Monde Arabe. Cycle de 'ud. (Cycle annulé). Spectacle
Collection
Type de document
Évènement
Titre
Monde Arabe. Cycle de 'ud. (Cycle annulé). Spectacle
Date
1991-02-01
Date de fin
31/02/1991
Artistes principaux
Lieu de l'évènement
Type d'évènement
Musique
Description de la pratique
février 1991.
Ce cycle consacré au 'ûd turco-arabe tente de rendre compte de la diversité de traitement du luth au Proche-Orient, dans la péninsule arabique et au Maghreb, non seulement du fait des traditions propres à chaque pays, mais également parce que le luth, considéré comme instrument de référence Sultan at-tarab, est l'outil par excellence des vrais créateurs, ceux qui réfléchissent A la fois sur le sens de la musique, son histoire et sa théorie.
Du point de vue musical et culturel, on peut distinguer plusieurs régions marquées A la fois par leur histoire propre et les influences qu'elles ont pu subir.
Profondément marquée par le monde arabe, la musique turque a néanmoins développé de manière originale un répertoire de compositions instrumentales, qu'elle a ensuite réinjecté dans les pays dominés par l'Empire Ottoman. Ainsi les sama'i, bashraf (peshrev) et longa (d'origine tzigane balkanique), se retrouvent très largement joués en Syrie et en Egypte, en introduction ou en conclusion d'une improvisation taqsim, ou encore en introduction ou dans le corps d'une suite vocale et instrumentale wasla.
En Irak, l'art du maqâm qui joue plus sur la durée que la wasla proche-orientale a instillé chez les improvisateurs un goût prononcé pour la réflexion et l'intériorité. En Jordanie, peuple de bédouins essentiellement A l'art du chant accompagné au rebab ('ataba), le jeu du luth en solo se réfère essentiellement à la tradition de Bagdad.
Au Yémen, le luth n'est rien d'autre que l'héritier d'un luth archaïque pratiquement disparu, le ganbus, qui servait à accompagner le chant poétique, pour cette raison il nous a paru plus intéressant de faire venir un chanteur-luthiste de la tradition de Sanaa que de faire venir un énième disciple de la tradition de Bagdad.
Le Maghreb, enfin, pose un autre type de problème, celui de l'absence d'improvisateur-soliste dans le sens où on l'entend au Machrek. Pour cette raison, les luthistes du Maghreb se sentent une plus grande affinité avec l'Orient et ses modes, qu'avec la tradition arabo-andalouse.
Le luth arabe, histoire et facture
Symbole même de la musique arabe traditionnelle, le luth 'ûd (1) a pu naître en Basse-Mésopotamie et combiner les éléments d'instruments comme les anciens barbat persan et mizhâr arabe aujourd'hui disparus.
Il semble que ce soit sous l'influence des Perses qu'il fut introduit dans l'Arabie antéislamique ; mais il fallut attendre le califat Abbasside (à partir de 760 ap. JC.) et la fameuse école des 'ûdistes (Ishâq al-Mawsilî, Ya'qûb al-Kindî) pour que les multiples perfectionnements apportés par le musicien Zalzal (mort en 791) lui confèrent sa forme définitive actuelle. Zalzal lui donna le nom de 'ûd al-shabbût d'après la forme du poisson du même nom. Il semblerait, d'après les descriptions que l'on possède de cet animal, que le 'ûd de cette époque ait donc eu une caisse de forme ovoïde plutôt que piriforme comme c'est le cas maintenant. A cette époque, le 'ud se serait donc plutôt rapproché par sa forme du 'ûd 'arbi utilisé aujourd'hui encore au Maghreb ; du reste, comme ce dernier, il possédait seulement quatre cordes. Une cinquième corde, théorique, fut ajoutée par al-Kindî de manière à augmenter la tessiture de l'instrument jusqu'à la double octave, intervalle de référence pour l'étude théorique des modes arabes maqamat.
L'instrument moderne de référence, le 'ûd sharqî ou "luth oriental", comporte une caisse faite de côtes juxtaposées de bois très fin (noyer ou érable), piriforme et très bombée. La table d'harmonie est en bois blanc, et percée de deux ou trois rosaces ('uyûn, "les yeux"). Selon les factures, le dos est orné d'incrustations de marqueterie. Le manche est court, dépourvu de frettes (2), avec un chevillier fortement recourbé vers l'arrière. Les cinq doubles cordes ('urûq, "veines") sont actuellement en soie recouverte de cuivre pour les deux plus graves et en nylon pour les plus aiguës (autrefois ces dernières étaient en boyau). Les cordes sont pincées au moyen d'un plectre en plume d'aigle ou formé d'une languette de plastique longue d'une dizaine de centimètres. L'absence de frettes sur la touche de l'instrument permet au musicien d'affiner a 1'extrême la précision des diverses échelles modales.
