Ressource précédente
Ressource suivante

Papouasie-Nouvelle-Guinée. Les Papous à Paris. Match de Cricket des Trobriands. Spectacle

Collection

Type de document

Évènement

Titre

Papouasie-Nouvelle-Guinée. Les Papous à Paris. Match de Cricket des Trobriands. Spectacle

Date

1990-06-23

Date de fin

1990-06-24

Lieu de l'évènement

Type d'évènement

Cérémonie, rituel

Description de la pratique

23-24 juin 1990
Aux arènes de Lutèce

LE CRICKET DES ILES TROBRIAND
Situées aux larges des côtes orientales de la Nouvelle-Guinée, les Iles Trobriand comptent une population d'environ 20 000 habitants dont une des particularités est d'avoir su intégré le jeu de cricket à leur système culturel et social traditionnel.
Le cricket, apparu sous une forme rudimentaire au début du XIVe siècle en Angleterre, va très vite s'affirmer comme sport national pour se fixer dans ses règles définitives vers la fin du XIX siècle. À la même époque, la Nouvelle-Guinée et les îles avoisinantes sont soumises au pouvoir colonial britannique qui, tout en imposant ses règles politiques et les valeurs morales défendues par ses missionnaires, introduit ce nouveau jeu auprès des populations papoues. Curieusement, le cricket fait tout de suite fureur chez les nouveaux convertis, à tel point que les deux grandes institutions britanniques actuellement conservées par la Papouasie- Nouvelle guinée depuis son indépendance sont la démocratie parlementaire et... le Cricket.
Contrairement aux populations de Papouasie, celles des Iles Trobriand vont faire subir au jeu de cricket une série d'avatars tout à fait surprenants.
Le jeu est introduit auprès des Trobriandais en 1903 par un missionnaire méthodiste, le Rév. M. K. Gilmour, désireux d'imposer une activité compétitive de substitution aux guerres tribales. Avec l'aide de missionnaires fidjiens, des missions se créent dans lesquelles les nouveaux convertis s'adonnent volontiers au plaisir du cricket qu'ils pratiquent dans les règles de l'art. Mais pour être efficace politiquement, ce jeu ne peut se limiter aux nouveaux convertis. Des matchs sont donc organisés dans les cours des missions entre les convertis et les villageois. Et peu à peu, ces derniers incorporent ce jeu à leur culture et après quelques transformations l'intègrent à leur système de compétitions traditionnelles.
Parmi les activités liées aux guerres tribales, les Trobriandais ont toujours pratiqué diverses sortes de compétitions obligatoires kayasa, organisées périodiquement et entourées d'un large cérémonial. Chaque village établissait sa réputation en organisant ces compétitions et en les entourant de manifestations fastueuses. Ainsi, lorsque l'équipe invitante était ensuite accueillie chez ses adversaires, ceux-ci ne pouvaient pas moins faire que d'organiser une fête encore plus splendide que la précédente (principe de l'économie d'ostentation). Prêts à accueillir cette nouvelle forme de compétition sportive, les Trobriandais lui firent donc subir toutes sortes de transformations et ajouts rituels.
Tout d'abord, les joueurs se débarrassèrent des costumes et des équipements britanniques, pour revêtir des costumes de guerre traditionnels et utiliser des battes qu'ils sculptaient eux-mêmes dans un bois léger et dur. Les battes étaient ensuite décorées de traits aux couleurs de guerre : le noir et le blanc. Les équipes de onze joueurs furent remplacées par l'ensemble des hommes de chaque communauté clanique, et l'on vit apparaître ainsi des équipes de trente, quarante, voire soixante joueurs. Comme ces équipes étaient beaucoup plus importantes que dans le jeu britannique, on assista à une nouvelle distribution des rôles : le batsman n'eut plus à courir entre les bases (wickets) mais se fit remplacer par des coureurs. On eut également recours à des procédés magiques pour renforcer la protection des bases et la précision des battes.
Enfin, le jeu entouré de toutes sortes de chants et de danses spécifiques à chaque équipe et ayant pour rôle de provoquer et d'impressionner les adversaires ; le jeu acquit ainsi une fonction à la fois rituelle, économique et politique, qui dépassait sa simple fonction ludique originelle.
Ces chants et ces danses ont par ailleurs toujours témoigné d'une capacité créatrice encore très vivace aujourd'hui, dans la mesure où chaque équipe nouvellement créée doit composer son propre répertoire.
Chaque équipe se donne donc un nom et compose une série de chants et de danses qui réfèrent le plus souvent, mais sous le mode de la dérision,, aux activités des Blancs. Ainsi l'équipe Blindmen (aveugles) défile comme un régiment d'infanterie, en mimant le port des fusils, l'équipe des Airplanes (avions) mime le vol des patrouilles aériennes que leurs pères virent décoller des bases anglaises des Iles Trobriand pendant la IIe Guerre Mondiale. Une autre équipe évoque un groupe de piroguiers bravant avec courage une mer démontée, ou le vol des oiseaux de mer.
Ces chants aux textes provocateurs empreints de dérision sont généralement à double sens et recèlent des connotations érotiques très fortes :

Le manioc par ici,
La noix de coco par là ;
Je râpe, je râpe.

