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Cambodge. Le Sbek tom. Conférence

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Titre

Cambodge. Le Sbek tom. Conférence

Date

2000-02-16

Lieu de l'évènement

Type d'évènement

Conférence

Description de la pratique

Communication de Françoise Gründ donnée à la Maison de L'Indochine, 16 février 2000.
Sbek tom qui signifie : "grands cuirs" est le nom d'une forme spectaculaire khmère qui fait intervenir en tout premier lieu un théâtre d'ombres, un ensemble musical, une narrativité traditionnelle et sacrée et une chorégraphie codifiée. Le sbek tom pourrait donc faire partie des processus ethnologiques.
Il semblerait que les ombres de cuir du sbek tom auraient servi de modèle aux sculptures des temples d'Angkor Vat, ce qui mènerait leur existence avant le XIIe siècle. Il est toutefois difficile de dater précisément la naissance du sbek tom.
Le théâtre d'ombres serait venu de l'Inde tout comme la partie fondamentale du répertoire. Le sbek tom aurait pris sa forme dans la province de Simrib et aurait constitué, en fait, un rituel dramatisé destiné à faire tomber la pluie. Plus tard, les religions dogmatiques (hindouisme, bouddhisme) s'emparent de l'expression comme support d'éducation et d'édification du peuple.
L'hindouisme arrive au Cambodge au cours du Ier siècle. Le bouddhisme qui pénètre plus tardivement s'épanouit largement au IXe siècle. Les deux courants religieux se juxtaposent, donnant parfois de curieuses interprétations spirituelles. C'est ainsi qu'une des épopées de l'hindouisme, le Ramayana devenu le Reamker en version khmère fait intervenir les mêmes personnages ainsi que des mythes parallèles qui ne paraissent pas toujours équivalents. A cause de la transmission orale, les noms des protagonistes changent souvent.
Malgré son contenu hindouiste, le sbek tom est représenté à l'occasion de cérémonies bouddhistes mais agit aussi et encore comme exhortation magique pour éloigner une épidémie ou pour faire tomber la pluie.

Jusqu'à l'arrivée de la guerre et du génocide par les Khmers rouges, le sbek tom se maintient comme une forme populaire très vivante à côté d'autres formes de théâtres d'ombres, telles que le sbek touch ou ayang ou "petits cuirs" qui reste une expression plus raffinée et réservée aux temples ou aux demeures riches. Aujourd'hui, si le sbek tom vit encore grâce à un détour de l'histoire, le ayang a lui, totalement disparu.

Les ombres
Les ombres ou figurines, taillées dans du cuir de buffle présentent une certaine rigidité renforcée par une ou deux tiges de bambou qui les traversent. Elles peuvent mesurer jusqu'à 1,70 m de hauteur et 1,20 m de largeur. Finement découpées et évidées, elles se présentent comme des ornements bidimensionnels où les motifs imbriqués les uns dans les autres deviennent prétextes à des décorations : volutes, entrelacs, allongements des éléments végétaux, arrondis des membres, traitements des dents et des yeux comme des ornements répétitifs non signifiants etc. Les motifs décoratifs représentent des fleurs, des feuilles, des bourgeons, des vignes grimpantes, des massifs et des phgni (flammes) et des trabak chhouk (pétales de fleurs de lotus). Les personnages mythiques sont insérés dans leur décor plat de feuillages, d'animaux et des lignes sinueuses des architectures cambodgiennes qui les englobent et les immobilisent car, contrairement à certaines ombres de l'Inde, de Malaisie et d'Indonésie, les figurines du sbek tom ne présentent aucune articulation. Elles dessinent dans l'espace des graphismes de cuir enduits d'un vernis végétal brillant qui les rend lisse et les protège. La peau de buffle peut être colorée sous le vernis ou bien être laissée brute. De toute façon, élevée devant la lumière des torches ou des flammes d'un bûcher, la peau devient translucide et laisse apparaître un camaïeu délicat allant du beige au noir en passant par toutes les nuances de bruns, de rouge et d'ocre.
De nombreuses techniques font partie de la préparation et de la réalisation des figurines : le choix des peaux de buffle, le traçage du dessin, le découpage à l'aide de lames et de poinçons, la teinture, la coloration éventuelle, la danse, le mine, la musique, la narration et la manipulation. Jusqu'au début du siècle, une trentaine de troupe existaient dans le pays effectuant de petits déplacements. Chaque troupe disposait de cent cinquante quatre figurines.

