire d'un doctorat de troisième cycle en Etudes Théâtrales, il a écrit pour le théâtre: "Les biens de main morte" et "Le rêve suspendu".
Dans le fracas de la guerre, deux femmes, belle-mère et belle-fille, attendent le retour du fils, du mari combattant palestinien. Deux femmes veillent un bébé peut-être déjà mort. Fièvre, angoisse, délire, ressassement jusqu'à la folie' quand survient un messager. Où sommes-nous? Tunis, Sabra, Shatila, Liban? Nous sommes dans l'horreur. Mais dans cette horreur, Taïeb Sbouaï délimite des îlots. D'une langue où alternent âpreté des dialogues et dérive poétique, il nous conduit vers un rêve suspendu'
Alain Rais, issu de la Comédie de Saint-Etienne (Jean Dasté), implanté à Martigues puis à Valence jusqu'à la fin de l'année 1986, aujourd'hui parisien, a monté des 'uvres du répertoire, des textes contemporains et des adaptations de textes narratifs ou poétiques. On a pu voir à Paris "Le chef-d''uvre sans queue ni tête" de Yannis Ritsos(1987), "Le livre de l'intranquillité" de Fernando Pessoa et "Pourquoi n'as-tu rien dit, Desdémone?" de Christine Brükner (1989) au Théâtre 14 ' Jean-Marie Serreau. Alain Rais est également écrivain. Il a publié plusieurs livres de récits (Flammarion) et de poésie (Oswald, Chambellan, Seghers, La Sétérée) et tout dernièrement "La cavatine du 13ème quatuor" (Comp-Act).
Kateb Yacine, Le "Maghrébin errant". Ce poète au chant bouleversant, soudainement émergé de l'Algérie profonde, a marqué de son "étoile de sang" toute la génération de l'après-Seconde guerre mondiale. Il est urgent de lire, d'entendre aujourd'hui ce grand autre de nous-mêmes, ce clandestin qui s'introduit dans notre mémoire à la faveur d'un équivoque passeport de langue française et nous dérange par tant de familiarité mêlée à tant d'étrangeté radicale. Alors que nous nous accrochons aux pans de notre identité, refusant de reconnaître que l'autre, depuis des siècles, est déjà en nous, Kateb nous force à nous décentrer, à entrer par mimétisme dans son jeu et son monde afin que, dans le "jardin parmi les flammes", notre coeur devienne "capable de toutes les formes".
Jacqueline Arnaud, universitaire, extrait de "L'oeuvre en fragment", édition Sindbad
Bibliographie : "Soliloques" (1946, édité à Bône),"Abdelkader et l'indépendance algérienne" (1948, ed. An-Mahda, Alger), "Nedjma" (1956, Le Seuil), "Le cercle des représailles", théâtre (1959, Le Seuil), "Le polygone étoilé" (1966, Le Seuil), "L'homme aux sandales de caoutchouc",
théâtre (1970, Le Seuil), "L'oeuvre en fragment" (éd. Sindbad). Pièces de théâtre en arabe, inédites: "Mohamed prend ta valise", "La guerre de deux mille ans", "La Palestine trahie" et "Le roi de l'ouest".
Gatti, Dante, Sauveur, né le 26 janvier 1924. Fils d'immigrés italiens; bon élève (dissipé) du petit séminaire; résistant, condamné à mort (gracié en raison de son âge); déporté (évadé); journaliste (prix Albert Londres); cinéaste, écrivain, metteur en scène ("La vie de l'éboueur Auguste G.", "Chant public pour deux chaises électriques", "V. comme Vietnam"') ; écrivain public itinérant et vidéographe. En 1983 fonde "l'Archéoptérix", atelier de création populaire pour jeunes en mal de vivre. En 1987, s'installe à Montreuil avec "La Parole Errante". En 1989, avec des taulards, écrit et représente "Les combats du jour et de la nuit" à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. Prépare à Marseille un spectacle sur la naissance du langage fasciste...
