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2003-04-04
4-6 avril 2003
Cette présentation de teyyam exigerait de la part du public occidental un effort d'imagination pour reconstituer autour des participants et des spectateurs, les jungles claires des collines du Kerala, la clairière qui tient lieu de sanctuaire, les bruissements d'ailes des coqs du sacrifice, les odeurs de la cuisine communautaire pour le village tout entier, les allées et venues incessantes des komoram, ritualistes chargés à la fois de la mise en scène divine et de l'accueil de chacun des membres de la communauté, les préparatifs simultanés des différents hommes, qui dans quelques heures, se métamorphoseront en divinités terrifiantes.
Le Festival de l'Imaginaire relève pour la seconde fois (la première eut lieu en juin 1989 à la Cartoucherie de Vincennes) la gageure du transfert d'un fragment d'une religion dramatique, sans doute une des origines de la tragédie.
La naissance des teyyam ou teyyatam (jeux de dieux), impossible à dater avec précision, se situerait bien avant la propagation de l'hindouisme. Ces formes spectaculaires, forgées progressivement au cours des millénaires précédant notre ère, auraient eu pour but de donner corps aux mythes primordiaux des déesses-mères (buveuses de sang mais aussi protectrices des femmes enceintes et des nourrissons) et de socialiser les peurs de ces aborigènes du sud de l'Inde, chasseurs-cueilleurs, devant affronter d'immenses périls afin de préserver la survie du groupe. Appelés peuples des collines, ils se répartissent en une dizaine de communautés, créant chacune des divinités particulières, capables d'apporter réponse à leurs questions et solutions à leurs besoins. Aujourd'hui, des hommes de deux communautés seront présents : les Vannan et les Malaya.
Chaque ritualiste-acteur-danseur assume en même temps les fonctions de chamane. Prenant l'apparence de la divinité avec laquelle les membres de sa micro-société désirent communiquer, il va la rejoindre par l'extase, là où elle se trouve : dans un monde différent. Reproduisant, dans sa geste, l'histoire de la divinité, il pourra commencer avec elle un rapport contractuel. Dans les religions primordiales de l'Inde, les relations avec les dieux se placent sous le signe de l'alliance et non de la filiation. Il sera alors possédé, pour un moment, par la divinité qu'il appelle de toutes ses forces. Et de retour dans le monde des humains, il délivrera (dans une langue secrète) des messages, répondra aux questions des villageois, donnera des pronostics et des remèdes. Cette dernière partie, impossible à décontextualiser, reste pourtant le noyau du teyyam pour les Keralais qui attendent un enfant, qui souffrent de fièvre ou qui tremblent dans l'attente d'un cataclysme.
Le maquillage et l'habillage du ritualiste (toujours un homme) exigent des connaissances, une technique et du temps. Ils ont probablement influencé des formes dramatiques comme le kathakali. Des spécialistes consacrent une partie de leur année à cette activité, les teyyam ayant lieu pendant la saison sèche, alors que les travaux agricoles se déroulent pendant la mousson. Actuellement, dans le nord du Kerala, les teyyam sont au nombre de trois cents et restent très actifs.
PROGRAMME
1. Tottam Kativanur Viren
Dans de nombreux kavu (sanctuaires de forêt), les teyyam sont précédés par des tottam ou chantres qui narrent le récit de la divinité. Seul ou accompagné par un percussionniste, le tottam, très peu maquillé, plonge les participants dans une atmosphère émotive, son chant concernant de plus ou moins près, la naissance du monde. Il évoque ici l'histoire d'un héros, Kativanur Viren, devenu un dieu. Kativanur Viren, un guerrier, se prépare à partir sur le champ de bataille. Il appelle son épouse et lui demande de vérifier ses armes de lui préparer un repas et de lui donner sa bénédiction. Celle-ci vérifie d'une main rapide les attaches de son carquois et les n'uds de ses ceintures, puis lui prépare un plat de lentilles mal triées où subsistent des pierres. Elle part ensuite, le laissant sans la formule de protection.
Sur le champ de bataille, il combat jusqu'au soir et enjambe les cadavres pour revenir chez lui. Arrivé dans sa maison, il s'aperçoit qu'il est couvert de sang et qu'un de ses doigts a été tranché. N'osant se présenter ainsi à son épouse, il retourne sur le champ de bataille à la recherche de son doigt. Alors que dans l'obscurité, il lui semble apercevoir dans la poussière cette partie de lui-même, un ennemi caché lui décoche une flèche dans le dos et le tue.
Au milieu de la nuit, sa femme le cherche et le découvre mort. Elle construit alors un bûcher du souvenir pour son époux et, par désespoir, se tue. Kativanur Viren erre désormais dans le monde des morts sans trouver le repos. Il vient vers le monument et appelle son épouse qui, elle aussi pleure sur le chemin des morts sans trouver de passage vers l'apaisement.
2. Teyyam Muchilottu Baghavati
(Première version)
Une très jeune fille se rend auprès d'un sage à qui elle demande de devenir son guru. Celui-ci lui donne un enseignement pendant une année, puis il lui demande :
"Quelle est la plus grande joie de la vie ?
- La joie de l'amour !
- Quelle est la plus grande douleur ?
- La douleur de l'enfantement !
- Toi qui es vierge, comment oses-tu donner les réponses de l'expérience ? Va-t'en !"
La jeune fille, pleine de tristesse, s'éloigne et marche dans la forêt jusqu'au village de Muchilottu. En pleurant, elle se penche au-dessus du puits, se laisse couler au fond et se noie.
Le vieux sage, qui regrette sa colère, suit ses traces et arrive, lui aussi devant le puits de Muchilottu. Il apprend que la vierge s'est noyée. Il l'appelle. La déesse Baghavati jaillit alors de l'eau, dans son apparence cosmique. Elle lui dit : "Tu te dis sage et tu n'as pas su me reconnaître alors que j'ai passé une année à tes côtés. Désormais, tu n'enseigneras plus et tu ne devras plus prononcer mon nom ! "
(Deuxième version, postérieure à la première)
Une jeune femme, brahmane de haut rang, vit à Muchilottu. Chacun redoute de débattre avec elle et les lettrés de la région se montrent jaloux. Chaque année, un débat public se déroule et les lettrés décident de tendre un piège à la jeune femme. Au cours de ce débat, sont posées les questions de la plus grande joie et de la plus grande douleur. La jeune femme y répond en invoquant l'amour et l'enfantement. Les lettrés la déclarent alors impure. En effet, lorsqu'une femme de haute caste perd sa virginité, elle perd aussi sa caste. Elle s'en va dans la forêt et ramasse du bois, fait un bûcher, allume le feu et se jette dedans.
Passe un homme de la communauté vanya (hors caste), un vendeur d'huile. Depuis les flammes, elle lui demande d'aviver le feu en jetant son huile sur le bûcher. Il rentre chez lui bouleversé et ne peut ni manger ni dormir. Il regarde le pot vide qu'il a déposé dans un coin de la maison. Le pot danse et déborde d'une huile très pure qui ne tarit jamais. Il court alors vers le bûcher et trouve Baghavati dans sa splendeur. Il devient un de ses dévots.
3. Teyyam Nara-Simha ou Vishnu-Murti
Sur les terres d'un noble, Hirannya Kasipu, vivait une famille d'esclaves dont le fils Kannan, un bel adolescent à la peau noire, gardait le bétail. Un jour qu'il était monté sur un manguier pour manger des fruits, il jeta un noyau qui tomba sur l'épaule de la fille d'Hirannya Kasipu qui passait par là.
Il était interdit pour un esclave de regarder une fille noble. Le garçon fut saisi et condamné à l'exil. S'il revenait dans son village, il serait tué.
Les années passèrent et le garçon eut un jour une envie irrésistible de revoir sa mère et son père. Il gagna secrètement son village et, avant de se présenter chez lui, prit un bain dans la rivière. Il fut reconnu et des soldats le traînèrent devant Hirannya Kasipu. Le jeune homme implora son pardon, mais le noble le fit tuer, couper en mille morceaux et brûler les restes.
À partir de ce moment, des choses étranges se produisirent. Un incendie ravagea le palais du noble. Sa fille devenue folle voyait les vaches cracher du feu. L'astrologue consulté par le noble, révéla que le jeune homme était Vishnu (version tardive du récit). Pour tenter d'apaiser la colère du dieu, Hirannya Kasipu organisa des teyyam. Sa peur le quitta le jour où des devins lui révélèrent qu'il ne pouvait être tué ni de jour ni de nuit, ni à l'intérieur, ni à l'extérieur, ni par un homme ni par un animal. Un soir, dans un pilier de son palais, se tenait une créature mi-homme, mi-lion. C'était Vishnu qui le tua.
La cérémonie est exécutée dans les communautés malaya. De grands brasiers sont allumés dans les kavu et tous les villageois, à la suite du teyyam, sautent au-dessus du feu.
4. Teyyam Kativanur Viren
La narration du tottam se poursuit par une série de gestes d'indécision, d'avancée et de recul. Ce teyyam, un héros mort, se trouverait encore dans un état intermédiaire. Sa danse autour du chemarati thara indique le degré de sa douleur. Il essaie de rejoindre son épouse qui se trouve dans un monde auquel il ne peut accéder. Ses tentatives de communication ressemblent aux efforts du chamane pour parvenir à l'extase.
FRANÇOISE GRÜND
avec Lakshmanan Peruvannan, Narayanan Peruvannan, Rameshan Peruvannan,
Sudheendran Peruvannan, Prakasan Aramana Valappil, Muralee Pankker, Aneesh
Pankker, Ramakrishnan Pankker, Prakasan Pankker, Sunil Pankker.
Direction : Ravi Gopalan Naïr.
Remerciements à Françoise Gründ, Ravi Gopalan Naïr, Bartabas et au Théâtre Zingaro.
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2003-03-11
11-12 mars 2003
Palais de la Porte Dorée, ancien musée des Arts d'Afrique et d'Océanie.
Les Ekonda sont un des groupes mongo qui occupent la cuvette centrale du Congo. Ils vivent principalement dans une région de forêts inondées et de marais où ils se sont fixés il y a un siècle et demi environ. Chez les Ekonda comme chez les autres Mongo, on compte un grand nombre de pygmoïdes Batwa qui vivent en symbiose avec leurs "maîtres" Bahutu. Les Batwa s'occupent de la chasse, de la pêche et de la cueillette, tandis que les Bahutu sont principalement agriculteurs et artisans.
Le bobongo est le dernier rite de passage d'un patriarche ou d'un notable défunt (levée de deuil). Ce rituel a ceci de remarquable qu'il réunit les principales formes vocales et chorégraphiques ekonda sous la forme d'un véritable spectable représenté par des chanteurs et des danseurs spécialement entraînés à cela.
Tel qu'il est représenté aujourd'hui, le bobongo fut structuré à la fin du XIXe siècle par un certain Itetele (mort en 1910), originaire du village d'Ikenge et appartenant aux Besongo, un sous-groupe ekonda réputé pour son art chorégraphique (iyaya) et son artisanat. On raconte qu'Itetele, rétif aux travaux des champs, préférait rester à la maison, garder les enfants et les distraire par des fables, des proverbes, des jeux et des chansons. Un jour, il eut l'idée de monter un spectacle à partir des diverses formes du patrimoine ekonda (rites funéraires, invocations aux génies, proverbes, berceuses, chants historiques, danses iyaya') auxquelles il ajouta des éléments de sa propre invention. Il constitua un groupe de chanteurs, de musiciens et de danseurs et son spectacle eut tant de succès chez les Besongo qu'il fut rapidement invité à tourner dans tous les villages avoisinants. À sa mort, les membres de son groupe poursuivirent son 'uvre et fondèrent des groupes dans plusieurs villages qui essaimèrent à leur tour dans tout le pays ekonda.