En effet, en dépit d'une division théorique et récente de l'octave en 24 quarts de ton, les modes arabes exigent dans la réalisation de leurs intervalles une précision de l'ordre du comma.
C'est par la tradition musicale arabo-andalouse que le luth arabe al-'ûd pénétra au IXe siècle en Occident où il conserva son nom : laud en Espagne, laut puis luth en France, lute en Grande-Bretagne, et laute en Allemagne. L'essor du luth en Occident, qui dura jusqu'au XVIIIe siècle donna naissance a toute une famille d'instruments, archiluths, luths théorbés, théorbes, chitarrone.
Improvisation et modes arabes
Le taqsim est une pièce improvisée sur un mode donné, un "impromptu musical" (Erlanger) de rythme libre et sans forme stricte. Il est constitué de plusieurs sections de longueurs variables qui se divisent à leur tour en phrases, d'où son nom qui signifie littéralement "répartition", "fragmentation". Les seules règles qui régissent l'improvisation sont les structures inhérentes aux modes arabes.
Les musicologues aujourd'hui ne s'accordent guère sur la nanière dont il faut aborder la structure du mode arabe. S'ils sont communément d'accord sur le fait que le mode doit être appréhendé sur une échelle de double octave selon une pente ascendante puis descendante, souvent différente dans la distribution des intervalles, on constate en revanche des divergences dans l'appréciation de la structure même du mode.
La majeure partie des théoriciens et un grand nombre de musiciens arabes ont adopté une division du mode en "genres" ou tétracordes, s'inspirant en cela de la théorie grecque (3). A partir d'un nombre fini de genres (17 pour être précis), un jeu de combinatoire permet de construire un nombre importants de modes qui selon les genres qui les constituent pourront se répartir en différentes familles.
De ce fait l'improvisation apparaît comme une présentation successive de ces genres dans un ordre prédéterminé. Ainsi, selon Erlanger, le mode taqsim dans le mode hijaz, commence traditionnellement par une exploitation du genre le plus grave, puis du second, du troisième (passage à l'octave supérieure), du quatrième, pour redescendre ensuite progressivement vers le premier. Pour d'autres modes, on présente d'abord le second genre, puis le troisième, et ainsi de suite.
Cependant, de nos jours, les musiciens ne respectent plus guère ces enchaînements préétablis, et semblent plutôt aborder le mode dans sa globalité, en ne se limitant plus désormais à un seul mode, mais en l'enrichissant au contraire de nombreuses nodulations. Ainsi, l'on pourrait considérer dans une certaine mesure que le taqsim est passé d'une syntaxe fondée sur les genres à un niveau plus large basé sur l'ensemble des modes.
Cette évolution, et le fait que le concept de "genre" ne soit pas spécifiquement arabe mais résulte plutôt d'un emprunt à la théorie grecque, ont amené le Dr Habib Hassan Touma à considérer le mode maqam sous la forme d'une entité qu'il définit comme un modèle tonal-spatial, c'est-à-dire un ensemble de degrés spécifiques régis par des règles hiérarchiques. Dans ce cas, le taqsim apparaît comme la "représentation instrumentale de ce modèle tonal-spatial dans lequel le déroulement mélodique se concentre autour de certains sons et développe ainsi pour chaque morceau des régions caractéristiques de la gamme modale". Comme il le fait remarquer par ailleurs, "les motifs sonores de la ligne mélodique ne sont pas caractéristiques du taqsim (pris ici dans le sens de forme) mais s'expriment différemment selon le musicien, l'instrument et le style adopté par le soliste. Le véritable caractère spécifique du taqsim réside en fait dans les silences qui partagent distinctement la ligne mélodique" (H. H. Touma, La musique arabe, Paris 1977).
Pierre Bois
(1) Le terme arabe 'Ûd désigne à l'origine un morceau de bois ou un bâton flexible.
(2) Il semblerait néanmoins qu'a l'époque abbasside, le 'ûd ait comporté quelques ligatures sur le manche, dont le rôle était de faciliter le travail théorique de division de 1'échelle.
(3) Le terme arabe jins désignant les "genres" ou tétracordes dérive du grec genos.