Des écrivains maghrébins témoignent de leur usage du français'
DU FRANçAIS COMME BUTIN
Il y a eu d'abord ma sortie au-dehors; le scandale de mon âge nubile.
La mobilité du corps de femme. Sans me rendre compte à quel point la voix avait à se tasser, à se terrer, parce qu'ensoleillée.
Solitude du départ. Sortie du harem, au début des années 50, pour les centaines ou les quelques milliers de maghrébines comme moi, grâce à l'étude du français, considérée comme chance. "Elle sort" disait la mère de sa fille, heureuse ou frileuse de cette chance orpheline, "elle sort parce qu'elle lit !". C'est-à-dire, en traduisant de l'arabe dialectal, qu'elle "étudie". Comme si le français des autres devenait stèle immense profilée à l'horizon, la marche du corps étant dirigée vers ce but. Comptait la marche même; un trajet individuel dans le silence concerté.
Comme si l'oralité du français allait habiller le dénuement du corps s'aventurant dans l'entre-deux qui séparait, qui sépare toujours, dans nos cités tumultueuses, les médinas des beaux quartiers, ou des bidonvilles. Si le dévoilement féminin ne se muait pas en dévoiement, c'était justement grâce à ce recours : le français comme "lecture-étude", et donc comme silence préalable, avant toute licence.
Prétendre écrire dès ma sortie de l'adolescence ne pouvait, en ce cas, que m'amener à utiliser le murmure, la "sotto voce". Malgré quelques mirages de l'histoire collective, nous ne sortîmes que l'une après l'autre de la claustration. Chacune seule dans la rue, sous le regard des frères et des cousins ennemis.
Un français de solitaire, une écriture qui serait de grelottement.
Toutes les premières tentatives, pour les femmes du monde arabe, de vouloir à la fois sortir au-dehors et "sortir en la langue différente" étaient risqué d'une double expulsion : que subissaient d'une part l'écriture même balbutiante (ravalée aussitôt à l'anecdotique ou au folklore) et d'autre part le corps parlant. Ecrire en la langue étrangère devient presque faire l'amour hors la foi ancestrale : le tabou, en Islam, épargne en ce cas les mâles, bien plus les valorise.
Si la langue ainsi brandie l'est souvent sans risque réel par les "jeunes hommes en colère" de la pré- ou de la post-décolonisation, il en va autrement des femmes. Parler hors la chaleur matriarcale, hors l'antienne de la Tradition, hors la "fidélité" - ce terme pris aussi au sens religieux - écrire à la première personne du singulier et de la singularité, corps nu et voix à peine déviée par le timbre étranger, rameute tous les dangers symboliques. Censure et anathèmes proviennent d'ailleurs, avec une prolixité hâtive, plus des nouveaux tribuns, fraîchement "modernisés", que des arrières de la tribu soupçonneuse... Toute femme écrivant qui s'avance ainsi hardiment, prend le risque de voir combien son chemin est miné.
Oui, du français comme butin, c'est-à-dire en emportant avec soi tout le champ (et le chant) de la guerre intérieure, à chaque instant de l'échappée hors harem. Butin arraché sur le voisin proche, sur le frère ou le cousin germain, pour une parole ancrée dans la mémoire de l'ombre populeuse.
Assia Djebar, écrivain algérienne
QUEL RAPPORT À LA LANGUE FRANçAISE ?
Cette question m'a toujours irrité. Pourquoi? Parce qu'elle est rarement objective, désintéressée. Le postulat de génie et d'universalisme - plus ou moins exclusifs - de la langue française étant posé, n'attend-on pas souvent des écrivains interrogés des déclarations d'allégeance et d'amour à cette langue? Piètre logique qui enferme l'écrivain dans le rôle d'usager activiste d'une langue au lieu de susciter un réel intérêt pour l'écrivain lui-même et son oeuvre! Il est temps de sortir de ces questions étroites, de ces sentiers battus où le complexe du colonisé et l'hégémonisme paternaliste d'antan reviennent sans cesse au galop.