Aujourd'hui, un village sur deux ou sur trois possède son propre groupe qui se compose de 12 à 20 personnes. Ces groupes ne sont jamais mixtes ; il y a donc des bobongo d'hommes et des bobongo de femmes aussi bien chez les Bahutu que chez les Batwa. Ces derniers apportent cependant au spectacle un style énergique extrêmement fort qui le distingue de celui nettement plus hiératique des Bahutu. Chaque groupe se compose de deux ou quatre chanteurs solistes qui se répondent, d'un joueur de râcleur, d'un joueur de tambour à fente, d'un choeur et de six ou neuf danseurs. Chaque groupe répète régulièrement dans une clairière en forêt, en général une à deux fois par semaine, parfois plus lorsqu'approche le moment d'une représentation à l'occasion d'une levée de deuil. Le groupe peut aussi bien se produire dans son village ou son hameau qu'à l'invitation d'un village voisin. Il en découle un esprit d'émulation très puissant qui incite chaque groupe à composer de nouveaux chants, à imaginer de nouveaux pas ou des acrobaties toujours plus spectaculaires.
Le spectacle se compose de deux parties : le bobongo proprement dit qui met l'accent sur la déclamation et le chant, la danse étant présente mais moins importante, et l'iyaya qui est une succession de chorégraphies d'ensemble très précises dans lesquelles se détachent ici et là des danseurs solistes d'une grande virtuosité et, dans le cas des Batwa, d'une extraordinaire truculence. L'imagination et l'originalité de chaque participant se manifeste aussi dans la parure et le costume, le corps pratiquement nu est constellé de marques blanches (protections contre les esprits néfastes et évocation du léopard, animal totémique des Ekonda), la taille ceinte de pagnes en raphia et de peaux de bêtes tachetées (animaux prédateurs symbolisant la force), la tête couverte de coiffures en raphia, cauris, plumes et fourrure.
Le clou du spectacle est l'acrobatie finale ibuleyo qui peut prendre la forme d'une pyramide humaine qui se déplace sur l'aire de danse ou bien carrément un échafaudage de 10 mètres de hauteur au sommet duquel quelques danseurs s'installent dans une nacelle qui est précipitée en bas et brusquement retenue dans sa chute à un mètre du sol.
Le chant, d'une grande variété, offre un très bel exemple de l'art plurivocal d'Afrique centrale, avec ses échanges entre couples de solistes soutenus par un choeur bien fourni. L'accompagnement du râcleur, du tambour à fente et des hochets, à la fois dynamique et relativement discret, permet d'apprécier la beauté des voix.
Aujourd'hui encore, le bobongo continue de remplir son office lors des levées de deuil. Mais il peut aussi être représenté en bien d'autres occasions, lors du retour d'un villageois demeuré longtemps absent ou pour accueillir une personnalité, voire à l'occasion d'autres fêtes.
C'est la première fois que le bobongo ekonda batwa est présenté en Europe. Les artistes sont originaires du village de Ngengobala. Leur troupe a été constituée en association par Paul Bossoké sous le nom de Ballet ekonda original, néanmoins l'essentiel de leur activité spectaculaire s'inscrit toujours dans le cadre social traditionnel, notamment à l'occasion des levées de deuil.
avec Bobonga Bola, Lompunga Lokemba, Elima Mputu, Mboyo Bonyongela, Ipaka Looma, Nsambe Mboyo, Botuna Biane, Botembwaka Bekaya, Bakalanjo Nsambi, Mongu Bolili, Nkanga Nkuli, Lokona Mpata, Looka Ingalela, Ngilima Bosuku.
Direction : Paul Bossoké assisté de Bontole Boboli.
DÉROULEMENT TYPE D'UN BOBONGO (susceptible de modifications)
1. Appel tambouriné sur le tambour à fente lokole
2. Le groupe profère ses devises dans lesquelles il se compare au fleuve en furie.
Chaque groupe de bobongo possède ses propres devises basées sur des comparaisons avec des éléments de la nature.
3. Bolondo : entrée en scène.
4. Biamba : invocation propitiatoire aux esprits des ancêtres et aux génies bili - ma pour qu'ils 'ouvrent la voie du bobongo'.
5. Bobekia : la puissance des esprits a été transférée aux anciens du groupe qui préparent l'espace de danse en le balayant avec leurs chasses-mouches.
6. Itangi : Eloges du défunt, comparaisons avec la nature, moqueries lancées aux autres groupes, chantés en polyphonie par couples de solistes.
7. Invitation du nyangi bobongo, le maître du bobongo.
8. Entrée en scène du nyangi bobongo qui incarne les esprits bilima.
9. Lobala : dialogue entre le nyangi bobongo et son second (bonkomwa). Ils formulent leur propre éloge et celui de leur groupe, se comparant aux oiseaux et aux fauves de la forêt.
10. Ipoto : traditionnellement, cette partie est un dialogue entre les solistes et les villageois. Ceux-ci suggèrent des thèmes d'éloge au nyangi bobongo qui les développe poétiquement et musicalement. C'est aussi l'occasion de prononcer un éloge du défunt.
11. Itangi du nyangi bobongo : Eloges du défunt, comparaisons avec la nature, moqueries lancées aux autres groupes, chantés en polyphonie. Le nyangi bobongo se compare à un animal (par exemple la tortue ou l'éléphant) et imite sa démarche.
12. Iyaya : suite de séquences purement chorégraphiques (esoya, isanga').
13. Ibuleyo (litt. "final") : le final prend la forme d'une chute du haut d'un échafaudage ou, comme ici, d'une pyramide humaine. Cette dernière séquence conclut définitivement le bobongo.
Bibliographie
Daniel Vangroenweghe, Bobongo, la grande fête des Ekonda (Zaïre), Mainzer Afrika-Studien, Band 9,
Dietrich Reimer Verlag, Berlin, 1988, 332 pages.
Remerciements à Monsieur Paul Bossoké et à Monsieur Tony van der Eecken.
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2002-04-05
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2002-04-05
5 avril 2002 CANDOMBLÉ DE CABOCLOS
6 -7 avril 2002 CANDOMBLÉ DE ANGOLA
mère de saint : Iraildes Maria da Cunha
Candomblé est le terme utilisé dans l'État de Bahia, au nord-est du Brésil, pour désigner les groupes religieux présentant un ensemble de pratiques rituelles originaires d'Afrique de l'Ouest. Aujourd'hui, plus de 400 ans après l'arrivée des premiers esclaves, et en dépit du métissage racial et culturel qui caractérise la société bahianaise, subsistent encore à Bahia trois principales nations : Ketu, Jêje et Angola. Objet de prohibition et de répression jusqu'en 1976, le candomblé est rapidement passé de la clandestinité à une certaine reconnaissance institutionnelle. Chaque terreiro organise un cycle annuel de "fêtes" publiques destiné à célébrer les principales divinités du panthéon.
Le Festival de l'Imaginaire accueille, pendant trois soirées exceptionnelles, les membres du Tumba Junçara, l'un des plus anciens terreiros de tradition Angola du Brésil. Ces quinze initiés ont, pour la première fois, accepté de quitter Salvador de Bahia pour présenter trois cérémonies de candomblé.
La tradition Angola
Les esclaves amenés au Brésil par les Portugais dès le début du XVIIe siècle étaient originaires des côtes du Congo et de l'Angola, appartenant tous au groupe linguistique bantou. Selon Luís Viana Filho, historien du trafic négrier, "Les Bantous furent les premiers Noirs exportés à grande échelle vers Bahia et y laissèrent de manière indélébile les marques de leur culture. Ils influencèrent puissamment la langue, la religion, le folklore et lescoutumes" (Viana Filho, 1988).
Le candomblé Angola possède, aujourd'hui encore, une langue, des chants et des formules rythmiques tout à fait caractéristiques. Cette tradition demeure pourtant méconnue. Valdina Pinto, membre d'un terreiro Angola, donne de sa nation la définition suivante : "Ce que nous appelons aujourd'hui candomblé de nation Angola est un ensemble de croyances, de rites et de pratiques recréés et réorganisés où prédominent des traits culturels originaires de régions africaines qui, aux XVe et XVIe siècles, appartenaient au royaume du Congo. (') La "langue d'Angola", autrement dit la langue du candomblé de nation Angola,vest un assemblage de termes provenant principalement des langues kikongo et kimbundu, maisvaussi probablement de leurs différents dialectes ainsi que de fragments d'autres langues bantoues. Cette langue est contenue dans les prières, les chants rituels, le vocabulaire et les expressions utilisées".
Constituée d'un vaste répertoire de chants, accompagnés de rythmes joués par trois tambours (atabaques) et une cloche métallique (agogô ou ga), la musique ordonne et structure tout le déroulement des cérémonies rituelles. Elle est pour cette raison indissociable de son contexte et de ses fonctions liturgiques. Aux yeux des adeptes, la musique est indispensable à l'établissement de liens entre le monde des humains et celui des divinités, en d'autres termes au déclenchement puis à la conduite de la possession.
La musique se situe par conséquent au coeur d'un système qui met en action les représentations symboliques, spirituelles et religieuses de toute la communauté.
Chants, rythmes et danses participent du même discours symbolique, celui d'un "théâtre sacré" où, par une extraordinaire alchimie des sens, chaque élément ' musical, chorégraphique ' se trouve transcendé par son interaction avec les autres.
La "fête" de candomblé : stéréotype d'une cérémonie
Chacune des fêtes est consacrée à une divinité particulière le dono da festa, le "patron de la fête", ce qui n'empêche pas d'autres divinités de se manifester au cours de la cérémonie.
La fête se tient dans le barracão, pièce principale du terreiro. Elle débute en général entre 21 heures et 22 heures, mais les préparatifs qui lui sont nécessairement associés commencent dès la nuit précédente. Le barracão est décoré pour l'occasion aux couleurs du dono da festa. Les tambours sont parés d'un tissu nommé ojá, dont la couleur indique la divinité à laquelle chacun d'eux est consacré. Chaque membre important de la "famille de saint" possède une place spécifique à l'intérieur du barracão.
Fidèles et visiteurs sont répartis de part et d'autre de la pièce, hommes et femmes séparés.
Les tambourinaires prennent place dans l'espace réservé aux instruments. La cérémonie peut alors commencer.
1. Appel des divinités
La première partie de la cérémonie a pour fonction de rendre hommage une à une aux différentes divinités du panthéon et de les inciter, par une succession préétablie de chants généralement appelée xirê, à se manifester dans l'espace sacré du barracão. Les initiés pénètrent en file indienne dans le barracão et dansent ensemble dans une ronde menée par la "mère de saint" ou le "père de saint", en esquissant des pas de danse et des gestes propres à chacune des divinités invoquées. Il s'agit d'une danse circulaire collective où les individualités sont estompées, ce qui, par contraste, conférera d'autant plus de force aux danses singulières des possédés. Cette fusion de l'individu dans un mouvement collectif rythmiquement organisé évoque notamment certaines techniques du dhikr soufi. C'est au terme de cette phase que les transes doivent survenir.
