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Lettonie. Ojars Felders. Exposition

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Évènement

Titre

Lettonie. Ojars Felders. Exposition

Date

1992-09-30

Date de fin

1992-10-31

Lieu de l'évènement

Type d'évènement

Exposition

Description de la pratique

30 septembre-31 octobre 1992
Feldbergs, sculpteur panthéiste par Michel Nuridsany

J'ai vu pour la première fois les pierres peintes d'ojars Feldbergs à la Stalla
Galerij, petit musée voué à la sculpture, situé dans d'anciennes écuries. Dehors, dans le jardin, sur les pelouses, des sculptures rouillaient, s'usaient, se détérioraient doucement sous le regard indifférent des vieux qui venaient s'asseoir quelques instants sur les bancs. A l'intérieur, sur trois lignes, des pierres d'assez belle dimension reposaient à hauteur de poitrine non sur des socles mais sur des tubes peints en noir. Comme en état de lévitation. Je me souviens d'avoir pensé "Anselmo": le grand artiste italien installe en effet des blocs de granit généralement plats au mur comme des bas-reliefs ou comme de la matière arrachée à la pesanteur.
Après cela est arrivé Igors Dobicins, 34 ans, qui nous a conduit de l'autre côté du fleuve pour voir une installation dont il était l'auteur, plus intéressant symboliquement qu'artistiquement, réalisée avec du béton et des pierres près du bâtiment qui abrite la télévision pendant que les soldats russes tentaient de l'occuper. Il avait acheté le matériau, une société de films avait payé le reste. Ensuite ' mais ensuite seulement - la ville l'avait aidé. "Elle n'aurait pas accepté de payer sur projet, dit-il, après elle s'est sentie obligée". On voit des trous creusés dans la pierre et le ciment figurant deux yeux, une bouche. A l'intérieur deux gros projecteurs qu'on allume parfois. Igors Dobicins aurait préféré un laser...
Il sourit. Rêve. Soupire...Que fait-il d'autre? En ce moment un seul projet l'occupe : il se construit lui-même en bois, un atelier près du fleuve, là où, déjà, un certain nombre de sculpteurs se sont installés, rêvant aussi d'y créer un parc de sculptures .
L'endroit est bucolique. Pour l'instant. "Il y a des problèmes avec la ville, dit-il. Beaucoup se sont installés et ont construit sans autorisation". Il y a une vague clôture, un chien attaché et une longue laisse, quelques oeuvres inachevées et dont certaines le resteront, probablement, - l'ébauche d'une construction. De ce que sera la maison.
Devant s'étend une grande pelouse. Au bout, à cent mètres de la une grande maison toute en bois autour de laquelle s'affairent des ouvriers, taillant, sciant à grand bruit des blocs de pierre: c'est la maison d'Igors Felbergs. "C'était mon professeur" dit Igors Dobicins.
A l'entrée des pierres tombales : le travail alimentaire. Un peu plus loin une statue de Lénine en béton coupée en trois morceaux. Statue récupérée? Travail interrompu, lui aussi alimentaire? Il y a aussi quelques-unes des sculptures vues dans ses catalogues.
Feldbergs porte toujours la barbe, comme sur les photographies où on le voit rouer des pierres, les couper à la scie circulaire, installer des bûches autour en cercle et les brûler Mais alors il portait une barbe d'étudiant contestataire énorme, hirsute comme sa chevelure. Aujourd'hui la barbe est assez courte, bien peignée. La chevelure aussi. Feldbergs est un artiste reconnu.
Lorsqu'il parle il croise les bras sur sa poitrine et, parfois, un doigt rêveur vient triturer, torsader quelques poils de la barbe. Feldbergs parle beaucoup, longuement, à toute allure, mettant au supplice l'interprète.
