Ressource précédente
Ressource suivante

Lettonie. Aija Zarina-Lettonie. Exposition

Collection

Type de document

Évènement

Titre

Lettonie. Aija Zarina-Lettonie. Exposition

Date

1992-09-30

Date de fin

1992-10-31

Artistes principaux

Lieu de l'évènement

Type d'évènement

Exposition

Description de la pratique

30 septembre-31 octobre 1992
Les opéras fabuleux d'Aija Zarina par Michel Nuridsany

Il faisait assez frais et le vent soufflait continûment sans bruit, dans les longues avenues presque vides de Riga. Je venais de regarder dans le fouillis des arrière-salles d'une partie de l'Arsenal provisoirement transformé en espace d'exposition, traquant à travers des croûtes d'un autre âge des succédanés de réalisme peut- être socialistes, des portraits maladroits mais à coups sûr ressemblants, quelques artistes échappant à la grisaille normative, s'aventurant hors des sentiers trop bien tracés, confortables, créant une forme à lui, imposant son monde, j'avais repéré quatre ou cinq tableaux dont les qualités m'avaient donné envie d'en savoir un peu plus sur leur auteur, lorsque, m'ayant observé, Laima Slava, qui m'accompagnait, me fit signe de la suivre. Nous sortons. Nous faisons le tour du bâtiment Montons trois marches, passons par un étroit couloir, débouchons de l'autre côté dans une rue : c'est l'envers de l'Arsenal, plus décrépit, à l'abandon encore. Il y a là une porte neuve, une serrure compliquée et, après des escaliers qu'on monte, une autre serrure encore, plus rétive. Après quelques minutes d'effort, la porte s'ouvre sur une immense salle à peu près vide, parcourue de tuyaux qui courent sur les murs. A droite des panneaux retournés de très grand format, sont appuyés à la cloison. Laima Slava se tourne vers moi et sourit : "Aija Zarina" dit-elle.
Les panneaux mis à l'endroit révèlent de larges à- plats, violemment colorés où l'on reconnaît vaguement des figures. Ce sont des fragments qu'il faut rabouter à d'autres panneaux, à d'autres fragments, pour qu'on distingue enfin de quoi il retourne. Mais, même ainsi, la représentation n'est pas très évidente. Car ce qu'on voit la oscille entre une figuration primitive et une abstraction minimale. Des lignes s'élancent, se croisent, tournent, se rejoignent, font surface. Ces surfaces sont colorées. Peut-on dire autre chose? Le sens du monumental impressionne, l'audace des couleurs aussi. A coup sûr celle qui a fait cela est une artiste.
Après cela on verra une exposition d'Aija Zarina dans la galerie voûtée G. et G. située au rez- de- chaussée d'une maison magnifique en pleine vieille ville. Laima Slava insistera sur la mise en espace, des peintures. Ce n'est pas leur qualité dominante. On trouvera encore ses 'uvres dans une autre galerie, nommé Bastejs, près du parc central et l'on saura leur prix: 338 000 roubles. Ce qui fait d'elle une des artistes de sa génération les plus chères de Riga. A titre indicatif, un professeur d'université touche 5 000 roubles par mois.
On se renseigne : au début des années 80 elle faisait partie d'un groupe de jeunes peintres actifs : Ieva Iltnere, Jänis Mitrevics, Sandra Krastina, Edgars Vërpe, Girts Muiznieks.
Impossible de visiter l'atelier d'Aija Zarina, elle n'en a pas. Elle viendra dans le grand salon sinistre de l'hôtel boire un verre et montrer des diapos. Parler aussi.