Le luth au Maghreb : Tunisie
Contrairement à l'orient arabe qui a développé une longue tradition de l'improvisation instrumentale taqsim, expression idéale, au même titre que l'improvisation vocale, de l'art modal du maqâm, les cultures du Maghreb ont jusqu'à ces dernières décennies privilégié la musique composée et exécutée par des ensembles vocaux et instrumentaux (âla au Maroc, gharnâtî en Algérie, mâluf en Tunisie et en Libye). C'est pourquoi les solistes maghrébins, empruntant un mode d'expression a priori étranger à leur culture, sont profondément marqués par l'influence des grands improvisateurs du Moyen-Orient et préfèrent aux langages modaux de leurs pays le système modal oriental qu'ils jugent plus riche et plus diversifié.
Le Tunisien Mohammed Zinelabidine exprime bien cette tendance. Né en 1965 à Sousse, il a suivi une triple formation d'instrumentiste, de pédagogue et de musicologue à l'Université de Tunis et à la Sorbonne où il prépare actuellement un diplône de IIIe cycle en musicologie.
Depuis 1988 il dirige l'ensemble musical Azifine pour lequel il a composé plusieurs oeuvres, tout en se produisant en soliste en Tunisie, au Maroc, en Grèce et en France.
Sa fougue juvénile qui s'exprime dans une virtuosité contrôlée et un style parfois guitaristique, illustre de manière éclairante le résultat des nouvelles méthodes pédagogiques mises en oeuvre dans les conservatoires arabes ainsi que la volonté d'universalisme à laquelle tend un grand nombre de musiciens arabes contemporains.
Le luth syrien de Nuhammad Qadri Dalal
Né en 1942 à Alep, Muhammad Qadri Dalal est dès son plus jeune age baigné dans l'univers de la musique religieuse, grâce à son père, cheikh réputé pour son talent de chanteur. Tout en suivant une formation de lettres arabes, il reçoit l'enseignement de chant, de luth et de théorie musicale des plus grands maîtres aléppins qui feront de lui un musicien accompli. Après une expérience de quelques années comme professeur de lettres, en Syrie et au Maroc, il décide de se consacrer totalement à la musique et entre comme professeur de musique à 1'Ecole Normale d'Alep.
En 1989, il est nommé Inspecteur de l'Enseignement Musical pour tout le nord de la Syrie. Reconnu comme l'un des plus grands maîtres syriens contemporains, tant pour son talent d'instrumentiste que pour ses connaissances de la théorie et du répertoire, de nombreux ensembles traditionnels font appel à lui comme conseiller artistique.
Le style de Muhammad Qadri Dalal est profondément marqué par ses préoccupations en matière de langage musical. Maîtrisant parfaitement le style traditionnel, il considère néanmoins à notre époque, le musicien arabe ne peut plus se contenter de reproduire les modèles établis par la tradition classique. Ne voyant pas non plus de solution valable à long terme dans le courant moderniste égyptien, il tente donc de mettre au point une nouvelle grammaire musicale fondée sur un travail de restructuration du système modal.
Cette restructuration passe par une exploration des infinies possibilités combinatoires des modes arabes, que M. Q. Dalal entreprend en utilisant de manière systématique les techniques traditionnelles de la transposition ( taswir) et de la superposition ( tarkib) . L'originalité de cette recherche réside dans le fait que le musicien la mène non pas de nanière froide et théorique, mais dans le cadre d'une pratique instrumentale quotidienne qu'il confronte régulièrement à l'écoute critique de ses pairs lors de concerts ou de soirées musicales entre artistes.
Cette démarche, associée à une très grande pudeur d'expression, l'amène à remettre en question l'esthétique du tarab, point émotionnel culminant de l'improvisation. Dans un souci constant de résister à l'attrait facile et vulgaire du cliché mélodique, son mode d'improvisation s'attache à mettre en abîme un jeu de piste modal et mélodique, entraînant son auditoire à travers un chemin parfois difficile mais toujours gratifiant.
Profondément ancré dans la tradition arabe, le jeu subtil de Muhammad Qadri Dalal, en sollicitant une écoute dynamique et intelligente, rejoint un des pôles majeurs de la problématique musicale contemporaine en Occident.
Muhammad Qadri Dalal a reçu en 1988 le Prix André Schaeffner de 1'Académie Internationale du Disque Charles Cros pour son disque publié à l'Orstom : "Syrie, Alep : Muhammad Qadri Dalal, improvisations au luth".
Pierre Bois
Muhammad al-Harithi, chanteur-luthiste du Yémen
Muhammad Hamûd al-Harithi est né il y a environ soixante ans à Kawkabân, ville historique réputée pour avoir été le berceau des arts au Yémen. C'est là que vivait le célèbre poète (et probablement compositeur) du XVIe siècle, Muhammad Sharafeddine.
C'est en secret que Muhammad al-Harithi apprit à jouer du luth ('ûd) et à chanter, car cette activité était réprouvée à l'époque ou l'imam gouvernait le pays.