L'ordre interne de la ronde est déterminé par l'âge initiatique (la plus vieille initiée en tête), ou par la préséance de telle ou telle divinité. L'ordre des divinités invoquées est relativement stable. La règle veut que l'on chante trois, sept, quatorze ou vingt-et-un chants pour chacune des divinités ; celui ou celle qui mène le chant qu'il s'agisse ou non du chef de la communauté est le véritable maître de la cérémonie. Dans la nation Angola, les transes surviennent en général quasi simultanément à l'audition d'un chant spécifique destiné à cet usage, nommé cantiga de fundamento. Les initiés en transe sont alors conduits dans une autre pièce du terreiro afin d'être vêtus des parures et des insignes de leurs divinités respectives.
2. Danses des divinités
Les divinités incarnées pénètrent dans le barracão, accompagnées d'un chant destiné à les accueillir. Elles vont danser une à une parmi les fidèles, dans un climat d'exaltation collective et de ferveur communautaire. Les tambourinaires vont être particulièrement sollicités. Comme l'affirme Gisèle Cossard, spécialiste du candomblé devenue "mère de saint" à Rio de Janeiro : "La communication s'établit directement du tambour qui vibre à la divinité qui danse, du rythme au mouvement. L'un et l'autre se fondent. Les cris de joie éclatent, les pétards crépitent, une ferveur intense envahit la communauté".
Le nombre de chants attribués à chaque divinité dépend principalement de la compétence de l'initié-danseur censé incarner la divinité ; plus sa chorégraphie est appréciée et plus il sera sollicité par le chanteur principal et les tambourinaires. Il s'agit d'un moment privilégié de la cérémonie, au cours duquel se joue un enjeu essentiel du rite : la régénération et la circulation de l'axé, énergie spirituelle indispensable au culte et à la communauté. C'est notamment par leur présence charnelle parmi les hommes que les divinités transmettent cette force vitale. Lorsque toutes les divinités incarnées ont terminé de danser, le chanteur principal entonne un chant spécifique au cours duquel ces dernières vont prendre congé de l'assemblée, du chef de culte et des tambours. Sous les acclamations de l'assistance, les divinités sont reconduites au son d'un rythme spécifique, ce qui permet une dernière fois aux tambourinaires de faire preuve de leur enthousiasme et de leur virtuosité. Le rituel est terminé.
Les tambourinaires
Comme il est de coutume en Afrique Noire et dans les cultures de la diaspora africaine, la place de tambourinaire est réservée aux hommes. Les meilleurs tambourinaires sont généralement liés au culte par une longue tradition familiale. L'apprentissage se fait principalement par imprégnation : les jeunes garçons de la communauté sont incités à apprendre, en observant puis en imitant leurs aînés, les rythmes fournis par les instruments à percussion. Certains d'entre eux participent déjà activement aux cérémonies rituelles bien avant leur dixième anniversaire.
Le rythme de base est fourni par la cloche métallique à battant externe, simple (ga, terme d'origine fon) ou double (agogô, terme d'origine yoruba). Tenue dans une main, elle est percutée à l'aide d'une courte tige de métal. Dans la nation Angola, ainsi que dans les cérémonies consacrées aux caboclos, les trois tambours, appelés ngoma, sont joués à mains nues. Leur jeu fait ressortir une polyrythmie particulièrement prononcée.
L'apprentissage débute par la cloche, puis se poursuit par les trois tambours, du plus petit au plus grand (lê, rumpi puis rum). L'engouement des jeunes garçons pour la percussion est accru par le prestige particulier dont jouissent les tambourinaires, et en premier lieu l'alabê (tambourinaire principal), au sein de la communauté ; ce prestige témoigne de la place essentielle que tient la musique dans le candomblé.
Xavier Vatin
Iraildes Maria da Cunha, mère de saint.
Esmeraldo Emetério de Santana Filho, alabê (tambour principal).
Laércio Messias do Sacramento, Raimundo Alberto Sousa Dantas, Edmilson Amorim dos Santos, Ednalda Evangelista Ferreira dos Santos, Marcelino Marques da Silva, Roselene Brito Oliveira, Elza Maria Santana, Maria das Dores Santana, Jacira Bispo dos Santos, Raimundo Braga Santana de Lima, Creuza Moreira Santos, Carlos Augusto Pereira dos Santos, Anita de Jesus Costa.
Références bibliographiques
Gisèle COSSARD, Contribution à l'étude des candomblés au Brésil. Le candomblé angola, Paris, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, 1970.
Xavier VATIN, Étude comparative de diff é rentes nations de candomblé à Bahia, Brésil, Thèse de Doctorat en Anthropologie Sociale et Ethnologie, Paris, EHESS, 2001.
à écouter
Brésil. CANDOMBLÉ DE ANGOLA. Musique rituelle afro-brésilienne.
1 CD INEDIT W 260091
disponible sur le lieu de la cérémonie
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2001-03-29
29 mars-1 avril 2001.
Considéré par les indiens comme le plus ancien drame dansé du Kerala, le Mudhiyettu fait partie de ces religions dramatiques qui évoquent un épisode de la vie de la déesse Kali, appelée quelquefois Baghavati ou Badhrakali.
Au commencement du monde et bien avant la propagation de l'hindouisme se déroule un combat gigantesque entre le Bien et le Mal, entre Kali la déesse et Darika le démon. La représentation du mythe fondateur pour les peuples des forêts se déroule en deux temps: le traçage du kolam et la danse de possession.
L'Etat du Kerala dans le sud de l'Inde, révèle à l'Europe depuis quelques années seulement, son incroyable abondance de formes dramatiques à la terrifiante magnificence. Le mudhiyettu, probablement une des plus anciennes, se déroule à la nuit tombée, presque dans le secret, à l'orée de la jungle qui ourle les territoires mi-solides mi-aquatiques de la région de Cochin. Cérémonie mais aussi spectacle, le mudhiyettu recèle des niveaux symboliques différents.
Mudhiyettu, qui signifie jeu de la coiffe ou jeu de la tête, joue sur une ambiguïté. La coiffe, celle de Kali, la déesse buveuse de sang, domine l'acteur-danseur emporté par une extase furieuse qui le projette bien loin de ceux qui regardent. Rouge, rutilante, elle se déploie sur presque un mètre de chaque côté de sa nuque. Dès que les bords de bois, de textile et de végétaux touchent sa chevelure et son visage maquillé, l'acteur devient cette fille-épouse du dieu Shiva qui part tuer les démons. La tête, peut-être celle de Darika, un démon, le plus puissant de tous, que Kali tranche de sa longue épée ruisselante et promène en la brandissant, éclaire la forêt de ses reflets tragiques multipliés par la lueur des torches. Le mal est vaincu. La terre, les femmes enceintes, les bêtes gravides peuvent enfin engendrer.
Les crânes que porte Kali en collier macabre sautent en s'entrechoquant lorsque dans sa course folle, elle poursuit les danseurs métamorphosés par leur costume immense. Dvenue souveraine du monde des morts, elle fait régner l'inquiétude partout où elle passe.
La tête du kolam -grand dessin sacré tracé sur le sol par les ritualistes avant que les tambours chenda ne commencent leurs roulements- est celle de Kali portée par les démones Kooli et Valata qui avaleront les gouttes de sang tombées des blessures des démons avant qu'elles ne touchent terre. Les poudres de couleur qui remplissent les espaces entre les cernes d'un gigantesque graphisme, effacés systématiquement par les officiants avant le début de la danse, seront soigneusement recueillies et distribuées au public qui gardera cette poussière divine comme talisman. Seule la tête de la déesse ne sera pas effacée. Les pas des danseurs, ou le vent, estomperont ses contours au cours de la nuit de tous les prodiges.
Pendant ce temps, d'autres ritualistes se préparent à la représentation du mystère en se maquillant. Dès que la nuit tombe et que la grosse lampe à huile est allumée, l'aire de jeu d'une clairière (sanctuaire de forêt appelé kavu) est divisée en deux par un rideau. Les protagonistes, à demi-cachés et commençant leurs mouvements oscillatoires au son des tambours chenda et des invocations chantées, se présentent au public puis, à la lueur des torches tenues par des jeunes gens qui les suivent en courant, se jettent dans une danse frénétique qui les conduit jusqu'à la divinité par l'intermédiaire de l'extase (car il s'agit d'une cérémonie chamanique). Ensuite, la divinité évoquée chevauche les danseurs maquillés et lourdement costumés, emportés par une transe violent.
Françoise Gründ.
Ordre des scènes
1. Traçage du kolam. La présence de Badhrakali doit s'inscrire dans le dessin. Vers la fin du kolam, les ritualistes chantent le kolampattu, une description de la divinité.
2. Effacement du kolam. La présence de Badhrakali va passer du graphisme aux corps des ritualistes acteurs-danseurs.
3. Transport de la lampe à huile. Badhrakali voyage dans la flamme. L'énergie se déplace du kolam vers le jeu.
4. Mêlam, passage musical d'appel de la divinité (tambours chenda et cymbales hilletala).
5. Mise en place du tirasila, le rideau qui sépare le monde réel du monde de la maya (illusion)
6. Apparition de Shiva et de sa monture sacrée, le taureau Nandi, et de Narada, le sage qui est aussi le messager.
7. Récit de Narada: il lit dans une feuille de palmier l'histoire du démon Darika qui détruit le monde et se moque des dieux.
8. Entrée de Daraka, le roi-démon insolent qui défie même Shiva. Danse de puissance de Darika qui lance un défi dans les quatre directions.
Entrée de Badhrakali qui menace Darika et le défie, elle aussi, dans les quatre directions.
10. Entrée de Koyambadar, le roi local et chef des armées. Il se met au service de Badhrakali et raconte les horreurs qu'il vient de voir sur le passage de Darika. Il est aussi l'incarnation du taureau Nandi.
11. Badhrakali attend le moment de la bataille. Elle se tient assise, ce qui signifie qu'elle est sur terre.
12. Entrée de Kooli, servante de Shiva et démone buveuse de sang, qui vient aider Badhrakali. Elle commence une danse et appelle Badhrakali, sa mère. Son comportement est celui d'une folle, ce qui donne à la scène un caractère comique. Avant la bataille, elle décide de prendre un bain, puis de se brosser les dents et de laver ses vêtements. Elle met en garde Kali: "Ne va pas dans la forêt, deux fous furieux sont à ta recherche!"
13.Entrée de Darika et de son frère Danavendra. Ils sont à la recherche de Badhrakali
14. Scène de bataille entre Badhrakali, Kooli, Darika et Danavendra. Une lutte sans merci commence'
15. Scène de fuite. Darika et son frère cherchent refuge dans les quatorze mondes. Ils vont même jusqu'au non-monde, le patala.
16. Scène de fureur et de transe. Badhrakali est au comble de la colère. Sa coiffe lui est enlevée dans un but d'apaisement de l'acteur-ritualiste. Une véritable agression est redoutée.
17. Scène d'apaisement. Les ritualistes cherchent à apaiser Badhrakali. Ils l'asseyent, lui donne de l'eau fraîche, touchent sa coiffe.
