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Yémen. Chant de Sanaa. Spectacle

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Évènement

Titre

Yémen. Chant de Sanaa. Spectacle

Sous-titre

Yahya al-Nounou, chant et luth et Mohammed al-Khamisi, plateau en cuivre

Date

2000-06-13

Date de fin

2000-06-14

Artistes principaux

Lieu de l'évènement

Type d'évènement

Musique

Description de la pratique

13-14 juin 2000
AHYA AL-NOUNOU est un des rares représentants authentiques de la tradition classique du Chant de Sanaa (ghinâ sanaani). Formé d'abord à l'école exigeante du répertoire religieux de l'inshad, il se forge un style vocal très personnel. Puis, sans renier sa formation initiale, il se consacre au répertoire profane, s'accompagnant au luth oriental 'ûd et au luth yéménite qanbûs qu'il est un des derniers à pratiquer.
Doué d'un remarquable sens de l'interprétation, Yahya al-Nounou cherche à redonner au Chant de Sanaa toute sa beauté formelle et sa dimension émotionnelle, en restituant aux formes leur unité poétique et musicale, et donc leur sens.
Se refusant à tout compromis sur le plan politique ou médiatique, Yahya al-Nounou ne s'est jamais produit dans son pays autrement que dans un cadre strictement privé. C'est donc à la France qu'il réserve sa première apparition publique, accompagné par son complice Mohammed al-Khamisi, l'un des derniers joueurs de plateau en cuivre dans le style de Sanaa.
Les habitants de Sanaa ont coutume de se réunir tous les après-midi pour consommer le qat, une plante stimulante. Assis autour d'une grande pièce, les consommateurs échangent des plaisanteries, discutent de sujets politiques, philosophiques ou artistiques. Puis ils s'abîment dans la contemplation du soleil couchant se réfractant sur le paysage. La musique apporte un commentaire sonore à cette contemplation muette. En fin d'après-midi, les Sanaanis vivent une sorte d'expérience intérieure qu'ils appellent l'heure de Salomon (pour les musulmans, le roi Salomon commandait aux oiseaux et aux génies, qui sortaient de terre à la tombée du jour). On garde le silence, on n'allume pas la lumière, on reste le plus longtemps possible entre chien et loup, à l'écoute de la musique du monde. Plus tard dans la soirée, la séance musicale reprend sur un mode plus "t errestre". C'est la samra où la musique est plus sensuelle et la poésie chantée beaucoup plus débridée. On y danse volontiers. "La nuit est un voile" dit un chant de mariage. Au cours de cette période qui va de l'après-midi à la nuit en passant par l'heure de Salomon, le musicien accompagne les états intérieurs des participants du magyal, effets du qat et autosuggestion poétique.
Le Chant de Sanaa (ghinâ sanaani) est un art de soliste exigeant. Le musicien chanteur doit y mettre en valeur les plus beaux textes poétiques de la littérature yéménite et de la littérature arabe. Il s'accompagne d'un petit luth spécifiquement yéménite, le qanbûs qui, malheureusement, tend de plus en plus à être supplanté par le luth oriental 'ûd.
Ce répertoire classique s'est nourri de plusieurs sources : apports andalous par l'Egypte, musique soufie sous la dynastie des Rasoulides (XIVe - XVe siècles), influences ottomanes du XVIe au XIXe siècles. En se greffant sur un substrat ancien, ces influences se sont fondues ensemble en une forme originale où le sentiment modal arabe est enrichi par un génie mélodique sans pareil.
Des cycles rythmiques complexes structurent le répertoire, ils sont enchaînés en une suite de danses, la qawma, qui va s'accélérant en passant par trois cycles principaux :
' la das'a impaire, à 7 temps ou 11 temps ;
' la wastâ binaire, à 4 temps ;
' le sâri', à 4 temps, similaire au précédent, mais de tempo plus vif.
La qawma est souvent introduite par un fertâsh (exploration) : une pièce instrumentale semi-improvisée et mesurée, ce qui la distingue du taqsîm proche-oriental dont le rythme est libre.
La poésie chantée, du genre homaynî, est écrite dans une langue arabe très classique mais émaillée de tournures dialectales propres à la région de Sanaa. Le homaynî est apparu aux XIVe siècle, sous l'influence du muwashshah andalou rapporté du Caire par le poète al-Mazzâh. Pour la première fois on écrivait en dialecte, acte de naissance d'une littérature arabe spécifiquement yéménite. Parmi les grands poètes, on peut citer Mohammed Sharaf al-Dîn (m. 1607), auteur prolifique dont les émois amoureux ont alimenté un style somptueusement fleuri, 'Abd al-Rahmân al-Anisî (m. 1834) et son fils Ahmed (m. 1825). Le homaynî cultive les thèmes classiques du ghazal arabe : un amour impossible pour une belle inaccessible, mais aussi la nostalgie, l'absence, et un sentiment très sensuel de la nature. Le poète, toujours un homme, interpelle le plus souvent la belle au masculin, et la compare aux éléments naturels comme la gazelle, le croissant de lune, la branche de balsamier.