L'atelier est grand, clair. A droite, en entrant, deux chevalets. A gauche des livres des oeuvre d'amis peintres. Un petit drapeau japonais et, bien encadré, un diplôme attribuant à Ojars Feldbergs le "Grand Prix Henry Moore du Hara Open Air Museum" (Japon). Un air de Japon flotte dans la tête et dans l'oeuvre de Feldbergs. Lorsqu'en 1989 il présente des sculptures intitulées "Champ" ou "Rivière", inscrivant à leur surface l'empreinte que laisse le râteau dans le sable des jardins zen de Tokyo, la totalité des sept sculptures montrées reposant sur un lit de sable travaillé, lui, par un râteau semblable à celui des moines, la similitude paraît immédiate, évidente.
Les Japonais y ont été sensibles, naturellement et ont manifesté leur reconnaissance à leur manière.
Mais les proximités ne sauraient se réduire à ces seuls signes apparents qui soulignent presque trop la connivence. Car s'agit-il réellement d'une influence directe? N' y aurait-il pas, plutôt un curieux mouvement d'aller et retour de la découverte hésitante d'un panthéisme profondément personnel, profondément letton, à celui des japonais qui s'est traduit dans des formes d'une beauté impressionnante (dont on trouve la trace chez des artistes d'aujourd'hui comme le coréen Lee U Fan), pour revenir à un langage propre, débarrassé de toute influence, renouant avec une identité retrouvé?
Le panthéisme letton, si j'en juge par ce que m'en ont dit quelques artistes de Riga, est incroyablement proche du shintoïsme, religion bizarre, spécifiquement japonaise, plus ou moins animiste, et du taoïsme dont l'esprit hante l'âme de toute la Chine et de l'Asie du Sud- Est, philosophie, morale, qui envisage l'homme non comme une entité séparée mais comme un élément participant au grand cycle du Cosmos.
"Notre Dieu c'est la nature, m'a dit Feldberg. Cette donne fondamentale imprègne tout le folklore letton et notre mentalité profonde, notre façon de penser et de sentir".
Au début, chez lui, le bois, la pierre, sont associés. La matière est personnifiée, vivante. Feldbergs monte dans les plus hautes branches des arbres et pendant des journées entières, il aime à se sentir osciller dans le vent. Sentir ce que sent l'arbre, c'est un besoin. Dans l'une de ses premières oeuvres où il montre une pierre à demi- enfouie, en relation avec la terre, l'autre avec le ciel, il demande : "Les pierres qui habitent dans la terre, que voient-elles ?
Aujourd'hui la pierre est séparée de la terre. Il a même voulu suspendre, à l'aide de filins, au-dessus du vide d'un précipice, des pierres que le vent, doucement, aurait balancé. Rêve immémorial de l'homme hanté par le désir de voler que Feldbergs a voulu faire partager à la pierre? Façon de transgresser l'ordre naturel? Façon de retrouver, à travers la vérité des contes (où les pierres qui volent ne sont pas une réalité si étonnante), une vérité plus profonde, plus essentielle ?
"Objets inanimés avez-vous donc une âme?" s'interrogeait un romantique français du nom de Lamartine. N'est-ce pas pour répondre par l'affirmative, les considérant comme des être vivants, que Feldbergs les violente et les caresse, les griffe, les troue, les coupe, les ouvre, montre leur coeur entre avec elles en dialogue ? La nature toute entière ici, pense et sent à l'unisson. Le jaune dont il peint les pierres c'est le jaune du soleil, le vert c'est celui de l'herbe et le bleu le bleu du ciel.