Issu d'une famille de lettrés, il est entré de plain-pied dans la grande tradition poétique homayni, écrite dans une langue très littéraire, mais émaillée d'éléments du dialecte de Sanaa. Cette poésie lyrique chante l'impossible amour, mais surtout le vertige qui saisit l'amoureux devant la beauté de son inaccessible objet, dont la grâce est souvent comparée à celle d'une gazelle, de la pleine lune ou encore d'une branche de moringa...
.
Cette poésie est chantée dans la tradition musicale la plus raffine au Yémen, celle du "chant de Sanaa'' (ghina sana'ani). Les chants sont exécutés sous forme de suites composées de trois ou quatre pièces composées dans des modes, des rythmes et des tempi différentiels. La forme conventionnelle comprend en principe une pièce non mesurée, dite "longue" (mutawwall) (1), ou bien une pièce de rythme aksak ou "boiteux", généralement un 7/8 ou un 11/8, suivie d'une pièce binaire en 4/4. Elle est conclue par une pièce de rythme similaire, mais de tempo plus rapide. Le principe de base est donc l'accélération, avec une certaine croissance de la tension du début vers la fin. La tradition Kawkabân se distingue surtout par un certain nombre de pièces de rythme binaire dans lesquelles sont introduits des triolets permettant d'exécuter un pas de danse particulier.
Bien qu'étant l'un des représentants les plus authentiques de la tradition de Sanaa, al-Harithi vit avec son siècle : il a longtemps chante dans les tranchées pendant la guerre civile (1962-1967), pour donner du courage aux soldats républicains. Il a aussi compose un certain nombre de mélodies qu'il a adaptées à des paroles anciennes ou modernes. L'une de ses chansons est un plaidoyer contre le port du voile féminin, il y dit notamment "On n'a jamais vu la lune porter le voile!"
Il a également tenté d'élargir l'accompagnement du chant à d'autres instruments comme les percussions ou le violon, mais toujours avec prudence, en tentant de rester le plus près possible de la tradition, qu'il considère comme "plus belle que tout ce que l'on a fait depuis".
Jean Lambert
(1) Comme quoi le terme long semble largement usité de par le monde pour désigner le "non mesuré" (longa hora dans les Balkans, urtyn duu en Mongolie, mutawwal dans la péninsule arabique...).
Le luth égyptien de Hussein Saber Labib
Né en 1946 au Caire, Hussein Saber Labib pratique cet instrument depuis 1'âge de six ans. Formé conjointement par le maître Abdelfatah Sabri et le Département d'Enseignement Musical de l'Université de Heluan, il passe son baccalauréat musical au Caire en 1968. Après avoir travaillé quelques années dans ce département comme assistant, il part aux Etats-Unis et obtient en 1982 son doctorat à l'Université du Michigan, alors siège d'un des meilleurs enseignements d'ethnomusicologie aux Etats-Unis et de la Society for Ethnomusicology.
De retour au Caire, il est nommé professeur au Département d'Enseignement Musical de 1'Université de Heluan, et donne plusieurs concerts en Egypte et l'étranger. Instrumentiste soliste renommé, il crée plusieurs oeuvres concertantes avec l'orchestre Symphonique du Caire, notamment le Concerto pour luth et orchestre de Atiya Sharara et la Fantaisie pour luth et orchestre de Saïd Awat. Grand connaisseur de l'histoire et de la théorie du luth oriental il lui consacre une série de 8 émissions à la télévision égyptienne.
Outre de nombreux récitals dans le monde arabe, en Europe et aux Etats-Unis, il participe en 1990 au Festival de Carthage aux côtés des plus grands luthistes du monde arabe, et au Congrès de la Musique de Sarrebruck en août 1990.
Luth de Jordanie, Sakher Hatar
Né en 1963 à Amman, Sakher Hatar est aujourd'hui considéré comme l'un des plus grands luthistes jordaniens, non seulement dans son pays, mais également par les plus grands maîtres arabes, notamment Munir Bachir.
Formé dans le cadre le l'Institut de Musique et des Beaux Arts d'Amman, puis auprès de professeurs privés, Radwan Mughrabi et Amer Madi, il enseigne aujourd'hui le luth au Conservatoire National d'Amman (Fondation Noor al-Hussein), ainsi que dans plusieurs autres structures pédagogiques, et dirige deux ensembles de chant et de musique traditionnels.
De par son style, il se rattache assez largement à la tradition de Bagdad marquée par une profonde intériorité, et un jeu de plectre très diversifié qui met remarquablement en valeur le caractère émotionnel spécifique de chaque maqâm arabe.
Il s'est vu par ailleurs décerner plusieurs médailles honorifiques au Festival de Jerash (Jordanie, de 1983 à 1990) ainsi qu'au Festival International de Babylone (Irak, 1988-1989).