Jusqu'au début de ce siècle, on ne connaissait guère au Yémen le luth oriental 'ûd. L'instrument le plus courant était un luth de fabrication locale, dénommé qanbûs à Aden, et turbi à Sanaa car son écoute procure le tarab, l'émotion musicale. Prohibé par les soldats de l'imam, le qanbûs était fabriqué par des menuisiers ou par les musiciens eux-mêmes. Il en existe quelques beaux exemplaires en bois moulé et parfois incrusté d'os et d'ébène. De la côte de l'Océan Indien, l'instrument s'est diffusé à Madagascar, aux Comores et en Indonésie où il est connu sous le nom de qâbûs, gabûsi, kabosy, etc. Les musiciens qui savent encore en jouer à Sanaa se comptent sur les doigts de la main, et il a quasiment disparu d'Aden.
Le qanbûs est creusé dans une seule pièce d'abricotier ou de tanab local (Cordia abyssinica) recouverte d'une peau de chèvre qui lui confère sa sonorité douce mais riche en harmoniques. Il est tendu de quatre cordes couvrant une octave et demie, et accordées en quartes. Joué avec un plectre en plume de rapace, il permet un jeu subtil et nuancé. Dans le style yéménite, il existe une grande variété de techniques de la main droite.
Son petit volume en faisait l'instrument idéal pour pratiquer la musique discrètement pendant les périodes d'interdiction, qui étaient fréquentes à l'époque des imams. On raconte que Qâsim al-Akhfash, un des grands maîtres disparus, avait un qanbûs qui se pliait et dont les deux parties étaient réunies par des charnières : il marchait dans la rue vêtu d'un grand manteau, l'instrument glissé dans la poche intérieure' Par sa petite taille, le qanbûs permettait aussi au musicien de danser tout en jouant, ce qui est impossible avec un luth oriental.
La plupart des parties du luth ont des noms anthropomorphes : les clefs sont des doigts (asâbi'), le manche est un cou (ragabah), la caisse est un ventre (jofra) ou un cul (jahlah), le point d'attache est un petit sexe (zubbayba). Cette analogie avec le corps humain ' au demeurant masculin ' était déjà présente dans le mythe d'origine du luth arabe : d'après l'historien Mascûdî, un descendant de Noé appelé Lamek, pleurant devant le cadavre de son fils, avait eu l'idée de fabriquer l'instrument avec les parties de son corps. Ainsi, le qanbûs est-il une forme archaïque du luth oriental, remontant certainement aux débuts de l'islam.
Né en 1937, lointain héritier d'une famille illustre mais totalement désargentée, Yahya al-Nounou a été élevé à l'école des "orphelins de l'Imam", où étaient formés dès l'enfance les meilleurs serviteurs du souverain yéménite. Avec la psalmodie du Coran, il a acquis une formation traditionnelle, à la fois religieuse et musicale, mais aussi des compétences techniques en télécommunications. Ainsi, dès avant la Révolution, il devint employé du télégraphe et, pour son travail, fut amené à parcourir le Yémen à pied. Il en profita pour recueillir auprès des vieux chanteurs de rencontre des mélodies et des poèmes oubliés dans le fond des wadi et sur les plus hauts sommets. À cette époque, il transportait dans son baluchon une boîte de beurre clarifié en fer blanc qui lui servait d'instrument de percussion, pour s'accompagner là où il ne pouvait pas emporter un luth.
Yahya al-Nounou fait partie de cette génération charnière qui a bien connu l'époque précédant la République (née en 1962), mais est encore assez jeune pour nous faire partager ses souvenirs : à l'époque, on chantait sans micro et chacun balayait devant la porte de sa maison' Selon Yahya al-Nounou, il y a une continuité de civilisation entre l'ancien et le moderne et il ne devrait pas y avoir de coupure historique entre le Yémen de l'Imam et le Yémen de la République en dépit de ce que prétend une certaine rhétorique politique.
C'est parce que ses contemporains n'ont pas compris cette vérité qu'ils sont (selon lui) prisonniers d'une vision étroite (même si elle se veut moderniste). C'est parce que Yahya al-Nounou vit encore dans une période historique qui, pour la plupart, est révolue qu'il n'a jamais cherché à se faire connaître au Yémen et qu'il espère trouver ailleurs un public qui puisse comprendre sa démarche sans concession.
Cet esprit de continuité se retrouve aussi bien dans le répertoire que dans l'instrumentation.
Yahya al-Nounou joue à la fois du luth oriental (récemment importé au Yémen) et du luth yéménite à quatre cordes, le qanbûs, qu'il est un des derniers à pratiquer.
Pour sa part, son ami Mohammed al-Khamisi joue du plateau en cuivre, le sahn nuhâsi, selon une technique très délicate qui est spécifique au Yémen : avec le bout des doigts, tout en le maintenant en équilibre sur les deux pouces. La complicité entre les deux instruments, comme entre les deux hommes, traduit elle aussi une expérience intime et entière. Cette passion, Yahya cherche à la transmettre fidèlement, avec une intensité juvénile qui ne s'est pas démentie avec l'âge. Est-ce parce que son nom, al-Nounou, signifie "bébé" en arabe yéménite?
JEAN LAMBERT