Aija Zarina est enceinte. Quand doit-elle accoucher? En août. On fait des approches vagues. On parle au conditionnel. Pourrait-elle éventuellement venir quand même ? Bien sûr elle a une exposition en Allemagne au mois de septembre. Mais le vernissage de notre galerie du Rond- Point a lieu à la fin de septembre... Un instant désarçonné mais calculant vite et ayant demandé quelques précisions techniques, elle tranche "Pas de problème" et un petit rire rentré, bizarre, l'agite brièvement.
Ce rire imperceptible, qui ressemble à un gloussement vite arrêté est un peu à l'image de son art : une abstraction mâtinée de figuration ou une figuration quelque peu abstraite qui a l'air de se donner d'emblée facile, mais qui se reprend presque aussitôt qui séduit immédiatement mais demande du temps pour être perçue vraiment.
L'oeuvre d'Aija je la verrai par bribe : grands panneaux fragmenté ici, gravures là, diapos à l'hôtel, tirages couleur sur papier chez d'autres artistes qui ont exposé avec elle en Suède ou ailleurs, où l'on voit une installation somptueuse, décisive.
Et puis la parole supplée aux manques, sert de tremplin à l'imaginaire. Elle raconte. Dit qu'elle a exposé à New York (en 1989) à Stockholm (en 1991), qu'elle a commencé a réaliser des environnements en 1988. Que sa plus grosse difficulté était, est toujours, de trouver des lieux pour intervenir. Ne dit pas qu'elle habitait un village qu'elle n'a pas vraiment suivi un cursus scolaire normal, que Berzins, le grand Berzins seul, qui a été son professeur lorsqu'elle est venue à Riga, a reconnu sa singularité, sa valeur, l'a encouragée.
Aija Zarina est donc une artiste fantasque qui intervient in situ, naguère dans la rue, aujourd'hui dans des lieux généralement vastes où sa puissance, la vigueur de son imaginaire et de son intervention peuvent s'exprimer à merveille dans les bleus violents, associé à des verts qui les font grincer et les révèlent comme la goutte de citron réveille le goût du poisson. Les murs, le plafond, le sol sont recouverts. La couleur alors sature l'espace, le allover sert de clôture vertigineuse. On a parlé de Nicola de Maria à son sujet. Pourquoi pas? Du moins formellement. Mais le monde de cette artiste plus sauvage qu'on ne croit, qui déclare assez facilement qu'elle a besoin de stabilité, que Berzins dit entêtée, n'est pas le même. Pas du tout.
Car les peintures, dont Aija Zarina recouvre les murs des salles qu'elle transforme en grottes, sont comme des décors d'opéra fabuleux qui ouvrent sur d'étranges féeries. On marche sur la peinture, on marche dans la peinture, on entre dans le tableau, un tableau qu'on ne verra jamais tout entier.
Aija Zarina travaille au sol, peint rarement directement sur le mur, peint sur des cartons qu'elle colle ensuite à la verticale. Elle a commencé en noir et blanc, à l'huile: n'aime pas l'acrylique. Se définit comme figurative, même si, oui, cela tend vers l'abstrait. Et en effet si l'on regarde un peu plus attentivement, il y a là des animaux, des être humains, des objets quotidiens, de la vaisselle même...
Sa peinture, extraordinairement stylisée est traversé par les influences conjuguées et antagonistes de l'art africain et aborigène celle des icônes russes, de Picasso, mais surtout celle des arts appliqués lettons et par les anciennes peintures de son pays, les légende d'autrefois.
On entre dans son espace comme dans une grotte enchantée, celle d'un conte. Ses environnements sont magiques. Et elle est un peu fée.