Ce cycle consacré au 'ûd turco-arabe tente de rendre compte de la diversité de traitement du luth au Proche-Orient, dans la péninsule arabique et au Maghreb, non seulement du fait des traditions propres à chaque pays, mais également parce que le luth, considéré comme instrument de référence Sultan at-tarab, est l'outil par excellence des vrais créateurs, ceux qui réfléchissent A la fois sur le sens de la musique, son histoire et sa théorie.
Du point de vue musical et culturel, on peut distinguer plusieurs régions marquées A la fois par leur histoire propre et les influences qu'elles ont pu subir.
Profondément marquée par le monde arabe, la musique turque a néanmoins développé de manière originale un répertoire de compositions instrumentales, qu'elle a ensuite réinjecté dans les pays dominés par l'Empire Ottoman. Ainsi les sama'i, bashraf (peshrev) et longa (d'origine tzigane balkanique), se retrouvent très largement joués en Syrie et en Egypte, en introduction ou en conclusion d'une improvisation taqsim, ou encore en introduction ou dans le corps d'une suite vocale et instrumentale wasla.
En Irak, l'art du maqâm qui joue plus sur la durée que la wasla proche-orientale a instillé chez les improvisateurs un goût prononcé pour la réflexion et l'intériorité. En Jordanie, peuple de bédouins essentiellement A l'art du chant accompagné au rebab ('ataba), le jeu du luth en solo se réfère essentiellement à la tradition de Bagdad.
Au Yémen, le luth n'est rien d'autre que l'héritier d'un luth archaïque pratiquement disparu, le ganbus, qui servait à accompagner le chant poétique, pour cette raison il nous a paru plus intéressant de faire venir un chanteur-luthiste de la tradition de Sanaa que de faire venir un énième disciple de la tradition de Bagdad.
Le Maghreb, enfin, pose un autre type de problème, celui de l'absence d'improvisateur-soliste dans le sens où on l'entend au Machrek. Pour cette raison, les luthistes du Maghreb se sentent une plus grande affinité avec l'Orient et ses modes, qu'avec la tradition arabo-andalouse.
Le luth arabe, histoire et facture
Symbole même de la musique arabe traditionnelle, le luth 'ûd (1) a pu naître en Basse-Mésopotamie et combiner les éléments d'instruments comme les anciens barbat persan et mizhâr arabe aujourd'hui disparus.
Il semble que ce soit sous l'influence des Perses qu'il fut introduit dans l'Arabie antéislamique ; mais il fallut attendre le califat Abbasside (à partir de 760 ap. JC.) et la fameuse école des 'ûdistes (Ishâq al-Mawsilî, Ya'qûb al-Kindî) pour que les multiples perfectionnements apportés par le musicien Zalzal (mort en 791) lui confèrent sa forme définitive actuelle. Zalzal lui donna le nom de 'ûd al-shabbût d'après la forme du poisson du même nom. Il semblerait, d'après les descriptions que l'on possède de cet animal, que le 'ûd de cette époque ait donc eu une caisse de forme ovoïde plutôt que piriforme comme c'est le cas maintenant. A cette époque, le 'ud se serait donc plutôt rapproché par sa forme du 'ûd 'arbi utilisé aujourd'hui encore au Maghreb ; du reste, comme ce dernier, il possédait seulement quatre cordes. Une cinquième corde, théorique, fut ajoutée par al-Kindî de manière à augmenter la tessiture de l'instrument jusqu'à la double octave, intervalle de référence pour l'étude théorique des modes arabes maqamat.
L'instrument moderne de référence, le 'ûd sharqî ou "luth oriental", comporte une caisse faite de côtes juxtaposées de bois très fin (noyer ou érable), piriforme et très bombée. La table d'harmonie est en bois blanc, et percée de deux ou trois rosaces ('uyûn, "les yeux"). Selon les factures, le dos est orné d'incrustations de marqueterie. Le manche est court, dépourvu de frettes (2), avec un chevillier fortement recourbé vers l'arrière. Les cinq doubles cordes ('urûq, "veines") sont actuellement en soie recouverte de cuivre pour les deux plus graves et en nylon pour les plus aiguës (autrefois ces dernières étaient en boyau). Les cordes sont pincées au moyen d'un plectre en plume d'aigle ou formé d'une languette de plastique longue d'une dizaine de centimètres. L'absence de frettes sur la touche de l'instrument permet au musicien d'affiner a 1'extrême la précision des diverses échelles modales.
En effet, en dépit d'une division théorique et récente de l'octave en 24 quarts de ton, les modes arabes exigent dans la réalisation de leurs intervalles une précision de l'ordre du comma.