18. Mort de Darika. Le combat reprend et Badhrakali tue Darika. Symboliquement, elle lui retire sa coiffe (sa tête).
19. Bénédiction. La colère de Badhrakali est tombée. Elle est devenue Baghavati, pleine d'amour. Dans les sanctuaires du Kerala, les mères amènent leur enfant à l'acteur-ritualiste. L'enfant peut alors être Shiva car, lorsque celui-ci s'aperçut de la violence de la colère de sa fille Badhrakali, de peur d'être tué il lui apparut sous les traits d'un enfant.
Remerciement à Madame Khartika Naïr et Monsieur Ravi Gopalan Naïr.
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2001-03-26
26-28 mars 2001
PREMIÈRE PARTIE : ZIKR JAHAR
Non loin de la frontière afghane, sur les hauts plateaux du sud-ouest de l'Ouzbékistan, la petite ville de Baysoun. Pour y accéder, il faut emprunter à partir de Samarcande la longue route stratégique qui emmenait, il y a encore quelques années, les soldats soviétiques en Afghanistan.
Dans cette région du Surkhandarya qui dépendait de l'Émirat de Boukhara, riche en musiciens et en bardes, des hommes et des femmes soufis et guérisseurs exercent encore leurs pouvoirs ancestraux. Ici, au cours d'un zikr jahar ' cérémonie thérapeutique ', prières et incantations sont des remèdes imparables pour soigner les malades, chasser les djinns et les esprits du mal.
Le zikr jahar commence par l'invocation de Dieu, pour se mettre sous sa protection. Les prières mêlent les trois langues principales : arabe, persan et turc ouzbek. Légèrement décalées les unes par rapport aux autres, les voix s'élèvent, brutes. Dès le premier instant, une étrange austérité surprend et saisit. Répétition des litanies, des formules, le rythme s'accélère pour atteindre le moment culminant' Culte du feu des zoroastriens, chamanisme des hordes turco-mongoles, mysticisme de l'islam reprennent vie dans ces voix, dans cette cérémonie du soufisme populaire, qui peut durer une nuit entière, parfois même plusieurs jours, jusqu'à ce que le malade entre en transe et que l'esprit maléfique s'en aille. Il arrive que la force terrifiante des voix pousse parfois le malade à s'enfuir'
Le rituel se compose de trois parties ayant chacune le même but : chasser l'esprit (djinn) qui habite le malade. La première constitue la bataille contre le djinn, la seconde est une supplique adressée à Dieu, dans la troisième on chasse définitivement le djinn qui habitait le malade.
Chaque partie présente la même structure : les officiants assis déclament ou cantillent une série d'invocations (profession de foi, énonciation des 99 noms de Dieu, imploration du pardon de Dieu, etc.). Puis ils se lèvent et reprennent les invocations en utilisant la voix laryngée. Ils se regroupent dans une ronde et tout à coup, brutalement, s'embrassent en une mêlée qui symbolise la bataille contre le djinn.
Diverses "armes" et techniques sont utilisées, l'invocation et la demande d'intercession de Dieu, la voix pharyingée et le cri, les coups de cravache sur le corps du malade et des simulacres de coups de couteau.
Le rituel s'achève par une récitation du Coran, cantillée en solo, et par une dernière prière.
DEUXIÈME PARTIE : PROJECTION DU DOCUMENTAIRE
"LES MYSTÈRES D'ASIE CENTRALE"
Réalisation : Jacques Debs, 1997, 52 minutes. ADR Productions en coproduction avec LA CINQUIÈME et l'aidre de la PROCIREP, du CNC et du Ministère des Affaires Etrangères.
Ce film tourné à Baysoun présente à travers des interviews et des scènes de la vie courante, le parcours initiatique ainsi que l'univers spirituel et quotidien des officiants du Jahar.
Le Festival de l'Imaginaire remercie M. Bayram Balci, M. Pierre Chuvin, M. Khudaikul Ibrahimov.
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2001-03-23
23-24 mars 2001.
Le stambali est un culte afro-tunisien de possession dont les officiants sont des descendants d'anciens esclaves noirs. Tout comme les gnawa du Maroc, ils considèrent Bilal, l'esclave noir affranchi par le Prophète, comme le fondateur de leur confrérie. Cela relève plus du mythe que d'une réalité historique, mais s'explique du fait de leur présence au sein d'une société musulmane et de la nécessité que cela engendre de se donner une certaine légitimité. Toujours est-il qu'on les désigne parfois par le terme de "bilaliens".
Comme le diwan en Algérie ou les gnawa au Maroc, le stambali de Tunisie a des origines subsahariennes. Les études qui ont été faites sur le stambali le font remonter au culte des bori dans la société Hausa.
De cette origine négro-africaine, le stambali a conservé deux traits spécifiques essentiels : la pratique de la possession rituelle, c'est-à-dire quand les adeptes en état de transe incarnent des entités surnaturelles, et la divination médiumnique qui lui est étroitement associée. A ce culte des divinités bori se sont juxtaposées d'autres croyances et d'autres pratiques propres au Maghreb, comme le culte des saints dans la tradition populaire musulmane.
On a fini par appeler stambali non seulement le rite public de possession mais l'ensemble des pratiques thérapeutiques dont il constitue en fait la dernière étape.
Toutefois, la signification et l'origine même du terme "stambali" n'est pas claire. On dit que c'est en référence à Istanbul, car un personnage important de la cour du bey de Tunis a particulièrement protégé la communauté noire. Mais le rituel du stambali en lui-même n'a rien à voir avec la culture ottomane.
Le culte du stambali s'agence autour de trois cycles
Le premier cycle correspond à une activité de recrutement de nouveaux adeptes, lors des rituels publics de tesmih.
La conversion de ces adeptes va s'opérer par l'initiation à travers le dispositif thérapeutique des rituels privés qui se déroulent sous forme de commandes négociées entre les familles de patients et les groupes de guérisseurs. C'est le second cycle de rituels.
Vient ensuite le moment du moussem où tous les membres, adeptes et officiants se rassemblent pour célébrer leurs cultes dans les sanctuaires de leurs saints patrons. Ce dernier cycle de rituels représente à la fois l'aboutissement, la consécration et l'achèvement des cycles précédents.
Les cérémonies rituelles thérapeutiques sont animées par un groupe de musiciens guérisseurs. Ils interviennent à la demande de la famille dont un membre est atteint par un génie noir. Chaque groupe compte une ou plusieurs arifa (voyante et prêtresse), un maâllem (maître), et plusieurs joueurs de chkachek (crotales).
Maître de la cérémonie, le maâllem occupe toujours le centre de l'orchestre. Son instrument caractéristique est le gembri, un luth à trois cordes, mais il peut aussi jouer du tambour tbal lors des préludes. Il établit un contact musical avec l'univers des esprits par la musique et les incantations, mais il ne communique pas directement avec ces entités. En revanche, il doit connaître les variétés de parfums et leurs propriétés, comme il doit pouvoir interpréter la transe d'un initié en révélant ses liens avec l'entité surnaturelle invoquée.
Son gembri est investi d'un pouvoir sacré qui lui est révélé au moment où il en atteint la maîtrise parfaite. De même, le gembri a un pouvoir d'attraction sur les esprits sans égal. Ses vibrations les font irrésistiblement "descendre" parmi les fidèles.
L'initiation du maître comporte l'apprentissage des enchaînements musicaux, la maîtrise de l'instrument et des rites sacrificiels. L'accès au statut de maâllem n'est possible que par la succession et sa notoriété dépend de la richesse de son répertoire.
Les joueurs de chkachek (crotales, l'instrument le plus caractéristique de la musique du stambali), peuvent être au nombre de deux ou plus, et sont installés à la gauche et à la droite du maâllem. Leur statut requiert peu de connaissances rituelles, mais en revanche une grande maîtrise des rythmes. A la droite du maâllem se tient le meilleur joueur de crotales. Plus proche du "corps" du gembri, donc plus réceptif aux variations mélodiques, il dirige les autres percussionnistes.
Le statut de la arifa est équivalent à celui du maître. Considérée comme la prêtresse du culte, celle qui détient le savoir, elle a le pouvoir de communiquer avec les génies.
Elle occupe le plus haut rang parmi les initiés. C'est elle que les patients vont consulter en premier pour qu'elle leur révèle l'origine surnaturelle de leur maladie. Au cours des cérémonies, elle incarne les divinités pour prédire l'avenir des fidèles.
La musique
La musique occupe une place importante dans les cérémonies. L'invocation des génies s'effectue par des chants et des enchaînements musicaux de noubas qui provoquent la transe des adeptes. Les noubas font "descendre" les génies pour les réconcilier avec les humains et guérir les malades.
La progression des chants dans un ordre établi et immuable est un principe essentiel dans la pratique thérapeutique. Elle est nécessaire pour atteindre un ou des génies particuliers, supposés être à l'origine de la maladie. Cette progression s'effectue toujours selon l'ordre hiérarchique descendant des entités surnaturelles : les esprits blancs ou les- saints de l'islam populaire, les Gens de la Mer et ensuite les esprits Noirs. À chaque entité surnaturelle correspond une couleur, l'adepte en transe de possession se recouvrira d'un tissu de la couleur de l'esprit qu'il incarne.
Le chant qui accompagne la nûba est un appel répétitif vantant les mérites de l'esprit invoqué. Ces vers sont scandés par le maâllem et repris en refrain par le reste de la troupe. Le chant est moins important que les rythmes et les mélodies.
Longtemps interdit par Bourguiba, le stambali est devenu un événement rare et secret.
L'ordre du rituel
Sont invoqués en premier les esprits blancs. Les rythmes sont relativement lents. La silsila ou "chaîne" des blancs comprend Sidi Abdelkader, Sidi Mansour, Sidi Ameur, Sidi Saad, Sidi Frej. Ce sont tous des marabouts c'est-à-dire des saints de l'islam populaire.
Dans la silsila des gens de mer, ou les esprits bleus, on invoque Yarima et son frère Sarki N'Gari. Les rythmes sont plus rapides que ceux des esprits blancs.
Dans la silsila des esprits Noirs dont les rythmes sont les plus rapides on invoque Sidi Marzoug, Baba Kouri.
Cet ordre idéal peut ne pas être suivi. Il peut y avoir des inversions. Les esprits n'attendent pas forcément leur tour et se manifestent parfois avant d'être appelés'
ARWAD ESBER
d'après Ahmed Rahal: La Communauté Noire de Tunis, thérapie initiatique et rite de possession,
Paris, L'Harmattan, 2000.
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2001-03-20
20-22 mars 2001
Le soufisme est la mystique de l'islam. Il s'agit de la principale voie de réalisation spirituelle propre à cette religion. Le terme arabe tasawuf dérive du mot sûf, laine, par référence à la robe de laine que portaient les premiers soufis. Le soufisme se
fonde sur le Coran, la parole divine matérialisée dans un livre sacré, ainsi que sur la sunna ou pratique du prophète Muhammad, le modèle par excellence de tout musulman et l'Homme Parfait pour le mystique.
Le soufisme a parfois été mis en opposition avec la religion formelle, attachée à la lettre, à l'aspect extérieur de la révélation, et qui constitue l'écorce de l'islam. En fait, il en est le complément, comme religion du coeur et de l'esprit, et comme dimension intérieure de l'islam. Le soufisme constitue la voie qui conduit de l'écorce au noyau, c'est-à-dire de la loi religieuse commune à tous les croyants (sharî'a) à la réalité, à la vérité transcendante, terme de la quête mystique. Le soufisme apparaît donc comme une voie initiatique qui ne s'adresse qu'à ceux qui sont prêts à renoncer au monde objectif et implique une mort suivie d'une renaissance, un dépouillement du moi en vue de laisser la place au seul Soi divin (en arabe : Huwa, "Lui").