Conducteur d'énergie par Aija Zarina
Toute oeuvre d'art est un miroir qui reflète à chaque instant les intentions, la morale, l'art de son auteur. Notre vie est dramatique et difficile et ce qui est assez drôle, c'est que nous devons l'affronter par le bien. Si l'on me demande quelle est mon attitude par rapport à cette vie, je dirais que, malheureusement, souvent j'ai l'impression que je ne vis pas, que je reflète la vie, que je suis un instrument dans les mains de quelqu'un. Mais c'est là mon seul bien. Cette simple existence est une jouissance.
J'aime la vie et je l'aimerai jusqu'à mon dernier souffle. C'est mon art qui m'a aidé à trouver ma place dans le monde. J'ai trouvé le moyen d'utiliser son énergie pour aider à la lutte pour la création continue de ce monde. C'est pourquoi je lutte contre moi-même qui est, en fait, mon unique ennemi.
Comment mes images apparaissent? Je ne sais pas. Comme si quelqu'un m'en avait fait cadeau. Elles m'étonnent comme si elles n'étaient pas de moi.
Bien sûr, je sais parfaitement bien ce que je veux, mais, quand je crée quelqu'un me guide. Je dois le suivre. Et à la fin je vois quelque chose dont je n'étais pas consciente.
Pour moi l'art letton c'est l'envergure de l'ancienne architecture rurale, laconisme, simplicité rationalisme, formes lapidaires. Le constructivisme d'un grand morceau de bois, la cordialité de Valters, Matveys, Souta, la chanson traditionnelle, tout cela c'est la même chose.
Chacun de ces éléments possède une qualité qui les réunit. Tout ce qui réunit ces choses apparemment différentes, je l'appelle l'art letton.
Mais il y a quelque chose qui différencie l'art moderne de la chanson traditionnelle, c'est sa tension intérieure, les contradictions, la lutte intérieure de l'image et l'ironie que l'on tourne vers soi- même; L'impitoyable exploration de soi- même pour savoir si l'on est véridique, pour comprendre ce qu'on cache. En fait tout ce que représente l'art letton moderne, ce n'est que le dialogue de l'artiste avec lui-même.
Est-il important de présenter mes 'uvres à l'étranger? Les choses les plus importantes se passent ici, en Lettonie. C'est ici que je trouve la base la plus solide pour accomplir tout ce que je désire. Et sur cette petite boule qu'on appelle la Terre nous faisons le même travail, quel que soit l'endroit où nous nous trouvons.
Après dix ans de travail créatif, je dois commencer à penser au prix, à ce que je dois être payée pour ma fonction de conducteur d'énergie.
Le prix de l'oeuvre d'art, c'est la quantité d'énergie brûlée. L'hypertrophie de certains de nos centres cérébraux et l'atrophie des autres, ce développement disharmonieux de la personnalité en avons-nous vraiment besoin ?
Voilà, nous sommes arrivés à la conclusion : une personne disharmonieuse aspire toujours à l'harmonie.