Outre le fait que le manioc et la noix de coco sont consommés râpés, le manioc apparaît ici comme un symbole phallique, et le verbe râper sous son acception relative à l'acte sexuel.)

Chaque équipe possède deux sortes de danses chantées ; une danse d'entrée par laquelle commence le match, et qui est reprise à la fin de la compétition, et une danse destinée à célébrer chaque succès de l'équipe.
Le matin du match, tout le village invitant se lève à l'aube pour se préparer. Déjà l'équipe invitée suit les sentiers de brousse pour se rendre sur le lieu de la compétition. L'homme chargé de l'organisation du match s'assure que les balles sont prêtes et ont été convenablement fabriquées ; la veille il est allé voir le guérisseur du village et lui a demandé de faire le nécessaire pour que le temps soit propice, puis il lui a présenté les battes de son équipe pour qu'il leur confère un pouvoir magique. Il lui reste encore à se rendre sur le terrain et placer les piquets de chaque base à une distance de vingt-deux pas. Pendant ce temps, les joueurs s'habillent et se peignent le visage. Ces peintures de guerre renforceront leur force et leur courage en leur donnant une seconde personnalité. Enfin, ils se coiffent de parure de feuilles et de plumes.
Lorsque l'équipe invitée arrive au village, tout le monde se rend sur le terrain. On compte les équipes, puis un jeune garçon est envoyé cueillir une grande feuille de cocotier qui, grâce à ses multiples ramures, servira à marquer les scores. De chaque côté de la tige centrale, le nombre de ramures est ramené au nombre de joueurs de chaque équipe.
Ensuite les joueurs se livrent aux danses d'entrée. Et le jeu commence. Quant à son principe, il est semblable au cricket d'outre-manche. Derrière chaque base (wickets) se tient un joueur de l'équipe A. Devant la base se tient un joueur de l'équipe B, une batte à la main (batsman). Le lanceur (bowler) de l'équipe A lance sa balle que le batsman doit renvoyer le plus loin possible. Dès que la balle a été renvoyée, les coureurs de l'équipe B entament le va et vient entre les deux bases. Ils doivent avoir regagné leur base avant que la balle ait été récupérée par un joueur de l'équipe A. Le batsman est éliminé s'il sort de sa zone de sécurité, ou si la balle est récupérée avant même qu'elle n'ait touché le sol. Lorsque tous les batsman de l'équipe A ont joué, les équipes changent de place, et c'est au tour des batsmen de l'équipe A de jouer, et ainsi de suite jusqu'à la fin de la partie qui s'achève par des danses de sorties identiques à celle du début du match.
Parmi les cas de situations de type colonial en Afrique et en Océanie, le cricket des Iles Trobriand constitue un exemple remarquable de récupération traditionnelle. Il relève en effet la force culturelle d'une communauté qui, face à un processus de déculturation, y répond en jouant superficiellement le jeu du pouvoir, tout en le détournant au profit de ses structures sociales. Curieusement, en jetant avec ce jeu un nouveau pont entre le rituel, le politique et l'économique, les Trobriandais sont même parvenus à renforcer leur système social.
Cette situation s'est-elle développée de manière explicite entre les différents protagonistes de ce drame colonial ? Les anglais mesurèrent-ils sur le moment toutes les implications profondes de cette modification de leur sport national ? Une chose est certaine en tout cas, c'est que si le pouvoir britannique parvint ainsi à endiguer les conflits qui ensanglantaient ces îles, les Trobriandais surent faire preuve d'un machiavélisme politique encore plus efficace.

Contributeurs

Origine géographique

Papouasie-Nouvelle-Guinée

Mots-clés

Date (année)

1990

Cote MCM

MCM_1990_PG_S2

Ressources liées

Filtrer par propriété

Titre Localisation Date Type
Papouasie-Nouvelle-Guinée. Les Papous à Paris. Match de Cricket des Trobriands, musique et danse. Photos Papouasie-Nouvelle-Guinée 1990-06-23 Photo numérique
Papouasie-Nouvelle-Guinée. Les papous à Paris. Musiques et danses. Match de Cricket papou. Affiche Papouasie-Nouvelle-Guinée 1990-06-23 Affiche
Titre Localisation Date Type
Saison 1990 1990