Cette voie des derviches, c'est la tarîqa, à la fois chemin et confrérie, qui offre les moyens d'atteindre l'union avec Dieu. Le rattachement à une tarîqa s'effectue à travers la personne du shaykh, le maître qui en assure la direction spirituelle. Celui-ci doit avoir franchi toutes les étapes du périlleux voyage intérieur, afin de pouvoir à son tour guider ses derviches après les avoir initiés, c'est-à-dire leur avoir transmis la baraka, la grâce divine.
Pratiquement, la technique centrale de toute voie contemplative repose sur l'invocation, l'oraison, et le soufisme n'échappe pas à cette règle. Sa méthode est basée sur le dhikr ou mention, souvenir, remémoration ' sous-entendu de Dieu ' conformément à l'injonction coranique : "Ô vous qui croyez, invoquez souvent le nom de Dieu ! Louez-le matin et soir !" (33, 41-42).
Le terme dhikr dérive du syriaque dhukrana, ce qui indique que le principe existait avant l'islam. Les soufis, cependant, en ont fait une méthode tout à fait originale dont la pratique systématique est attestée dès le IXe siècle avec Abu Yazid Bastâmi (mort en 874) et surtout Sahl Tostari (mort en 896). La récitation des formules du dhikr s'appuie sur diverses techniques qui mettent en 'uvre le souffle et les mouvements du torse et de la tête. Il en résulte notamment une hyperventilation qui engendre un état de stupeur ou d'obnubilation qui favorise la concentration mentale.
Le dhikr consiste en la répétition incessante du Nom suprême, Allah, généralement accompagnée de la récitation d'autres noms désignant des qualités divines, tels que Hayy (le Vivant) et Qayyûm (le Subsistant). Le dhikr résume toute la voie : en s'immergeant totalement dans la répétition du nom divin, le derviche s'assimile à Lui, de sorte que l'invocant (dhâkir), l'Invoqué (madhkûr) et l'invocation (dhikr) ne font plus qu'un.
L'identité suprême est alors réalisée, transcendant toute dualité, toute limite, et réintégrant la nature primordiale et parfaite de l'être.
La conférie Qâdiriya
Né en 1077 dans une petite ville proche de la Mer Caspienne, 'Abd al-Qâdir al-Jîlâni s'établit à Bagdad à l'âge de dix-huit ans dans l'intention d'étudier le droit musulman.
Quand il a terminé ses études, il disparaît pendant trente-trois ans. La légende dit qu'il passe toutes ces années à méditer, retiré dans le désert. Il réapparaît à Bagdad vers 1127 pour occuper la chaire de son dernier maître, Abu Sa'ad al-Mubârak. Ses élèves lui construisent une habitation à l'endroit où il enseigne et ce lieu devient le premier ribât (couvent), le premier centre qâdiri de Bagdad.
Ses sermons attirent aussi bien des juifs, des chrétiens que des musulmans. Ils ont été consignés dans un livre intitulé La Conquête du Divin, qui demeure le principal ouvrage étudié au sein de la confrérie.
'Abd al-Qâdir al-Jîlâni meurt en 1166 à l'âge de quatre-vingt neuf ans et il est enterré dans son ribât, qui devient alors un lieu de pèlerinage encore très fréquenté de nos jours. Ses deux fils perpétuent son enseignement et lui donnent la mesure d'un véritable mouvement.
Au XVe siècle, cette confrérie est présente en Irak, en Syrie, en Égypte et dans toute l'Afrique du nord. La qâdiriya est aujourd'hui la plus grande confrérie du monde musulman. Elle se subdivise en de multiples branches portant chacune le nom de son fondateur. Celle qui nous intéresse ici est la khâlwatiya, fondée par al-Khâlwatî (mort en 1397).
Elle se répandit en Syrie et eut une grande renommée au XVIIe siècle. Plus connue sous son nom turc de Halvéti, elle se distingue par une retraite (khâlwa) de quarante jours afin de favoriser et de faciliter l'introspection, l'amour de Dieu, mais aussi l'éducation des âmes des murîdin ou apprentis mystiques. Cette retraite est encore régulièrement pratiquée chaque hiver.
Le dhikr de la Zawiya Hilaliya
À Jalloum, quartier populaire de la vieille ville d'Alep, le vendredi après-midi, avant la prière du couchant, les marchands et chalands du bazar se retrouvent pour un moment unique : le dhikr. Là, dans la salle de prière de la zawiya hilaliya, ils célèbrent ensemble le divin.
Tout comme les medersas, écoles religieuses destinées à abriter différents spécialistes des sciences religieuses, la zawiya est un lieu rattaché à une confrérie déterminée et réservé à la prière et à la méditation. Fondée en 1680 par le shaykh Hilal Ramî Hamdani, cette zawiya a toujours été dirigée par ses descendants qui sont enterrés dans la cour.
Aujourd'hui, elle est dirigée par le shaykh Jamal Eddine al-Hilali. Toujours fidèle aux préceptes du fondateur, l'enseignement de la théologie, des doctrines religieuses et de la pensée mystique y est encore assuré aujourd'hui.
Tout au long des différentes phases qui constituent la cérémonie, les formules scandées forment un socle sonore impressionnant sur lequel viennent se superposer les chants d'invocation et de louanges du munshîd, le chantre Muhammad Hakim. Son chant obéit aux règles de la tradition des modes, des rythmes et des formes musicales du Proche-Orient : mûwashshah, qad, shghul sûfi. Muhammad Hakim, élevé depuis sa plus tendre enfance dans un milieu mystique, a fait des études de théologie et appris les mûwashshahat (poèmes chantés de tradition savante) ainsi que le répertoire religieux avec les plus grands maîtres alépins. Il est devenu l'un des principaux chantres de la zawiya hilaliya.
Arwad Esber
ORDRE DU DHIKR DE LA ZAWIYA HILALIYA
1. Glorification du Sublime : ouverture
Ouverture du dhikr. Litanie sur la profession de foi :"Il n'y a de dieu que Dieu", prononcée par les officiants avec emphase. Récitation du soliste sur la litanie des officiants. Cette étape est suivie de la rakza,
2. Glorification du Sublime : Rakza
Intervalle musical consolidant la construction du dhik. Le munshîd chante des muwash - shahat, une qasîda et des louanges (mada'eh) pour préparer les officiants à l'extase.
3. Musaddar
Dérivé du mot sadar (poitrine) en raison du mouvement de torse des officiants. Répétition du nom d'Allah.
4. Maqsûm (partagé, réparti)
Les officiants répètent "Allahumma" (Ô mon Dieu), expression qui regroupe à elle seule les 99 noms de Dieu. Le mouvement de torse des officiants va de la droite vers la gauche, d'où le terme de maqsum.
5. At-taraqqî (élévation, ascension)
Les officiants répètent un vers sur l'éternité de Dieu, préexistant à toute chose et infini. et une prière : "Ô Toi qui réponds, nous te supplions d'exaucer notre demande".
6. As-sawi (d'après le nom d'un des shaykh de la tarîqa)
Répétition du nom d'Allah avec accompagnement des tambours daf. Le soliste improvise dans le style du hadi (pour stimuler les chameaux dans le désert) afin de mener les officiants vers la source.
7. Khummari (envahi par la fièvre, bouillonnant, faire lever la pâte)
Les officiants répètent : "Ô mon Dieu, nous implorons ta clémence dans nos épreuves. Ta clémence écartera les malheurs". C'est dans cette étape que les officiants atteignent en principe le summum de la pureté spirituelle, le wajd.
8. Dandana (bourdonnement)
Les officiants répètent le nom d'Allah en se balançant alternativement d'avant en arrière.
Le Festival de l'Imaginaire remercie M. Muhammad Qadri Dalal et M. Fateh Abou Zeid.
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2001-03-06
6-10 mars 2001
avec
Simon Singho Welabadage, leur maître
Chanteuse: Athapattu Mudiyanselage Shirani Jayanthimala Kumarihami
Musiciens: Koralegedara Gunaratna Banda, Koralegedara Herath Banda, P.M. Karunaratne Banda, K.G. Udaya Priyakumara Nuwan Ranjith Priyanga, Prasanna Rupathillake, Mahinda Gunasiri Walpita.
Trois danseurs guérisseurs des villages: Karunachchari Vidyaratna Fernando, Karunachchari Thompson Jayapala, Undugodage Ghanapala Rodrigo et Thajithangani, une de leurs élèves.
Il reste au Sri Lanka une poignée de danseuses, danseurs, tambours et guérisseurs qui connaissent encore les rituels, et qui s'efforcent de les transmettre. Ils maintiennent ainsi en vie, dans un pays déchiré par la guerre civile et fragilisé comme tant d'autres par la commercialisation du monde, un art à peine connu chez nous, les danses sacrées cinghalaises, ainsi que les danses dites thérapeutiques, dont la beauté, la grâce, la fougue rythmique sont telles, que depuis longtemps nous rêvions de vous les faire découvrir.
L'origine des danses du Sri Lanka remonte aux temps immémoriaux de ses tribus aborigènes et de ses démons. Une légende cinghalaise raconte que les Danses de Kandy naquirent il y a 2500 ans d'une cérémonie de magie qui désensorcela un roi possédé'
Il existe aujourd'hui trois types distincts d'écoles de danse au Sri lanka: celle de Kandy (dela région des collines), celle de Sabaragamuwa (du centre), et celle de la côte sud. Seules les danses de Kandy sont devenues typiquement cinghalaises, étroitement associées à l'idée de danse nationale. Pourquoi? Alors que le Sri Lanka a été successivement colonisé tout au long de son histoire, le Royaume des Collines résista à l'envahisseur étranger jusqu'en 1815. Dans cette région où demeurent les "arts presque oubliés", la danse se développa sous le patronage des rois et c'est grâce à la tradition orale qu'elle pu se propager à travers les villages. Sur les sons et les rythmes des tambours (symbole de la parole et de la magie), les danses se fixèrent sous plusieurs formes: Ves (la plus ancienne, magique), Naiyandi (danse de cour), Udeki (danse rituelle), Pantheru (jonglage et équilibre avec disques), Vannam (solos dansés sur des chants couvrant de nombreux thèmes, dont dix-huit "classiques").
Durant notre siècle, ces danses ont considérablement évolué sous l'impulsion de grand maître comme Chandralokha, l'homme de théâtre Seebert Dias, et surtout Chitrasena et son épouse Vajira. En gardant le mystère et la rigueur technique originelle, ces danseurs ont enrichi leur tradition par les influences venues de l'Inde du Sud (Bharata Natyam et Kathakali et par leurs recherches vers la danse contemporaine. Répondant à l'envie du peuple cinghalais, ils ont magnifiquement su adapter les formes de la danse ancienne à la représentation dramatique et au ballet.
Initialement réservées aux hommes (tandava) ces danses sont aujourd'hui aussi féminines (lasya). Elles allient force et grâce sur les rythmes innombrables des percussions. Le danseur de Kandy raconte une histoire mais n'utilise pas les mudras, comme dans la tradition indienne. Il peut incarner un animal dans son essence même, donner vie aux héros mythiques. Le répertoire est d'une richesse infinie.