Monologue pour Aija Zarina par Ivars Runkovskis
J'ai toujours ressenti l'harmonie de ta peinture, malgré le dramatisme, le désespoir et le grotesque apparents des manifestations extérieures des images.
Tu le sais toi-même qu'au fond, le principe d'unité, l'intégrité sont à la base de tout et cela vaut pour la peinture. Le tableau quel que soit son genre reste toujours une composition étant donné qu'il est une intégralité organisée il prévoit déjà une harmonie créée par la dimension choisie. Cette dimension, cette évaluation apparaît en tant qu'unité mais une unité étrange entre le Moi, le moi de l'époque, le moi de la tradition. Cette dimension assure une synthèse positive de la thèse et de l'antithèse Dans l'art, s'il s'agit de l'art véritable, un de ces couples c'est celui de la beauté et de la négation de la beauté à la fois.
Si tu veux la beauté en tant qu'entropie, rigidité, mort, sa négation : énergie vie, avenir. Tu es toujours toi. Ta dimension est ta dimension. Tu as trouvé ta propre solution du conflit car tu as trouvé une forme convaincante à cette solution.
Tu crées ta propre harmonie et elle fixe la position qu'elle a dans le monde qui t'es donné. Toi aussi tu cherches une justification ou bien une analyse de ton existence spirituelle, quelque douloureuse et invisiblement heureuse qu'elle soit. Tes images ont une forme brusque, intuitive, les couleurs sont expressives dans leur opposition. Et tout cela dans un équilibre parfait que toi seule tu peux assurer et qui, à son tour, sert de base à l'harmonie intérieure des images qui reflète le caractère spécifique de ta conception du monde.
Quoi qu'il en soit, il faut le dire, le moyen de l'harmonie et de ta dimension est le conflit qui trouve sa résolution sur une surface à deux dimensions mais ces derniers temps tu cherches à dépasser ses limites à l'aide du système logique des grilles et des carcasses (Exposition de tes oeuvres à Riga, 1992).
Intérieurement c'est le conflit entre toi et ce qui n'est pas toi. Ni moi ni personne d'autre n'a réussi à comprendre les rapports entre toi et ce qui n'est pas toi.
Ce que moi je peux dire ce n'est que contempler tes oeuvres qui, tels des émociogrammes, nous montrent tes collisions, tes visions, tes prévisions.
Il n'y a qu'une seule chose que je sais c'est un monde de gouffres immenses et de cimes majestueuses , à la fois froid et brûlant.
Moi je ne pourrais pas rester moi-même dans un tel monde. C'est pourquoi je contemple et j'écoute tes oeuvres plein d'estime. Je me rends compte que cela me concerne ainsi que mon entourage et le monde actuel.
Tes images, qui ont une base existentialiste assez tendue, engendrent ultérieurement quelque chose de poétique, d'exaltant, d'éphémère même dans la chambre noire de ta princesse Gundega où le schéma fantastique des images subconscientes était une prédiction des événements tragiques de janvier 1992 à Riga.
Je cherche toujours dans tes Guerres des étoiles, cette nuance formelle qui pourrait découvrir une tendresse sans, pourtant, être sûr du succès de mon effort. Peut- être est-elle cachée dans cette droiture de la ligne, dans sa vibration.
C'est dans la forme que tes images ont trouvé ce rapport entre le déterminé (que l'on peut connaître concrètement) et l'infini qui leur permet de brûler de passion sans craindre d'y disparaître. Tout au contraire, plus ces images anéantissent, plus elles deviennent convaincantes. Leur moindre mouvement trouve son écho dans l'éventualité du vide qui les entoure, se transforme en une valeur décorative qui organise l'espace au niveau rituel. J'entends par là les rapports particuliers des figures, des couleurs et du fond. Tes couleurs sont des univers fermés parmi lesquels sont des gouffres mystérieux mais très matériaux Le mystère est l'un de tes protagonistes. L'espace de tes tableaux est à la fois beau et laid, mais, de toute façon, une tentation, une poésie y sont présentes. La forme est laconique, le sens cosmogonique : Tu aimes créer les scènes cosmogoniques quand tu peins sur le sol (Riga, été 1989, New York fin 1989) ou bien quand tu travailles pour créer un espace uni pour ta peinture et pour l'organisation de cet espace (La chambre noire de la Princesse Gundega, Riga 1991 , La chambre bleue, Stockholm, Automne 1991).
Mais je me demande aussi quelle est ta voie en regardant ce monde immense de tes images auxquelles tout détail sans importance est étranger.
Tout d'abord tu es une femme et parfois je suis étonnée par le fait que tu peux supporter si bien ce monde dynamique avec lequel tu es toujours en contact. Et aussi ce qu'on appelle la vie de tous les jours. Tes relations avec cette quotidienneté ne sont pas faciles. Plutôt compliquées et conflictuelles comme c'est vrai pour tout artiste véritable.
Cette vie, pour toi, est une lutte. Tu la traverses, toujours concentrée sur quelque chose, comme si tu devais franchir quelque obstacle. En même temps tu portes comme la prédestination d'un devoir que toi seule peux remplir.
Tu gardes ton indépendance à tous les niveaux de la vie. Ta féminité, je peux la ressentir quand je regarde tes tableaux. Elle est exprimée par une vive sensualité, exaltation, par l'érotisme sous- jacent de tes images aussi. Par le fait que tu n'abandonnes jamais le sujet de l'amour, de la haine.
Le monde est étrange Je me suis toujours trouvé très lié à tes images mais je ne les connais pas. Je devine seulement leurs contours émotionnels, je peux formuler quelque logique. Mais arrive le moment où je me rends compte que tout ce qui était dit auparavant n'est pas ce qui devait être dit. Chaque fois tes images provoquent d'autres série d'associations. Parfois j'ai l'impression que ce sont des extra-terrestres qui observent avec indifférence notre vie, que le contact avec notre regard peut provoquer notre vie, que le contact avec notre regard peut provoquer leur explosion d'ou émaneraient une énergie et un mystère volcaniques
Soit. Pour terminer, je citerai les fragments des critiques concernant tes 'uvres datant de mai- juin 1992 à propos de ton exposition :
"Quand on cherche une carcasse, une structure, on cherche aussi un sens logique. Un sens à la forme, un sens à la vie. C'est juste cette aspiration spirituelle qui est à la base de tout mouvement sculptural. Accentuer ce sens c'est ce qu'il y a de nouveau dans les oeuvres d'Aija Zarina.
Cette profondeur du monde des carcasses et des grilles c'est de la chair et du sang. Ces oeuvres ont quelque chose de commun avec le mystère de la crucifixion de Jésus- Christ. Il n'y a que la promesse du vide, que la promesse du désespoir, que la promesse de la vérité et des couleurs. La nature du noir, du jaune et du blanc est telle qu'elle n'accepte pas la circulation du sang... Il y a autre chose qui circule là- dedans. Quelque chose de mystérieusement conceptuel."
Voilà avec ceci, je m'adresse à toi Aija.