Pour un écrivain engagé ou perdu dans l'aventure de l'écriture, la question n'est pas tant d'écrire dans telle ou telle langue. Elle est plutôt celle de créer une nouvelle langue, sa propre langue en quelque sorte, celle-là qui donnera à sa voix les couleurs méritées de l'arc-en-ciel, le souffle fécond des folies visionnaires, les saveurs fauves de l'hérésie, celle-là irréductible qui deviendra à la fois étrange et familière pour tous ceux que la littérature concerne encore, pour qui elle reste primordial besoin.
Abdellatif Laâbi, écrivain marocain
ECRIRE DANS LA LANGUE DE L'AUTRE...
Ecrire dans la langue de l'Autre et faire sienne cette même langue est, certes, une situation inconfortable pour un écrivain, surtout quand la langue de son pays est aussi prestigieuse et riche que l'arabe. Mais la langue a cela de profond qu'elle nous donne à découvrir nos semblables, nos frères. Certes, la langue est un pays, mais les hommes passent d'abord!
Et c'est pourquoi dans mon cas, où l'écriture est bilingue, duelle, où les passions ne sont pas apaisées, cela nécessite une grande pudeur, celle de l'invité qui, habité par une haute mémoire, tente de dire à son hôte, dans sa propre langue, la diversité et l'unicité du paysage humain.
Pour cela, l'invité a emporté avec lui ses mots et leurs couleurs, ses accents et ses rythmes, ses images et ses métaphores, sa respiration et son souffle, ses ciels et ses mers, ses espoirs et ses rêves comme cadeaux, offrandes bien modestes mais combien précieuses car elles sont son corps et son esprit, son être, sa vie. Or cet écrivain est susceptible, comme tout invité qui se respecte, car il porte avec lui sa langue, celle de ses ancêtres, sa terre qui lui colle aux semelles et pour tout l'or du monde il ne peut la laisser au seuil de la maison hospitalière. Cet invité a peur que sa visite fraternelle ne se transforme en une séance pour le dépouiller, lui qui n'a plus que ses mots pour dire son humanité. Et c'est la grandeur de son hôte que de veiller à respecter ses luttes contre le silence parfois au prix des reproches des siens, ses longs voyages, ses peines dans la distance, ses lettres de noblesse, ses combats pour porter sa voix jusqu'à lui. Il ne faut, dès lors, limiter la langue à un support. Si une voix court tant de pérégrinations, c'est qu'elle attend au bout du voyage une écoute.
C'est cette écoute qui me paraît urgente car, au-delà du support linguistique, cet invité voudrait dire à son hôte que toutes les langues se valent et que toute langue perdue est une part de l'Homme qui s'en va. Tous les hommes sont responsables de la mémoire humaine. Et afin que ne s'installe une confrontation entre les langues qui a poussé, pendant la période coloniale, l'écrivain algérien Malek Haddad à s'écrier : "La langue française est mon exil", seul doit primer le respect de la langue de chaque peuple. Seule une langue libre peut donner une écriture libre. Seule cette liberté me semble valoir cette grande aventure de l'esprit qu'est l'écriture capable de créer sa propre langue, au sein de n'importe quelle langue, où qu'elle soit, d'où qu'elle vienne, vers où elle se dirige et vogue!
Tahar Bekri, poète et universitaire tunisien
Textes
Origine géographique
Monde Arabe
Mots-clés
Date (année)
1990
Cote MCM
MCM_1990_ARA_S1
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Titre | Localisation | Date | Type | |
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Parloir Maghrebin. Théâtre international de langue française. Affiche | Monde Arabe | 1990-03-28 | Affiche |
Titre | Localisation | Date | Type | |
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Saison 1990 | 1990 |