Ravi Shankhar a demandé aux danseurs Vajira et Chitrasena de créer une chorégraphie sur sa musique. De nombreux artistes, comme Martha Graham, le mime Marceau, les étoiles russes, ont puisé à la source mystérieuse de ces danses.
L'entraînement traditionnel est d'une grande rigueur technique et s'effectue en musique, sur les douze rythmes de base: au départ, à la barre douze séries d'exercice orientent le danseur, la danseuse dans sa quête de l'équilibre et dans l'étude rythmique des pas, puis douze autres séries d'exercice dans l'espace permettent de rechercher les mouvements raffinés des bras et des mains, la virtuosité des pirouettes et des sauts, la vitesse des incroyables "tourbillons"' Le danseur, la danseuse acquiert un contrôle parfait de chacune des parties de son corps. Il, elle travaille géométriquement les trois dimensions de l'espace et c'est dans le code de ces danses pures qu'il, elle développe se propre créativité.
Khema de Costa a été initiée dès l'âge de 4 ans aux danses traditionnelles du Sud et à celles de la région de Kandy au sein des plus grandes lignées de maîtres cinghalais, tel que Simon Singho Welabadage. Par son style tandava (traditionnellement masculin) Khema recrée les anciens rituels tout en les adaptant aux techniques contemporaines qu'elle découvre en 1980.
Upeka da Silva est la fille du célèbre couple de danseur cinghalais, Chitrasena et Vajira. Elle se produit dès l'enfance sur les plus grandes scènes de monde au sein de la célèbre troupe dirigée par ses parents. Elle s'affirme rapidement en tant que soliste par son style, en mêlant habilement techniques traditionnelles, interprétation moderne et art dramatique. Aujourd'hui elle porte et perpétue la tradition des danses de Kandy comme danseus et maître, puisqu'elle dirige l'école de danse créée par son père.
PROGRAMME
1. Gajaba Vannama, danse de l'éléphant (Kandy)
Upeka et son élève.
Il existe dix-huit "vannams" ou danses expressives appartenant à la tradition de la danse kandyenne. On dit que ces "vannams" furent créer au XVIIIe siècle pour être présentées à la cour du Roi de Kandy, Sri Viraparakrana Narendrasinha. Ce roi mécène récompensait par des concessions et des dons de terres, les artistes les plus talentueux. Depuis les cieux Thauthissa, le Dieu Airavana, ayant remarqué qu'il n'y avait pas d'animaux sur terre, demanda à son propre fils de prendre la forme d'un éléphant et de descendre sur terre. Cette danse décrit la démarche majestueuse de l'éléphant célèste.
2. Gahaka Vannama, danse de la conque propice (Kandy)
Khema et son maître.
On pense que le Gahaka Vannama a été créé en utilisant les modèles mélodiques issus de la conque propice gardée dans les entrailles d'Indra, Dieu des dieux. On la joue pour annoncer dans tous les cieux l'installation d'Indra au jardins des plaisirs Nandana.
3. Kuveni Asne, danse de la lamentation de la princesse Kuveni (Kandy)
Upeka et Khema.
C'est une danse qui fait partie du rituel de guérison Kohombâ Kankâriya. Les versets chantés racontent la lamentation de Kuveni, l'épouse indigène de Vijaya, venu de l'Inde du Nord au VIe siècle anvant JC, et devenu roi de lanka. Après que Kuveni lui ait donné deux enfants, Vijaya la répudia pour se marier à une princesse de naissance royale du Sud de l'Inde. Rejetée par son propre peuple, et séparée de ses deux enfants, Kuveni se lamenta sur son sort dans la forêt. La coutume veut que tous les danseurs menés par le soliste ainsi que tous les joueurs de tambours participent à cette sequence qui dure normalement trois heures, donnant ainsi la possibilité à tous les artistes de montrer leur virtuosité et leur talent.
4. Kalu Yaka, le démon noir, danse masquée des villages de la Plaine du Sud. Rituel de guérison des maladies du poumon.
5. Bherivrunda, percussions traditionnelles des danses de Kandy
6. Talarata, modèles rythmiques de la danse Caturanga (Kandy)
Khema.
Le mor "caturanga" signifie littéralement: en quatre (catur) et parties (anga), qui représentent ici les 4 différents battements (4 temps, 2 temps, demi-ton et ton mineur). Ces mélodies rythmiques donnent la possibilité aux danseurs de montrer leur savoir-faire. La danse Caturanga utilise les "matras" (syllabes), les "padas" (combinaisons syllabiques), les "kastirams" et les "adavas" de la danse traditionnelle kandienne.
Les versets chantés contiennent un panégyrique du Roi Vira Parakrama Narendra Sinha, durant le règne duquel la musique connue sous le nom de "Prasasti" ou "Chants Panégyriques" a connu un rapide essor. Ces chansons étaient présentées au Roi par des danseurs de cour qui les accompagnaient de mouvements du corps en accord avec ce qu'ils voulaient exprimer.
7. Nritta Tharanga, danse issue d'un rituel de la Plaine du Sud
Upeka
8. Reeri Yaka, le démon rouge, danse masquée des villages de la Plaine du Sud
Rituel de guérison des maladies du sang.
Dans le rituel de guérison Sanni-yakuma, de la tradition des danses de la Plaine du Sud, on invoque les faveurs de cinq démons : Kalu, Reeri, Suniyam, Mahasona et Abhimana. Cette danse décrit le caractère de Reeri Yaka (ou démon) et les versets chantés énumèrent les différentes maladies créées par lui dans le corps humain.
Le démon Reeri est né d'un fleuve de sang dans le temple Lerastha Kovil de la région de Saurastra, à l'ouest de l'Inde. Pour obtenir ses faveurs, on lui offre les cinq couleurs (pañca-varnas) et les mets dont il est friand, afin qu'il guérisse le malade.
9. Mathra paha, danse des cinq pas rythmiques (Plaine du Sud)
Khema
Dans la tradition des danses de la Plaine du Sud, les cinq mélodies rythmiques font partie de l'apprentissage élémentaire. Chaque combinaison de pas s'arrête avec un "irratiya", qui correspond dans la danse kandyenne au "kasthiraya". Ces pas rythmiques sont essentiellement présentés pour montrer le talent et la beauté des danseurs. Ils sont aussi connus sous le nom de "ek-thalaya" (un battement), "dé-thalaya" (deux battements), "thun-thalaya" (trois battements), "nadan-duwa" (quatre battements), "siya-padaya" (cinq battements).
10. Bera, nada, chalana, danse mêlant les styles de Kandy et de la Plaine du Sud
Upeka
11. Dara, danse masquée des villages de la Plaine du sud
Danse rituelle de la fertilité
12. Kuveni Asne, danse de la princesse Kuveni (Kandy)
Upeka et Khema
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2000-06-23
23-25 juin 2000
Extases, lamentations chantées, transes, jeux animaliers...
La Fraja des Gharbawa.
Fraja est le terme utilisé pour toute veillée et a pour sens courant "spectacle".
Mais sa véritable signification marque le passage de l'obscurité à la lumière, une espèce d'état de grâce, de réjouissance du coeur et de paix de l'âme. Pour certains adeptes, il s'agit de "rafraîchir les os'"
Une veillée rituelle met en lumière le lien sacré entre l'homme, la musique et le divin. Elle propose une vision où mystique, danse et prière sont indissolublement liées et font de l'humain un ensemble cohérent : moments hors du commun où spiritualité, musique, thérapie et lien social forment un ensemble résonant qui fait monter les larmes, danser les feux du ventre, réveille "les génies endormis". Les gharbawa livrent ainsi un message d'espoir, d'ouverture, de réconciliation et de fraternité.
Originaires des plaines du Gharb (au nord-est de la ville de Meknès) qui leur ont donné leur nom, les gharbawa se sont regroupés très tôt autour de leur maître Sidi Mohamed Ben Aïssa dit Cheikh el-Kamel, le Maître parfait, un mystique de renom qui dispensait son enseignement et devint le saint patron de la ville de Meknès après sa mort vers 1526. La confrérie s'inscrit dans la lignée d'Al-Jazouli, fondateur du mouvement soufi au Maroc. Elle a développé au cours du temps un syncrétisme marqué par différentes traditions : soufie, berbère, négro-africaine.
Les gharbawa, appelés aussi aissawa ruraux, sont considérés comme les pères spirituels des aissawa citadins, plus connus en France. Ils se singularisent par une pratique ouverte et conviviale, une cohabitation intergénérationnelle et la participation des femmes au rituel.
La fraja est une mise en scène ritualisée qui comporte plusieurs parties au cours desquelles les adeptes de tous âges témoignent d'une extrême sensibilité à la dévotion, la musique et la danse, considérées comme autant de voies spirituelles. Chacun participe selon son potentiel affectif, ses émotions, sa foi, et insuffle ainsi son énergie propre et sa grâce (baraka).
L'ordre du rituel n'a qu'une valeur indicative ; il peut être modifié selon l'état dans lequel se trouvent les membres de la confrérie à un instant donné. Par exemple, le tahlil revient à plusieurs reprises dans le rituel. Il peut à un moment ou un autre provoquer un hal, état de transe au cours duquel le lion ou le chameau qui habite un membre du groupe va se révéler, ce qui imposera alors d'enchaîner avec la danse des lions ou celle des chameaux.
Ordre du rituel
(à titre indicatif)
Tahlil
Tejrid
Jeu animalier
Tahlil
Jeu animalier
Tahlil
Hizb
Tesdir
Heyt
Pendant les pauses qui jalonnent la veillée, une personne désirant formuler un v'u fait une offrande qui varie en général d'une dizaine à une centaine de francs. Elle peut alors annoncer son v'u à haute voix ou le formuler in petto.
Le collecteur d'offrandes propose alors un chant en retour. Ces chants sont très variables selon les circonstances, l'assistance et le v'u (pour une femme enceinte, la réussite d'un projet, surmonter un moment difficile, etc.). Il est fréquent qu'en de telles occasions, un personnage taquin amuse l'assistance en proférant des plaisanteries, des calembours voire des moqueries comme :
«Mais qu'est-ce que je fais donc parmi vous ? Ô mon Dieu, donnez-moi une jolie femme et du vin, que je quitte ces vieux tacots !"
Ordre du rituel (à titre indicatif) :
Le tahlil
Chants de la mémoire et voie des pleurs
Le tahlil est à l'origine une prière du soir. Il revient à plusieurs reprises dans le rituel sous la forme d'une joute chantée entre plusieurs chanteurs et chanteuses qui se répondent assis ou debout, une main placée en coquille contre l'oreille afin de mieux s'entendre. Les thèmes portent sur l'absent ou la transformation
"Hier tu étais mon enfant, aujourd'hui tu es mon voisin". Moments intenses, magie de la parole qui devient histoire et émotion. Une émotion qui délie les coeurs pour laisser place à "la voie des pleurs".
Le tejrid
Danse initiatique et extatique
Danse de prédilection des gharbawa, il s'agit d'une danse solennelle et majestueuse où danseurs et musiciens se relayent tout au long de séries de figures et d'arrêts. Les mouvements du corps sont linéaires ou tournoyants. La musique des hautbois ghayta et des tambours tbal et bendir peut-être puissante et percutante ou au contraire discrète et sourde, auquel cas les hautbois sont remplacés par des flûtes en roseau qasba.
Les jeux animaliers
Probablement très anciens, les jeux animaliers pourraient être la trace d'influences chamaniques.