Aija Zarina
Née en 1954 en Lettonie.
Elle étudie à l'Académie des Arts Appliqués de 1976 à 1982.
Elle participe à des expositions depuis 1981.
Depuis 1986, elle travaille de manière monumentale.

Principales expositions personnelles
- Riga : Paysages, 1983.
- Riga : Peintures murales, 1986.
- Riga : Exposition dans le hall de l'Arsenal, 1989.
- New York : Nahamkin Art Gallery, 1989.
- Riga : Exposition dans le hall de Janaseta (La Chambre noire de la Princesse Gundega), 1991.
- Paris : Galeire du Rond- Point, 1992.

Principales expositions de groupe
- Vilnius : Triennale des jeunes peintres Baltes, 1982- 1984- 1986- 1988.
- Riga Jeunes artistes dans le hall de l'exposition de Janseta (maison des artistes), 1983- 1988.
- Jurmala : Peintures, 1987.
- Moscou : Peinture lettone à la Maison Centrale des Artistes, 1988.
- Kaunas: Peintures, 1989.
- Riga : Nature, environnement, humanité, Eglise St Pierre, 1984.
- Berlin Ouest : Avant- garde lettone, 1990.
- Kiel, Brême : Jeune avant- garde lettone, 1990.
- Riga : Somersault show, hall d'exposition letton, 1991.
- Malmö: Peintres lettons, 1990.
- Riga : Action show, hall d'exposition letton, 1991.
- Stockholm : Maison de la Culture, Quatre artistes lettons, 1991.
- Budapest: jeunes artistes lettons, 1991.

Maison des Cultures du Monde. Photos D R.
Réalisation groupe média international.
Achevé d'imprimer en France en septembre 1992

30 septembre-31 octobre 1992
Les opéras fabuleux d'Aija Zarina par Michel Nuridsany