Une exposition tous les cinq ans par Ojars Feldbergs
Je voudrais faire une exposition tous les cinq ans jusqu'à la fin de ma vie. Ma première exposition personnelle a eu lieu en 1982, j'avais alors 35 ans, j'y ai montré dix sculptures en granit ' résultat du travail de dix années. A cette époque je recherchais ma propre identité, je formais ma conception du monde. Mes sculptures représentaient la nature, ses notions, ses phénomènes.
Pour la deuxième exposition qui a eu lieu en 1987, j'ai créé un objet composé de huit sculptures en granit: les blocs de roche pris dans le paysage letton étaient pleins d'une très antique mémoire. Pour rendre visible leur expérience, je les avais travaillé en partie, respectant leur nature, leur surface naturelle. Je les avais couchés dans une salle pleine de sable - c'était leur environnement d'origine.
Le rythme quinquennal de mes expositions a été brisé par les changements qui se sont produits dans notre vie, en raison de la glasnost et de nos aspirations à l'indépendance.
Le destin du peuple a été grandement affecté par les répressions staliniennes. J'ai rencontré mon père pour la première fois à l'âge de sept ans à son retour d'un camp en Sibérie. Mes réflexions et mes expériences en travaillant sur le monument pour les victimes des répressions staliniennes se sont réalisées dans l'installation "d'une pierre comme toutes les autres", composée de dix pierres. C'était la métaphore de la voie douloureuse qui menait de la Lettonie a la Sibérie. L'installation était dédiée à mon père et à la Lettonie.
La quatrième exposition au printemps1992 était comme une confirmation de ma victoire sur moi-même, processus qui d'une façon indirecte dépendait de la reconquête de la liberté de la Lettonie. Je me suis éloigné de la représentation du réel vers la sensibilisation de l'irréel par la pierre, à travers la pierre.
En 1991, j'ai visité le Japon où, encore une fois, j'ai trouvé la confirmation de mes intentions.
Cette année mes quatre éléments premiers du monde : l'air, la terre, l'eau et le feu en granit sont partis au Japon pour être installés à 2 000 mètres sur la cîme du mont Utsukushi-ga-hara. C'était la fusion du panthéisme letton et du shintoïsme japonais.