La danse
Les manipulateurs-danseurs empoignent les extrémités des tiges de bambou qui dépassent de la base des figurines et brandissent celles-ci au-dessus de leur tête en leur imprimant des mouvements individuels ou des mouvements d'ensemble. Les manipulateurs-danseurs dont le nombre peut aller de 7 à 12, se déplacent en tournant autour d'un écran qui peut mesurer 12 mètres de long. Cet écran de coton blanc ne dépasse pas une largeur de 1,2 à 1,4 mètre. Il sert de centre à une sorte de défilé, qui en général se déplace dans le sens des aiguilles d'une montre mais à une allure irrégulière où alternent les courses-poursuites, les allures lantes et balancées et les arrêts dramatiques. Les spectateurs s'installent de chaque côté de l'écran. S'ils se trouvent du côté où le bûcher est allumé, ils découvrent le spectacle en démystifiant les ombres et assistent à un "portage d'icônes". S'ils sont assis ou debout du côté opposé, ils aperçoivent les transparences, bien plus intéressantes car les mouvements des manipulateurs-danseurs font que la distance entre la source de lumière et l'ombre projetée se modifie constamment. les flous et les effets d'effacement ou de précision des graphismes lorsque le cuir de la figurine est pressé contre le coton de l'écran contribuent à créer un mouvement et une vie propres à chaque figurine.
Les manipulateurs-danseurs opérent torse nu. Les cuisses sont envoloppées dans une étoffe drapée qui prend la forme d'une culotte ample le sampot, laissant beaucoup d'aisance à l'entrejambe. les genoux, les mollets et les pieds sont nus, si bien que dans la demi-obscurité de la nuit éclairée par des flammes vives, le corps humain semble prolonger le graphisme des figurines. Il donne une vie autonome à l'icône de cuir. C'est pourquoi, cette danse particulière reste indissociable de la présentation des figurines.
La gestuelle et le costume des danseurs ressemble à ceux de la danse classique khmère, le lakon khoul.
Les manipulateurs-danseurs connaissent chaque vers et chaque phrase mélodique du Reamker et leur danse pré-structurée obéit à la signification du texte. Autrefois ils bénéficiaient d'un statut spécial comparable à celui des musiciens et seuls les hommes pouvaient devenir des manipulateurs-danseurs ; ce qui supposait encore une excellente connaissance de la religion bouddhique et une bonne connaissance de l'hindouisme. En plus de la manipulation, de la danse et du chant, ils devaient maîtriser parfaitement la narration. Le Reamker est considéré comme un texte religieux. Ils étaient ainsi chargés d'une sorte de pouvoir qui assimilait leur rôle à celui de ritualistes. Il n'en est plus de même aujourd'hui car des femmes sont entrées dans cette nouvelle "profession" avec la qualité d'actrices. Les hommes et les femmes sont devenus des fonctionnaires du Théâtre National. Et le seul groupe qui présente du sbek tom est celui de Phnom Penh.

La musique
Le sbek tom est accompagné par un ensemble musical appelé pinpit. Ce même orchestre accompagne la danse classique. Il se trouve représenté sur les bas-reliefs des temples d'Angkor Vat. A l'exception d'un hautbois, il se caractérise par l'emploi presque exclusif d'instruments à percussion.
Samphor : tambour horizontal à deux peaux pour marquer les cadences. Cet instrument est souvent considéré comme le conducteur de l'ensemble.
Skor thom : souvent au nombre de 2 dans l'ensemble musical, ces gros tambours obliques et cintrés, à une peau, frappés par deux bâtons, émettent des sons graves et puissants.
Chhing : deux paires de petites cymbales très aiguës (employées pour certaines mélodies seulement)
Kong tom : jeu de 17 petits gongs bulbés, circulaires et horizontaux disposés en demi-cercle (le musicien se place à l'intérieur de l'instrument) et produisant des sons graves. Cet ensemble de gongs se rencontre aussi dans les gamelan indonésiens.
Kong touch : jeu de 16 petits gongs produisant des sons aigus et disposés en demi-cercle. Le jeu des deux kong se développe sur trois octaves.
Roneat ek : petit xylophone à caisse de résonance en forme de barquette montée sur pied (21 lames de bambou ou en teck). Instrument conducteur mélodique.
Roneat thong : xylophone grave (17 lames accordées à l'octave inférieur de celles du Roneat ek)
Sralay : hautbois à anche double et à six trous produisant une sonorité lumineuse.

Le sbek tom possède de nombreuses mélodies spécifiques et le pinpit joue à cette occasion très rarement des musiques empruntées aux autres répertoires.
Des ambiances très diverses sont ainsi créées grâce à la musique (tragique, dramatique, lyrique, satirique, comique, grotesque etc.). Le public se situe immédiatement dans une action qu'il identifie au préalable grâce à la couleur de la musique. Les mélodies qui constituent des sortes de modes portent le nom de bat. Il en existe une vingtaine. Chaque bat caractérise une action : l'allure d'une princesse, la marche d'un roi, le déplacement d'un homme du peuple. Les sentiments sont également identifiés par les bat : amour, tristesse, chagrin, colère, révolte, paix, gaîté, peur ...
Les bat fonctionnent avec les poèmes spécifiques, par exemple, les dialogues de la colère se nomment bat pummul (Alternance de vers de six pieds et de vers de quatre pieds). Les bhrumakiti ou poèmes pour la maladie et les larmes emploient des vers de cinq pieds et des vers de six pieds. Le bat phnom nhol est employé pour les sentiments de séparation, de douleur et de solitude.