13 JUIN 2000
PROGRAMME
Suite (qawma) n ° 1
-Bismillah mawlânâ abtadaynâ (anonyme)
Au nom de Dieu, notre Seigneur, nous commençons.
-Rasûlî gum balligh lî îshâra (anonyme)
Ô mon messager, apporte pour moi un signe
Auprès de la belle
Et porte(-lui) témoignage de la part de mon coeur
Afin que nous comprenions ce qu'il y a entre nous (')
-Ana mâ shuft fî l ghuzlân mitlek (anonyme)
Je n'ai vu personne qui t'égalât parmi les gazelles
D'un seul regard, tu as ravi mes sens et ma raison (')

Suite (qawma) n°2
-Ayyu shayyin arâ ? (Mohammed Isma'il al-Khamisi, avec la coll. de Yahia al-
Nounou)
Que vois-je ? Quel sont ces chuchotements que j'entends,
Qui résonnent à mon oreille et me réveillent,
Et qui me disent que Sanaa
M'a chargé de porter ses saluts à la France ? (')
-Yâ mustajib al-dâcî (anonyme)
Ô Toi qui réponds aux invocations
Exauce vite la mienne
Soigne toutes mes douleurs,
Ô imploré, ô miséricordieux (')

durée du concert : 1h10 sans entracte

Remerciements à Monsieur Jean Lambert, Madame Brigitte de Puytison, Monsieur Benoît Tadié, Monsieur François Burgat et Monsieur Mohamed Metalsi.

Contributeurs

Origine géographique

Yémen

Mots-clés

Date (année)

2000

Cote MCM

MCM_2000_YE_S1

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Yémen. Chant de Sanaa. Photos Yémen 2000-06-13 Photo numérique
Yémen. Chant de Sanaa. Photos Yémen 2000-06-13 Photo numérique
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4e Festival de l'Imaginaire 2000