Jeu des lions
Cette partie du rituel est fondée sur la relation lions/chacal/lionnes, le chacal étant considéré comme la progéniture des lionnes.
Les lions ouvrent le jeu animalier en rugissant et en dansant un étrange ballet.
Puis les lionnes arrivent à quatre pattes et se rangent, serrées les unes contre les autres, face aux lions. À plusieurs reprises, les mâles s'avancent vers les lionnes et échangent avec elles jeux de mains et cris.
Le chacal prend discrètement place, accompagné de son frère. Ils attendent accroupis. Les lions leur donnent symboliquement la mort en les couchant par terre, puis tournent autour d'eux en dansant et en se lançant vers eux pour vérifier s'ils sont bien morts. Enfin, les lions font rouler les chacals vers les lionnes en les poussant du pied. Celles-ci protègent les chacals, qu'elles traitent comme leur progéniture, en les tenant sous leurs cuisses hors d'atteinte des attaques des lions. Les chacals peuvent alors s'échapper. Le jeu entre les lions et les lionnes se prolonge encore un peu avant de s'achever par une réconciliation générale.
Jeu des chameaux
Une femelle, les bras croisés dans le dos figurant la bosse de l'animal, ouvre le jeu en blatérant d'une façon déchirante. D'autres femelles viennent se joindre à elle en s'alignant à quatre pattes. Les mâles se rassemblent peu à peu pour former un cercle. Tantôt ils tournent autour des femelles en exécutant diverses figures, tantôt ils paradent entre eux, criant et frappant du pied. La danse se termine elle aussi par une accolade générale.
Le hizb
Chant mystique collectif à la gloire de Dieu et de ses saints : «Je place ma confiance en l'Éternel qui ne périt jamais. Il est présent parmi nous par la science qui embrasse toutes choses, l'ouïe éternelle, la vue éternelle, la puissance éternelle' Que soit présente parmi nous la grâce d'Iliyas, de Jonas, des gens de l'est, de l'ouest, du nord et du sud."
Le tesdir
À la fin du hizb, les adeptes s'agenouillent en cercle et entonnent le zikr ul-Lah (litanie répétitive sur le nom d'Allah) tout en se frappant la poitrine. Le rythme s'accélère jusqu'à l'extase collective. Peu à peu, ils se dénudent le torse, les mains claquant alors à même la peau.
Le heyt
Le rituel s'achève par de courtes danses de divertissement dans lequelles chacun improvise figures et postures.
ISMAIL SMOUNI
La confrérie des gharbawa est dirigée par le chef spirituel (moqaddem) Faraji Diyae
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2000-03-23
23-26 mars 2000.
Dans le cadre du European Network for World Cultures, avec le concours des Ateliers d'Ethnomusicologie (Genève), de l'Alliance Française de Trivandrum (Kerala). Coordination Ravi Gopalan Nair.
Cette tournée constitue la première invitation d'un tirayattam hors du Kerala. La troupe présentée est le Edakote Tirayatta Kala Samithy, dont les membres ont été formés au tirayattam par Shrî Appukutty Asan, son seul maître actuel. Etant aujourd'hui trop âgé pour voyager, il en a confié la responsabilité à son fils et successeur Rajan Edakkotu.
Une douzaine de musiciens et de danseurs présenteront une version nécessairement condensée des principales phases de ce rituel spectaculaire, qui dure ordinairement une à trois nuits. Dieux et déesses, héros, ancêtres et bouffons, les personnages du tirayattam nous invitent à découvrir un monde d'une extraordinaire luxuriance, à la fois totalement ritualisé et d'une profonde originalité artistique. La beauté des costumes, des coiffes et des maquillages rivalisent avec la complexité des rythmes qui les animent.
Les villages du Kerala comportent plusieurs sanctuaires appelés kavu, dédiés à diverses divinités. Chaque caste ou communauté possède le sien, dont les rites et l'entretien sont assurés par un responsable local. D'apparence souvent modeste, ces sanctuaires sont parfois rattachés à une maison familiale; ils sont alors situés à l'angle sud-ouest de la propriété. Dans les sanctuaires où le tirayattam est représenté, l'image des dieux est remplacée par leurs armes et leurs attributs rituels, qui seront utilisés par les danseurs lors du rituel.
Le tirayattam est un rituel dans é organisé chaque année dans les sanctuaires villageois du Malabar. Il est centré sur le culte du dieu Shiva et de la déesse Kâli (ou Bhadrakâlî), dont différentes formes sont incarnées par les danseurs. Des animaux mythiques, des héros et des ancêtres familiaux y sont aussi représentés. Chaque tirayattam comporte ses propres rites, transmis localement de génération en génération.
Tira signifie "rayonnement" ou "présence", et attam "danse". Lors du rituel, le dieu ou la déesse est considéré comme présent dans le corps du danseur, dont le maquillage élaboré, la coiffe et le costume reproduisent l'apparence. Extrêmement colorés, ceux-ci utilisent les cinq couleurs traditionnelles: le rouge, le vert, le jaune, le noir et le blanc, appliquées selon une esthétique immuable.
Le tirayattam est l'apanage des vannan ou peruvannan, une caste faisant partie des communautés "intouchables" du Kerala. Leurs autres attributions relèvent de la médecine ayurvédique (pour les maladies physiques) et de la médecine tantrique (pour les affections psychiques). La formation au tirayattam se transmet de façon purement orale: dès leur petite enfance, les garçons commencent par assister aussi fréquemment que possible au rituel afin de se familiariser avec le déroulement de ses différentes phases et d'observer les mouvements corporels et les expressions faciales des danseurs. L'enseignement proprement dit débute vers l'âge de douze ans et comporte, outre la danse, le jeu des tambours et le chant, des techniques destinées à fortifier le corps telles que le massage, et les arts martiaux.
Déroulement du rituel
Le turayattam se déroule toujours selon un ordre général invariable; il commence par l'allumage des lampes à huile de chaque autel et l'invocation du dieu Ganapatî. Vocale ou instrumentale, la musique est constamment présente dans le rituel. Les instruments utilisés sont un petit hautbois (kurumkuzhal), une paire de cymbales (ilatâlam), deux sortes de tambours tubulaires (chenda), l'un aux timbres aigus et l'autre aux sonorités graves, et un petit tambour en forme de sablier (tudi). La musique du tirayattam repose sur une polyrythmie très complexe réalisée par l'ensemble des tambours et des cymbales sur l'accompagnement du hautbois. Chaque tira (divinité incarnée) a son chant propre appelé tôttam, qui décrit sa vie, les circonstances de sa mort, ses qualités particulières, ainsi que sa relation avec le santuaire où se passe le rituel. On attribue aux paroles de ce chant le pouvoir de "réveiller" l'esprit du tira et de l'inviter à s'incarner dans le corps du danseur.
Le tirayattam dure toute une nuit et comporte trois phases:
-vellattam, la "danse de l'enfance" dans laquelle sont représentés des épisodes de la jeunesse des principaux dieux, héros et ancêtres incarnés par les danseurs.
-tirayattam, la "danse de la splendeur", toujours interprétée en pleine nuit, qui évoque les événements marquants de l'âge adulte des tira. Ils y apparaissent dans la plénitude de leur accomplissement, manifestée par celle de leur maquillage, de leur costume et de leur coiffe. Leur danse est la plus longue et la plus spectaculaire du rituel.
-chantattam, la phase terminale du rituel, dans laquelle sont dépeints la vieillesse du tira et son décès, ou plutôt son retour au séjour des dieux. La fin du chantattam marque aussi celle du "temps rituel" et le retour au "temps ordinaire".
I. Vellattam
Kavunarthal: Invocation et rites initiaux devant l'autel (moni pandal), accompagné du jeu des percussions (melam).
Odakku: Chant du tôttam, qui est un hommage poétique à chacune des divinités qui seront incarnées. Par le tôttam, le dieu ou la déesse est invité à s'incarner dans le corps du ou des danseurs (la même divinité pouvant être incarnée par deux danseurs). Le front du danseur est ensuite ceint d'un tissu sacré.
Vellattam: Le danseur apparaît, présente ses offrandes, et on le coiffe de son ornement frontal (aniyalam), signe de la présence de la divinité qui s'incarne en lui. La danse peut alors avoir lieu; elle se termine lorsque le danseur ôte sa couronne. Le vellattam est interprété par deux danseurs à l'apparence identique.
II. Tirayattam
Sandhyavela: Invocation instrumentale par les tambours (chenda), les cymbales (ilatâlam) et le hautbois (kurumkuzhal).
Entrée du tira: Lorsqu'il se présente, chaque tira reçoit une offrande de riz et de fleurs. Sa danse représente les épisodes marquants de la vie du dieu qu'il incarne.
Panthalattam: Danse et chant de louange des musiciens autour d'une lampe à huile.
III. Chantattam
Dernière partie du rituel, représentant la fin de la vie terrestre du dieu ou de la déesse par des mouvements extatiques. Trois ou quatre assistants entourent les danseurs, ils retirent leurs attributs à la fin de la danse puis répandent sur leur corps une substance noire appelée chantu. Enfin ils appliquent leurs mains sur la surface du sanctuaire, qui est fermé.
Laurent Aubert et Ravi Gopalan Nair
Chacune des représentations présentera un programme différent. Durée 1h20.
Jeudi 23 mars
Vellattam
-Kavunarthal (invocation, hautbois et percussions)
-Odakku, chants de louanges aux dieux invités. Le front du danseur est ensuite ceint d'un tissu neuf, offert par la famille propriétaire du sanctuaire; cela signifie que l'assistance considère les danseurs comme suffisamment purs pour pouvoir incarner les divinités.
-Karumakan Vellattam. Jeunesse de Karumakan, le "fils de Shiva", est né dans la forêt au cours de la retraite de Shiva et de son épouse Pârvatî. Il est représenté par deux danseurs.
Tirayattam
-Sandhyavela (invocation instrumentale).
-Bhadrakâli Tira. Forme de la déesse Kâlî, Bhadrakâlî est née du troisième oeil de Shiva afin de détruire le démon (asura) Darika.
-Panthalattam. Danse et chant de louange des musiciens.
-Karumakan Tira. Plénitude de Karumakan.
Chantattam
-Karumakan Chantattam. Vieillesse de Karumakan, retour au séjour des dieux.
Vendredi 24 mars
Vellattam
-Kavunarthal (invocation, hautbois et percussions)
-Odakku, chants de louanges aux dieux invités. Le front du danseur est ensuite ceint d'un tissu neuf, offert par la famille propriétaire du sanctuaire; cela signifie que l'assistance considère les danseurs comme suffisamment purs pour pouvoir incarner les divinités.
-Kariyattan Vellattam. Jeunesse de Kariyattan, Kariyattan (kari = noir) est une incarnation de Shiva en tant que chasseur aborigène vivant dans la forêt. Cette forme de Shiva est caractéristique du tirayattam et de la culture religieuse de cette région du Kerala. Son animal de prédilection est le cochon sauvage. Ses armes sont la lance, la massue et le bouclier. La danse évoque les jeux enfantins de la divinité.
A la fin du vellattam, les danseurs déposent leurs coiffes devant le sanctuaire, prennent la parole pour raconter comment la divinité a élu domicile dans ce sanctuaire, puis concluent par des paroles de bénédiction et des offrandes.
Tirayattam
-Sandhyavela (invocation instrumentale).