Dialogue avec la pierre par Ojars Feldbergs
Sculpteur c'est ma manière de penser. Au cours de ma vie cette activité m'a donné la possibilité de réunir mes conceptions qui m'ont permis d'étudier le monde et moi- même et de créer les signes définis que contient un matériau important: la pierre.
Pour moi-même et mon peuple, la pierre n'est pas une espèce de montagne mais une image née de l'expérience historique et conservé dans les chansons populaires, les contes et les mythes.
Me percevant moi-même comme une partie intégrante de la nature et de la réalité mondiale, j'ai créé ma méthode qui peut s'exprimer par la formule Espace - masse - conscience. La nature, ses phénomènes et ses processus, provoque le désir de penser, de ne faire qu'un avec elle. Ma vie qui se passe en osmose avec la pierre me donne une expérience qui se développe du réel à l'abstrait en se concentrant dans les signes plastiques.
Par exemple la nature c'est un arbre, une rivière, un champ, un éclair, une aube... Moi je suis la vie, le destin, la patrie, l'équilibre...et les sensations dépendent de la facture, des couleurs, de la forme des signes géométriques. C'est mon dialogue avec la pierre. Il s'agit là de ce que nous voyons, sentons,connaissons et supposons.

Interview (extrait)

Ojars Feldbergs : "... Il y a longtemps que j'avais envie de travailler avec les pierres parce que chacune d'elle a son image. Ces pierres différent d'un bloc qu'on extrait d'une carrière par son image individuelle très affirmée. Toutes les pierres présentées dans l'exposition, je les ai trouvées dans un même champ où elles étaient en tas. Je ne peux pas trouver d'explication théorique à l'envie d'arracher ces pierres à la terre.Cette action est plutôt intuitive, conduite par le subconscient. Mais la raison évidente, elle découle d'une conception commune à tous. Dans mes expositions précédentes j'ai créé le sujet ou l'image en respectant la mentalité de la pierre.Cette fois j'ai essayé de fixer les mouvements abstraits qui se fondent sur les anciens instincts en gardant son intégrité au caractère de la pierre. Ils portent l'information sur le sens premier. Le sens premier, je pense c'est le mouvement du subconscient. Il me semble que quelque chose se déplace en moi-même une image incertaine. Cette idée n'est pas encore exactement orientée dans l'espace. Cette idée n'a pas de sommet, de bas, de façade - tout cela la relie à mes pierres. Je ne pouvais pas placer les pierres d'une façon traditionnelle, c'est-à-dire sur le sol. Cette sensation abstraite, pas encore concrétisée dans l'espace, oblige à arracher ces pierres à la terre, à les montrer dans des situations extraordinaires à l'unisson de la sensation. Dans cette situation les spectateurs peuvent sentir les pierres dans l'espace et dans le mouvement en tournant autour d'elles en regardant le dessous que nous ne percevons pas habituellement. J'essaie de provoquer des sensations que Boris Vipers nomme "motoriques". La hauteur où sont installées les pierres est très importante. Elles sont mises de façon à éviter qu'on se courbe. Le mouvement s'adresse à un objet - c'est un projet d'auteur. Habituellement quand nous regardons des pierres nous nous penchons. Notre mouvement est dirigé vers le bas. Quand j'arrache la pierre à la terre je créé une situation mystique. On peut comparer ce processus avec l'attitude envers les choses qu'on trouve dans les contes et les mythes. Il y a ce rêve éternel qui court dans le monde : la capacité des objets à s'arracher à la terre et à voler. Le facteur principal est la dominante verticale propre à la relation de la terre avec le Cosmos et du corps avec l'esprit. C'est pourquoi les tubes noirs sur lesquels sont posées les pierres ont une signification importante et symbolique dans cette composition.Ils relèvent la ligne, la direction, l'orientation des corrélations dans l'espace, soulignant la verticalité universelle ... "
in Literature un Mania du 22 mai 92

Ojars Feldbergs
Né le 10 octobre 1947 à Riga. Vit et travaille à Riga.
1966 : Termine son cycle à l'école technique de construction.
1976 : Termine ses études à l'Académie des Beaux- Arts dans le domaine de la Sculpture.
1973 : Commence à participer à des expositions en Lettonie et à l'étranger (57 au total).
1977: Lauréat de l'exposition des jeunes artistes lettons.
1979 : Prix de l'exposition balte des jeunes artistes à Vilnius (Lituanie).
1980 :Lauréat de la Quadriennale de la sculpture dans les Pays Baltes.
198I : Premier Prix de l'exposition des jeunes artistes des Républiques baltes (Vilnius, Lituanie).
1982 : Premier Prix annuel du meilleur artiste de Lettonie.
1991 : Premier Prix Henry Moore au Japon.

Expositions personnelles
1982 : Maison de Sculpture (Riga)
1987 : Maison de Sculpture (Riga)
1989 : Musée d'art étranger (Riga)
1992 : Maison de Sculpture (Riga)

Expositions récentes à l'étranger
1987: Sculpture lettone d'aujourd'hui (Vilnius, Lettonie)
1988 : Sculpture lettone d'aujourd'hui (Tartu, Estonie)
1989 :Sculpture lettone d'aujourd'hui (Tbilissi, Géorgie)
1990:Art letton d'avant-garde (Düsseldorf , Allemagne)
1991 :Avant-garde lettone (Stockholm, Suède)

Trois chansons
Je sais, moi, mais je ne vous
le dirai pas
Où le soleil dort la nuit
Juste au milieu de la mer
Sur un rocher doré.

J'allume un feu dans une source
Et la fumée passe à travers
la pierre
J'enfile un fil dans la lune
comme dans une aiguille
C'est là où fleurissent les boutons d'or.

En partant à la guerre
J'enferme mon coeur dans
une pierre
Au lever du jour à l'aube
La pierre éclate en morceaux.

Présentation des artistes

Origine géographique

Lettonie

Mots-clés

Date (année)

1992

Cote MCM

MCM_1992_LV_E2