C'est par la tradition musicale arabo-andalouse que le luth arabe al-'ûd pénétra au IXe siècle en Occident où il conserva son nom : laud en Espagne, laut puis luth en France, lute en Grande-Bretagne, et laute en Allemagne. L'essor du luth en Occident, qui dura jusqu'au XVIIIe siècle donna naissance a toute une famille d'instruments, archiluths, luths théorbés, théorbes, chitarrone.
Improvisation et modes arabes
Le taqsim est une pièce improvisée sur un mode donné, un "impromptu musical" (Erlanger) de rythme libre et sans forme stricte. Il est constitué de plusieurs sections de longueurs variables qui se divisent à leur tour en phrases, d'où son nom qui signifie littéralement "répartition", "fragmentation". Les seules règles qui régissent l'improvisation sont les structures inhérentes aux modes arabes.
Les musicologues aujourd'hui ne s'accordent guère sur la nanière dont il faut aborder la structure du mode arabe. S'ils sont communément d'accord sur le fait que le mode doit être appréhendé sur une échelle de double octave selon une pente ascendante puis descendante, souvent différente dans la distribution des intervalles, on constate en revanche des divergences dans l'appréciation de la structure même du mode.
La majeure partie des théoriciens et un grand nombre de musiciens arabes ont adopté une division du mode en "genres" ou tétracordes, s'inspirant en cela de la théorie grecque (3). A partir d'un nombre fini de genres (17 pour être précis), un jeu de combinatoire permet de construire un nombre importants de modes qui selon les genres qui les constituent pourront se répartir en différentes familles.
De ce fait l'improvisation apparaît comme une présentation successive de ces genres dans un ordre prédéterminé. Ainsi, selon Erlanger, le mode taqsim dans le mode hijaz, commence traditionnellement par une exploitation du genre le plus grave, puis du second, du troisième (passage à l'octave supérieure), du quatrième, pour redescendre ensuite progressivement vers le premier. Pour d'autres modes, on présente d'abord le second genre, puis le troisième, et ainsi de suite.
Cependant, de nos jours, les musiciens ne respectent plus guère ces enchaînements préétablis, et semblent plutôt aborder le mode dans sa globalité, en ne se limitant plus désormais à un seul mode, mais en l'enrichissant au contraire de nombreuses nodulations. Ainsi, l'on pourrait considérer dans une certaine mesure que le taqsim est passé d'une syntaxe fondée sur les genres à un niveau plus large basé sur l'ensemble des modes.
Cette évolution, et le fait que le concept de "genre" ne soit pas spécifiquement arabe mais résulte plutôt d'un emprunt à la théorie grecque, ont amené le Dr Habib Hassan Touma à considérer le mode maqam sous la forme d'une entité qu'il définit comme un modèle tonal-spatial, c'est-à-dire un ensemble de degrés spécifiques régis par des règles hiérarchiques. Dans ce cas, le taqsim apparaît comme la "représentation instrumentale de ce modèle tonal-spatial dans lequel le déroulement mélodique se concentre autour de certains sons et développe ainsi pour chaque morceau des régions caractéristiques de la gamme modale". Comme il le fait remarquer par ailleurs, "les motifs sonores de la ligne mélodique ne sont pas caractéristiques du taqsim (pris ici dans le sens de forme) mais s'expriment différemment selon le musicien, l'instrument et le style adopté par le soliste. Le véritable caractère spécifique du taqsim réside en fait dans les silences qui partagent distinctement la ligne mélodique" (H. H. Touma, La musique arabe, Paris 1977).
Pierre Bois
(1) Le terme arabe 'Ûd désigne à l'origine un morceau de bois ou un bâton flexible.
(2) Il semblerait néanmoins qu'a l'époque abbasside, le 'ûd ait comporté quelques ligatures sur le manche, dont le rôle était de faciliter le travail théorique de division de 1'échelle.
(3) Le terme arabe jins désignant les "genres" ou tétracordes dérive du grec genos.
Le luth au Maghreb : Tunisie
Contrairement à l'orient arabe qui a développé une longue tradition de l'improvisation instrumentale taqsim, expression idéale, au même titre que l'improvisation vocale, de l'art modal du maqâm, les cultures du Maghreb ont jusqu'à ces dernières décennies privilégié la musique composée et exécutée par des ensembles vocaux et instrumentaux (âla au Maroc, gharnâtî en Algérie, mâluf en Tunisie et en Libye). C'est pourquoi les solistes maghrébins, empruntant un mode d'expression a priori étranger à leur culture, sont profondément marqués par l'influence des grands improvisateurs du Moyen-Orient et préfèrent aux langages modaux de leurs pays le système modal oriental qu'ils jugent plus riche et plus diversifié.