Il faisait assez frais et le vent soufflait continûment sans bruit, dans les longues avenues presque vides de Riga. Je venais de regarder dans le fouillis des arrière-salles d'une partie de l'Arsenal provisoirement transformé en espace d'exposition, traquant à travers des croûtes d'un autre âge des succédanés de réalisme peut- être socialistes, des portraits maladroits mais à coups sûr ressemblants, quelques artistes échappant à la grisaille normative, s'aventurant hors des sentiers trop bien tracés, confortables, créant une forme à lui, imposant son monde, j'avais repéré quatre ou cinq tableaux dont les qualités m'avaient donné envie d'en savoir un peu plus sur leur auteur, lorsque, m'ayant observé, Laima Slava, qui m'accompagnait, me fit signe de la suivre. Nous sortons. Nous faisons le tour du bâtiment Montons trois marches, passons par un étroit couloir, débouchons de l'autre côté dans une rue : c'est l'envers de l'Arsenal, plus décrépit, à l'abandon encore. Il y a là une porte neuve, une serrure compliquée et, après des escaliers qu'on monte, une autre serrure encore, plus rétive. Après quelques minutes d'effort, la porte s'ouvre sur une immense salle à peu près vide, parcourue de tuyaux qui courent sur les murs. A droite des panneaux retournés de très grand format, sont appuyés à la cloison. Laima Slava se tourne vers moi et sourit : "Aija Zarina" dit-elle.
Les panneaux mis à l'endroit révèlent de larges à- plats, violemment colorés où l'on reconnaît vaguement des figures. Ce sont des fragments qu'il faut rabouter à d'autres panneaux, à d'autres fragments, pour qu'on distingue enfin de quoi il retourne. Mais, même ainsi, la représentation n'est pas très évidente. Car ce qu'on voit la oscille entre une figuration primitive et une abstraction minimale. Des lignes s'élancent, se croisent, tournent, se rejoignent, font surface. Ces surfaces sont colorées. Peut-on dire autre chose? Le sens du monumental impressionne, l'audace des couleurs aussi. A coup sûr celle qui a fait cela est une artiste.
Après cela on verra une exposition d'Aija Zarina dans la galerie voûtée G. et G. située au rez- de- chaussée d'une maison magnifique en pleine vieille ville. Laima Slava insistera sur la mise en espace, des peintures. Ce n'est pas leur qualité dominante. On trouvera encore ses 'uvres dans une autre galerie, nommé Bastejs, près du parc central et l'on saura leur prix: 338 000 roubles. Ce qui fait d'elle une des artistes de sa génération les plus chères de Riga. A titre indicatif, un professeur d'université touche 5 000 roubles par mois.
On se renseigne : au début des années 80 elle faisait partie d'un groupe de jeunes peintres actifs : Ieva Iltnere, Jänis Mitrevics, Sandra Krastina, Edgars Vërpe, Girts Muiznieks.
Impossible de visiter l'atelier d'Aija Zarina, elle n'en a pas. Elle viendra dans le grand salon sinistre de l'hôtel boire un verre et montrer des diapos. Parler aussi.
Aija Zarina est enceinte. Quand doit-elle accoucher? En août. On fait des approches vagues. On parle au conditionnel. Pourrait-elle éventuellement venir quand même ? Bien sûr elle a une exposition en Allemagne au mois de septembre. Mais le vernissage de notre galerie du Rond- Point a lieu à la fin de septembre... Un instant désarçonné mais calculant vite et ayant demandé quelques précisions techniques, elle tranche "Pas de problème" et un petit rire rentré, bizarre, l'agite brièvement.
Ce rire imperceptible, qui ressemble à un gloussement vite arrêté est un peu à l'image de son art : une abstraction mâtinée de figuration ou une figuration quelque peu abstraite qui a l'air de se donner d'emblée facile, mais qui se reprend presque aussitôt qui séduit immédiatement mais demande du temps pour être perçue vraiment.
L'oeuvre d'Aija je la verrai par bribe : grands panneaux fragmenté ici, gravures là, diapos à l'hôtel, tirages couleur sur papier chez d'autres artistes qui ont exposé avec elle en Suède ou ailleurs, où l'on voit une installation somptueuse, décisive.
Et puis la parole supplée aux manques, sert de tremplin à l'imaginaire. Elle raconte. Dit qu'elle a exposé à New York (en 1989) à Stockholm (en 1991), qu'elle a commencé a réaliser des environnements en 1988. Que sa plus grosse difficulté était, est toujours, de trouver des lieux pour intervenir. Ne dit pas qu'elle habitait un village qu'elle n'a pas vraiment suivi un cursus scolaire normal, que Berzins, le grand Berzins seul, qui a été son professeur lorsqu'elle est venue à Riga, a reconnu sa singularité, sa valeur, l'a encouragée.
Aija Zarina est donc une artiste fantasque qui intervient in situ, naguère dans la rue, aujourd'hui dans des lieux généralement vastes où sa puissance, la vigueur de son imaginaire et de son intervention peuvent s'exprimer à merveille dans les bleus violents, associé à des verts qui les font grincer et les révèlent comme la goutte de citron réveille le goût du poisson. Les murs, le plafond, le sol sont recouverts. La couleur alors sature l'espace, le allover sert de clôture vertigineuse. On a parlé de Nicola de Maria à son sujet. Pourquoi pas? Du moins formellement. Mais le monde de cette artiste plus sauvage qu'on ne croit, qui déclare assez facilement qu'elle a besoin de stabilité, que Berzins dit entêtée, n'est pas le même. Pas du tout.
Car les peintures, dont Aija Zarina recouvre les murs des salles qu'elle transforme en grottes, sont comme des décors d'opéra fabuleux qui ouvrent sur d'étranges féeries. On marche sur la peinture, on marche dans la peinture, on entre dans le tableau, un tableau qu'on ne verra jamais tout entier.
Aija Zarina travaille au sol, peint rarement directement sur le mur, peint sur des cartons qu'elle colle ensuite à la verticale. Elle a commencé en noir et blanc, à l'huile: n'aime pas l'acrylique. Se définit comme figurative, même si, oui, cela tend vers l'abstrait. Et en effet si l'on regarde un peu plus attentivement, il y a là des animaux, des être humains, des objets quotidiens, de la vaisselle même...
Sa peinture, extraordinairement stylisée est traversé par les influences conjuguées et antagonistes de l'art africain et aborigène celle des icônes russes, de Picasso, mais surtout celle des arts appliqués lettons et par les anciennes peintures de son pays, les légende d'autrefois.
On entre dans son espace comme dans une grotte enchantée, celle d'un conte. Ses environnements sont magiques. Et elle est un peu fée.