Le répertoire
Le répertoire est consacré à des thèmes tirés d'une version du Reamker (Gloire de Rama). Il pouvait durer plusieurs jours et même plusieurs semaines. Le paysan qui venait du village pour assister à un spectacle de sbek tom savait que l'histoire qui lui était proposée mettait en jeu des forces surnaturelles et que le spectacle tout entier était intégré à un système qui gouverne l'univers. Certains épisodes du Reamker n'étaient jamais représentés de peur qu'ils ne provoquent une influence indésirable. D'autres en revanche étaient bénéfiques. de nombreux spectacles au Cambodge possédaient ces vertus et aussi ces fonctions.
Les récits joués sont la plupart du temps des fragments racontant les combats entre Rama et Ravana ou plutôt entre Preah Ream et Reap. Les batailles appelées "les guerres d'Intrachit" (Intrajit, le fils de Reap) restent particulièrement appréciées. Elles sont appelées sar neak bas et font référence à la flèche magique d'Intrachit qui se transforme en mille serpents.
"Avant le début du spectacle, les manipulateurs, les musiciens et les chanteurs célèbrent le rite du hom rong par lequel ils sacralisent l'aire de jeu du spectacle. La cérémonie du hom rong renforce l'efficacité du spectacle et fixe l'attention des spectateurs avant le début. Le manipulateur se concentre par la méditation sur le rôle du personnage représenté par l'ombre ou les ombres qu'il va manipuler. Le guru des sbek reçoit l'invocation à trois reprises. Après quoi, l'homme responsable des torches fait trois fois le tour de la table avant de les allumer. Le narrateur ou nak bhol commence alors le chant de Yakor et le répète trois fois jusqu'à ce que tous les manipulateurs-danseurs se soient placés derrière l'écran et répondent par le même mot. Pour prononcer ce mot, ils utilisent un ton de voix tout à fait particulier, dont on dit qu'il est la voix des morts dans la forêt.
Après la cérémonie d'ouverture mais avant le début de la narration, manipulateurs-danseurs exécutent une danse spéciale figurant la bataille de deux singes : Swar Sau, le singe blanc et Swar Kmau, le singe noir. Cette danse appelée Sva prachap est un combat entre le bien et le mal s'achevant par le triomphe du bien. A la fin, le singe blanc vainqueur traîne le singe noir aux pieds de Preah Moni Eisey, le juge suprême.
Lorsque ces cérémonies sont terminées, alors le spectacle peut commencer.
Le narrateur, généralement le guru ou le chef du groupe de sbek tom entame le dialogue. Celui-ci consiste soit en prose fixe, soit en poèmes. le commentaire de l'histoire contée utilise de nombreux poèmes. A la fin de chaque récit, la narrateur donne le nom du morceau de musique qui va être joué. Pendant la musique, les manipulateurs dansent. Quelquefois, au cours de l'histoire, lorsque se déroule une bataille entre les démons et les singes, les manipulateurs posent leurs ombres à terre et simulent le combat en direct.
Généralement, chaque troupe de sbek tom emploie deux narrateurs qui ont pour fonction de dire le récit l'un après l'autre, qu'il s'agisse de vers ou de prose. A la fin de chaque strophe, ou de chaque vers mesuré, deux tambours de taille différente, le samphor ou le skoor tom battent deux fois pour souligner l'emphase ou la cadence du drame. Lorsque les narrateurs parlent en prose, ils ne sont pas accompagnés par la musique. Chacun des narrateurs conserve les mêmes personnages tout du long du récit". (M. Lohgan)

Destruction et reconstruction
En 1991, du 24 au 31 octobre (période correspondant à la signature du traité de paix à Paris par le Prince Sihanouk) une série de représentations de sbek tom est donnée à la Maison des Cultures du Monde.
Pour parvenir à ces représentations, un travail intense a été nécessaire de la part des Cambodgiens du Théâtre National comme de la part de l'équipe de la Maison des Cultures du Monde. An effet, après le génocide, la plupart des musiciens et des manipulateurs danseurs avaient disparu. Seuls, quelques vieillards donnent encore un enseignement essoufflé aux jeunes qui voulaient bien essayer d'apprendre tout à la fois.
En outre, il ne restait dans tout le pays qu'une centaine de figurines de sbek tom, pieusement gardés dans les Musée de Phnom Penh. Le Théâtre National, seule instance de dialogue, n'en possédait plus qu'une dizaine en fort mauvais état. Il a donc fallu encourager, de plusieurs manières, ceux qui le pouvaient encore, de refaire les figurines à l'identique des anciennes et de former des manipulateurs-danseurs capables de tenir au moins une heure. Le pari a été tenu et il semble qu'aujourd'hui, le sbek tom soit en mesure de se reconstituer.

Bibliographie
Khaznadar, Françoise et Chérif. Le théâtre d'ombres. Ed. Maison de la Culture de Rennes, 1978.
Thierry, Solange. La gloire de Rama. Ramakerti. Ramayanan cambodgien. Les belles lettres. Paris. CNRS, 1978
Lohgan, M. Les guerres d'Indrachit (texte du programme pour le théâtre du Rond Point) Ed. Maison des Cultures du Monde, Paris, 1991.
CD INEDIT/Maison des Cultures du Monde W260002

Textes

Origine géographique

Cambodge

Mots-clés

Date (année)

2000

Cote MCM

MCM_2000_KH_C1

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