Le Tunisien Mohammed Zinelabidine exprime bien cette tendance. Né en 1965 à Sousse, il a suivi une triple formation d'instrumentiste, de pédagogue et de musicologue à l'Université de Tunis et à la Sorbonne où il prépare actuellement un diplône de IIIe cycle en musicologie.
Depuis 1988 il dirige l'ensemble musical Azifine pour lequel il a composé plusieurs oeuvres, tout en se produisant en soliste en Tunisie, au Maroc, en Grèce et en France.
Sa fougue juvénile qui s'exprime dans une virtuosité contrôlée et un style parfois guitaristique, illustre de manière éclairante le résultat des nouvelles méthodes pédagogiques mises en oeuvre dans les conservatoires arabes ainsi que la volonté d'universalisme à laquelle tend un grand nombre de musiciens arabes contemporains.
Le luth syrien de Nuhammad Qadri Dalal
Né en 1942 à Alep, Muhammad Qadri Dalal est dès son plus jeune age baigné dans l'univers de la musique religieuse, grâce à son père, cheikh réputé pour son talent de chanteur. Tout en suivant une formation de lettres arabes, il reçoit l'enseignement de chant, de luth et de théorie musicale des plus grands maîtres aléppins qui feront de lui un musicien accompli. Après une expérience de quelques années comme professeur de lettres, en Syrie et au Maroc, il décide de se consacrer totalement à la musique et entre comme professeur de musique à 1'Ecole Normale d'Alep.
En 1989, il est nommé Inspecteur de l'Enseignement Musical pour tout le nord de la Syrie. Reconnu comme l'un des plus grands maîtres syriens contemporains, tant pour son talent d'instrumentiste que pour ses connaissances de la théorie et du répertoire, de nombreux ensembles traditionnels font appel à lui comme conseiller artistique.
Le style de Muhammad Qadri Dalal est profondément marqué par ses préoccupations en matière de langage musical. Maîtrisant parfaitement le style traditionnel, il considère néanmoins à notre époque, le musicien arabe ne peut plus se contenter de reproduire les modèles établis par la tradition classique. Ne voyant pas non plus de solution valable à long terme dans le courant moderniste égyptien, il tente donc de mettre au point une nouvelle grammaire musicale fondée sur un travail de restructuration du système modal.
Cette restructuration passe par une exploration des infinies possibilités combinatoires des modes arabes, que M. Q. Dalal entreprend en utilisant de manière systématique les techniques traditionnelles de la transposition ( taswir) et de la superposition ( tarkib) . L'originalité de cette recherche réside dans le fait que le musicien la mène non pas de nanière froide et théorique, mais dans le cadre d'une pratique instrumentale quotidienne qu'il confronte régulièrement à l'écoute critique de ses pairs lors de concerts ou de soirées musicales entre artistes.
Cette démarche, associée à une très grande pudeur d'expression, l'amène à remettre en question l'esthétique du tarab, point émotionnel culminant de l'improvisation. Dans un souci constant de résister à l'attrait facile et vulgaire du cliché mélodique, son mode d'improvisation s'attache à mettre en abîme un jeu de piste modal et mélodique, entraînant son auditoire à travers un chemin parfois difficile mais toujours gratifiant.
Profondément ancré dans la tradition arabe, le jeu subtil de Muhammad Qadri Dalal, en sollicitant une écoute dynamique et intelligente, rejoint un des pôles majeurs de la problématique musicale contemporaine en Occident.
Muhammad Qadri Dalal a reçu en 1988 le Prix André Schaeffner de 1'Académie Internationale du Disque Charles Cros pour son disque publié à l'Orstom : "Syrie, Alep : Muhammad Qadri Dalal, improvisations au luth".
Pierre Bois
Muhammad al-Harithi, chanteur-luthiste du Yémen
Muhammad Hamûd al-Harithi est né il y a environ soixante ans à Kawkabân, ville historique réputée pour avoir été le berceau des arts au Yémen. C'est là que vivait le célèbre poète (et probablement compositeur) du XVIe siècle, Muhammad Sharafeddine.
C'est en secret que Muhammad al-Harithi apprit à jouer du luth ('ûd) et à chanter, car cette activité était réprouvée à l'époque ou l'imam gouvernait le pays.
Issu d'une famille de lettrés, il est entré de plain-pied dans la grande tradition poétique homayni, écrite dans une langue très littéraire, mais émaillée d'éléments du dialecte de Sanaa. Cette poésie lyrique chante l'impossible amour, mais surtout le vertige qui saisit l'amoureux devant la beauté de son inaccessible objet, dont la grâce est souvent comparée à celle d'une gazelle, de la pleine lune ou encore d'une branche de moringa...