Conducteur d'énergie par Aija Zarina
Toute oeuvre d'art est un miroir qui reflète à chaque instant les intentions, la morale, l'art de son auteur. Notre vie est dramatique et difficile et ce qui est assez drôle, c'est que nous devons l'affronter par le bien. Si l'on me demande quelle est mon attitude par rapport à cette vie, je dirais que, malheureusement, souvent j'ai l'impression que je ne vis pas, que je reflète la vie, que je suis un instrument dans les mains de quelqu'un. Mais c'est là mon seul bien. Cette simple existence est une jouissance.
J'aime la vie et je l'aimerai jusqu'à mon dernier souffle. C'est mon art qui m'a aidé à trouver ma place dans le monde. J'ai trouvé le moyen d'utiliser son énergie pour aider à la lutte pour la création continue de ce monde. C'est pourquoi je lutte contre moi-même qui est, en fait, mon unique ennemi.
Comment mes images apparaissent? Je ne sais pas. Comme si quelqu'un m'en avait fait cadeau. Elles m'étonnent comme si elles n'étaient pas de moi.
Bien sûr, je sais parfaitement bien ce que je veux, mais, quand je crée quelqu'un me guide. Je dois le suivre. Et à la fin je vois quelque chose dont je n'étais pas consciente.
Pour moi l'art letton c'est l'envergure de l'ancienne architecture rurale, laconisme, simplicité rationalisme, formes lapidaires. Le constructivisme d'un grand morceau de bois, la cordialité de Valters, Matveys, Souta, la chanson traditionnelle, tout cela c'est la même chose.
Chacun de ces éléments possède une qualité qui les réunit. Tout ce qui réunit ces choses apparemment différentes, je l'appelle l'art letton.
Mais il y a quelque chose qui différencie l'art moderne de la chanson traditionnelle, c'est sa tension intérieure, les contradictions, la lutte intérieure de l'image et l'ironie que l'on tourne vers soi- même; L'impitoyable exploration de soi- même pour savoir si l'on est véridique, pour comprendre ce qu'on cache. En fait tout ce que représente l'art letton moderne, ce n'est que le dialogue de l'artiste avec lui-même.
Est-il important de présenter mes 'uvres à l'étranger? Les choses les plus importantes se passent ici, en Lettonie. C'est ici que je trouve la base la plus solide pour accomplir tout ce que je désire. Et sur cette petite boule qu'on appelle la Terre nous faisons le même travail, quel que soit l'endroit où nous nous trouvons.
Après dix ans de travail créatif, je dois commencer à penser au prix, à ce que je dois être payée pour ma fonction de conducteur d'énergie.
Le prix de l'oeuvre d'art, c'est la quantité d'énergie brûlée. L'hypertrophie de certains de nos centres cérébraux et l'atrophie des autres, ce développement disharmonieux de la personnalité en avons-nous vraiment besoin ?
Voilà, nous sommes arrivés à la conclusion : une personne disharmonieuse aspire toujours à l'harmonie.


Monologue pour Aija Zarina par Ivars Runkovskis
J'ai toujours ressenti l'harmonie de ta peinture, malgré le dramatisme, le désespoir et le grotesque apparents des manifestations extérieures des images.
Tu le sais toi-même qu'au fond, le principe d'unité, l'intégrité sont à la base de tout et cela vaut pour la peinture. Le tableau quel que soit son genre reste toujours une composition étant donné qu'il est une intégralité organisée il prévoit déjà une harmonie créée par la dimension choisie. Cette dimension, cette évaluation apparaît en tant qu'unité mais une unité étrange entre le Moi, le moi de l'époque, le moi de la tradition. Cette dimension assure une synthèse positive de la thèse et de l'antithèse Dans l'art, s'il s'agit de l'art véritable, un de ces couples c'est celui de la beauté et de la négation de la beauté à la fois.
Si tu veux la beauté en tant qu'entropie, rigidité, mort, sa négation : énergie vie, avenir. Tu es toujours toi. Ta dimension est ta dimension. Tu as trouvé ta propre solution du conflit car tu as trouvé une forme convaincante à cette solution.
Tu crées ta propre harmonie et elle fixe la position qu'elle a dans le monde qui t'es donné. Toi aussi tu cherches une justification ou bien une analyse de ton existence spirituelle, quelque douloureuse et invisiblement heureuse qu'elle soit. Tes images ont une forme brusque, intuitive, les couleurs sont expressives dans leur opposition. Et tout cela dans un équilibre parfait que toi seule tu peux assurer et qui, à son tour, sert de base à l'harmonie intérieure des images qui reflète le caractère spécifique de ta conception du monde.
Quoi qu'il en soit, il faut le dire, le moyen de l'harmonie et de ta dimension e

Présentation des artistes

Origine géographique

Lettonie

Mots-clés

Date (année)

1992

Cote MCM

MCM_1992_LV_E3