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Cette poésie est chantée dans la tradition musicale la plus raffine au Yémen, celle du "chant de Sanaa'' (ghina sana'ani). Les chants sont exécutés sous forme de suites composées de trois ou quatre pièces composées dans des modes, des rythmes et des tempi différentiels. La forme conventionnelle comprend en principe une pièce non mesurée, dite "longue" (mutawwall) (1), ou bien une pièce de rythme aksak ou "boiteux", généralement un 7/8 ou un 11/8, suivie d'une pièce binaire en 4/4. Elle est conclue par une pièce de rythme similaire, mais de tempo plus rapide. Le principe de base est donc l'accélération, avec une certaine croissance de la tension du début vers la fin. La tradition Kawkabân se distingue surtout par un certain nombre de pièces de rythme binaire dans lesquelles sont introduits des triolets permettant d'exécuter un pas de danse particulier.
Bien qu'étant l'un des représentants les plus authentiques de la tradition de Sanaa, al-Harithi vit avec son siècle : il a longtemps chante dans les tranchées pendant la guerre civile (1962-1967), pour donner du courage aux soldats républicains. Il a aussi compose un certain nombre de mélodies qu'il a adaptées à des paroles anciennes ou modernes. L'une de ses chansons est un plaidoyer contre le port du voile féminin, il y dit notamment "On n'a jamais vu la lune porter le voile!"
Il a également tenté d'élargir l'accompagnement du chant à d'autres instruments comme les percussions ou le violon, mais toujours avec prudence, en tentant de rester le plus près possible de la tradition, qu'il considère comme "plus belle que tout ce que l'on a fait depuis".
Jean Lambert
(1) Comme quoi le terme long semble largement usité de par le monde pour désigner le "non mesuré" (longa hora dans les Balkans, urtyn duu en Mongolie, mutawwal dans la péninsule arabique...).
Le luth égyptien de Hussein Saber Labib
Né en 1946 au Caire, Hussein Saber Labib pratique cet instrument depuis 1'âge de six ans. Formé conjointement par le maître Abdelfatah Sabri et le Département d'Enseignement Musical de l'Université de Heluan, il passe son baccalauréat musical au Caire en 1968. Après avoir travaillé quelques années dans ce département comme assistant, il part aux Etats-Unis et obtient en 1982 son doctorat à l'Université du Michigan, alors siège d'un des meilleurs enseignements d'ethnomusicologie aux Etats-Unis et de la Society for Ethnomusicology.
De retour au Caire, il est nommé professeur au Département d'Enseignement Musical de 1'Université de Heluan, et donne plusieurs concerts en Egypte et l'étranger. Instrumentiste soliste renommé, il crée plusieurs oeuvres concertantes avec l'orchestre Symphonique du Caire, notamment le Concerto pour luth et orchestre de Atiya Sharara et la Fantaisie pour luth et orchestre de Saïd Awat. Grand connaisseur de l'histoire et de la théorie du luth oriental il lui consacre une série de 8 émissions à la télévision égyptienne.
Outre de nombreux récitals dans le monde arabe, en Europe et aux Etats-Unis, il participe en 1990 au Festival de Carthage aux côtés des plus grands luthistes du monde arabe, et au Congrès de la Musique de Sarrebruck en août 1990.
Luth de Jordanie, Sakher Hatar
Né en 1963 à Amman, Sakher Hatar est aujourd'hui considéré comme l'un des plus grands luthistes jordaniens, non seulement dans son pays, mais également par les plus grands maîtres arabes, notamment Munir Bachir.
Formé dans le cadre le l'Institut de Musique et des Beaux Arts d'Amman, puis auprès de professeurs privés, Radwan Mughrabi et Amer Madi, il enseigne aujourd'hui le luth au Conservatoire National d'Amman (Fondation Noor al-Hussein), ainsi que dans plusieurs autres structures pédagogiques, et dirige deux ensembles de chant et de musique traditionnels.
De par son style, il se rattache assez largement à la tradition de Bagdad marquée par une profonde intériorité, et un jeu de plectre très diversifié qui met remarquablement en valeur le caractère émotionnel spécifique de chaque maqâm arabe.
Il s'est vu par ailleurs décerner plusieurs médailles honorifiques au Festival de Jerash (Jordanie, de 1983 à 1990) ainsi qu'au Festival International de Babylone (Irak, 1988-1989).
Contributeurs
Origine géographique
Monde Arabe
Mots-clés
Date (année)
1991
Cote MCM
MCM_1991_ARA_S1
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Titre | Localisation | Date | Type | |
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Saison 1991 | 1991 |