-Pookutty Tira, Karimkutty Tira, Guru. Un couple de basse caste travaillant au sservice d'une riche famille de brahmanes a un fils. Celui-ci a les yeux rouges et est doté d'une force surhumaine, qu'il emploie à combattre l'injustice. Terrorisé par le jeune garçon, le maître de céans décide d'organiser un grand sacrifice: il fait allumer vingt-et-un feux et y jette le corps de l'enfant découpé en trois cent quatre-vingt dix morceaux. Du feu sacré surgissent trois cent quatre-vingt dix formes de l'enfant, parmi lesquelles Pookutty, qui se manifeste en tant que fleur, et Karimkutty qui a la couleur du charbon. Tous deux sont vénérés dans le tirayattam en compagnie de Guru, le maître qui leur a appris les saintes Écritures .
-Panthalattam. Danse et chant de louange des musiciens. Le tabouret autour duquel se placent les musiciens figure une lourde pierre à moudre sur laquelle certaines divinités peuvent venir prendre place.
-Kariyattan Tira. Plénitude de Kariyattan. Contrastant avec la dimension enfantine du Kariyattam Vellattam, cette danse exprime dans une première partie la colère et l'humeur combative de la divinité, tandis que la seconde partie, qui débute par un changement de coiffe, révèle la dimension paisible et compatissante de son caractère.
Chantattam
-Kutty Chantattam et Karimkutty Chantattam. Vieillesse et retour au séjour des dieux de Pookutty et Karimkutty.
Samedi 25 mars
Vellattam
-Kavunarthal (invocation, hautbois et percussions)
-Odakku, chants de louanges aux dieux invités. Le front du danseur est ensuite ceint d'un tissu neuf, offert par la famille propriétaire du sanctuaire; cela signifie que l'assistance considère les danseurs comme suffisamment purs pour pouvoir incarner les divinités.
-Kullavan Vellattam. Kullavan est né de Shiva à un moment funeste selon l'astrologie. L'enfant fut donc caché dans un panier et enterré vivant. Un couple d'aborigènes à la recherche de racines comestibles le découvrit et décida de l'adopter. Rapidement devenu d'une force exceptionnelle, Kullavan tua ses parents et ses maîtres. Il quitta alors la forêt et erra dans le monde, ne se nourrissant que de viande crue et d'alcool. Kullavan est vénéré par ceux qui désirent avoir des enfants en bonne santé.
A la fin du vellattam, les danseurs déposent leurs coiffes devant le sanctuaire, prennent la parole pour raconter comment la divinité a élu domicile dans ce sanctuaire, puis concluent par des paroles de bénédiction et des offrandes.
Tirayattam
-Sandhyavela (invocation instrumentale).
-Karimkâlî Tira. Karimkâlî ("Kâlî noire") est la forme sous laquelle la déesse tue son démon (asura Rakta Bîja. Elle est vénérée comme l'équivalente de Sarasvatî, la déesse de la connaissance.
-Panthalattam. Danse et chant de louange des musiciens. Le tabouret autour duquel se placent les musiciens figure une lourde pierre à moudre sur laquelle certaines divinités peuvent venir prendre place.
-Kullavan Tira. Plénitude de Kullavan.
Chantattam
-Kullavan Chantattam. Vieillesse de Kullavan, retour au séjour des dieux.
Dimanche 26 mars
Vellattam
-Kavunarthal (invocation, hautbois et percussions)
-Odakku, chants de louanges aux dieux invités. Le front du danseur est ensuite ceint d'un tissu neuf, offert par la famille propriétaire du sanctuaire; cela signifie que l'assistance considère les danseurs comme suffisamment purs pour pouvoir incarner les divinités.
-Villy Vellattam. Villy est la forme de Shiva en tant que destructeur universel. Lors de la retraite du prince Arjuna (héros du Mahâbhârata) dans la forêt, Shiva se présenta à lui, accompagné de son épouse Pârvati, sous la forme d'un roi tribal. Avant de lui confier une nouvelle arme qui l'aiderait dans sa lutte contre ses ennemis (le clan des Kauvara), Shiva désire tester la force d'Arjuna et le défie donc en duel. Au cours du combat, Arjuna frappe la tête de Shiva de son arc (ville), provoquant la naissance de Villy, "l'archer" reconnaissable à l'arc et à la flèche peints sur son front
A la fin du vellattam, les danseurs déposent leurs coiffes devant le sanctuaire, prennent la parole pour raconter comment la divinité a élu domicile dans ce sanctuaire, puis concluent par des paroles de bénédiction et des offrandes.
Tirayattam
-Sandhyavela (invocation instrumentale).
-Odakâlî Tira. La déesse Kâlî connaît de multiples formes. Celle de Bhadrakâlî naquit du troisième oeil de Shiva pour d"truire le démon Darika. Au moment de la tuer elle prit la forme de Raktaswari ("la sanguinaire"). Enfin après avoir tué Darika, elle devint Odakâlî ("Kâlî des bambous"): incapable de contrôler sa furie, elle frémissait si fort que toute la terre se mit à trembler. Brahma, le dieu de la création, apparut alors devant elle et, afin de l'apaiser, lui conféra cent un noms et lui offrit une résidence dans la forêt de bambous.
-Panthalattam. Danse et chant de louange des musiciens. Le tabouret autour duquel se placent les musiciens figure une lourde pierre à moudre sur laquelle certaines divinités peuvent venir prendre place.
-Villy Tira. Plénitude de Villy dans son âge adulte.
Chantattam
-Villy Chantattam. Vieillesse de Villy, retour au séjour des dieux.
Dossier avec photos de Laurent Aubert et article en anglais (sous forme d'interview qui a eu lieu en 1979 de Shri Kalidasan) dont la référence n'est pas connue sur le tirayattam.
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2000-02-06
Le centre culturel de d'information de Taïpei et la Maison des Cultures du Monde présentent La Parade du Dragon Taïwanais. 6 février 2000 à 15 heures devant le centre Pompidou.
A Taïwan, l'an 2000 est placé sous le signe du Dragon. Pour les 22 millions d'habitants de l'île, le dragon n'a rien d'un animal maléfique. En tant que divinité de la pluie, il est le garant de récoltes importantes et donc porteur de bienfaits. Mais il reste aussi, depuis des millénaires, indissociable de la culture chinoise et les habitants de Taïwan peuvent avec fierté se considérer comme fils du dragon. Là-bas, il n'est pas un temple qui ne soit protégé par un ou plusieurs dragons et chaque fête est l'occasion de faire "danser le dragon" pour s'assurer bonheur et paix.
La progression du dragon est conditionnée par les mouvements de l'énorme perle agitée devant lui et qu'il s'efforce d'attraper. On dit que cette perle représente la lune et que la gloutonnerie du dragon provoque parfois des éclipses. Quoiqu'il en soit, la danse du dragon est toujours accompagnée des sons joyeux et effrayants du tambour et du gong, indispensables à toute fête populaire. Pour fêter le début de l'Année du Dragon, quelque 40 jeunes gens de la section Acrobaties de l'Ecole nationale d'Opéra traditionnel chinois de Taïwan viennent présenter pour la première fois à Paris et dans l'Oise, outre un spectacle d'acrobaties, un dragon de 38 mètres et ne nécessitant pas moins de 15 "porteurs". Avec le concours de l'Association pour la Promotion des Echanges Culturels du Conseil Général de l'Oise, le dragon taïwanais sera le 7 février à Beauvais et le 9 à Compiègne. Parallèlement et jusqu'au vendredi 31 mars, le Centre Culturel de Taïpei à paris, expose dans ses salons sculptures, peintures et calligraphies, populaires et traditionnelles, relatives au dragon.
Tradition et renouveau.
L'Ecole nationale des Arts scéniques de Taïwan est née en juillet 1999 de la fusion des deux meilleures écoles d'opéra chinois traditionnel: l'Ecole expérimentale de Théâtre traditionnel Fu-Hsing et l'Ecole Kuo-Kuang des Arts de la Scène. Elle est la première école du spectacle du pays qui offre un cursus complet. Ses élèves, recrutés dès l'âge de neuf ans, peuvent y recevoir durant dix années une formation approfondie en opéra chinois (de Pékin, du Henan, taïwanais et hakka), en danse, en acrobatie, en musique traditionnelle et dans les diverses techniques de la scène.
Afin de former des artistes de haut niveau, l'Ecole nationale des Arts scéniques de Taïwan s'efforce de dispenser à la fois un enseignement pratique mettant en oeuvre les techniques du spectacle et un enseignement théorique privilégiant la culture générale et la littérature. Elle vise ainsi à permettre à ses élèves aussi bien de s'insérer dans la grande tradition chinoise su spectacle que de faire preuve de créativité et d'innover.
Troupe de la section cirque et acrobatie de l'Ecole nationale des Arts scéniques de Taïwan.
Les quelque quarante membres de la troupe, quoique fort jeunes, ont tous derrière eux une formation intensive d'au moins huit années. Le directeur de la troupe est le célèbre prestidigitateur et illusionniste Lo Fei-Hsiung.
Par leur adresse et leur étonnante énergie, les acrobates de la troupe savent susciter l'intérêt d'un vaste public et plaire aussi bien aux enfants qu'à leurs aînés. La troupe de la section cirque et acrobaties s'applique à mieux faire connaître et apprécier ces arts populaires traditionnels que constituent l'acrobatie et la jonglerie. Pour ce faire, elle effectue des tournées dans l'ensemble de l'île et se produit dans les villages de montagne les plus reculés. Sur l'initiative des autorités de Taïwan, elle présente son spectacle également à l'étranger, confortant ainsi l'image pacifique de chaleureuse du pays. En mêlant opéra, numéros de magie et acrobaties, elle a ainsi récemment su séduire le public nord-américain lors d'une tournée de 55 représentations au Canada et aux USA. Souhaitons qu'elle connaisse le même succès auprès du public français!
La Danse du Dragon
Origines de la danse du dragon.
Le dragon, animal imaginaire s'il en est, est mentionné depuis la plus haute Antiquité chinoise. Le langage populaire en garde le souvenir avec l'adage: "La Tigre soulève le vent, le Dragon apporte la pluie". Durant les périodes de sécheresse, on plaçait jadis des effigies de dragon devant les temples pour appeler la pluie. Mais à partir de quelle époque le dragon a-t-il été intégré aux festivités de Nouvel An et aux grandes cérémonies votives? Un poème intitulé "Lanternes allumées" de l'empereur Jian-Wen (371-372) témoigne par deux vers de la pratique, dès cette époque, de la danse du dragon: "Silhouette de vannerie de bambou, dragon de roseau tressés".
On trouve par ailleurs dans le "Recueil des dits, rites et coutumes de Wu-Jin" le passage suivant: "Avec une armature de bambou et une étoffe de soie, on construit un dragon constitué d'une dizaine à quelques dizaines de sections. Une dizaine de solides gaillards le tiennent par des poignées et le font danser. Il s'enroule sur lui-même et se tord, puis d'un mouvement rapide de sa carapace prend son envol. Il se meut au Nouvel An au son du gong et du tambour. C'est ce que l'on nomme "mouvoir le dragon-lampion" Devant lui on agite une boule dont il suit tous les mouvements. C'est ce que l'on nomme "le jeu du dragon et de la perle". Durant les cinq premiers jours, on peut voir, à l'intérieur et à l'extérieur des temples, toutes sortes de dragons qui vont et viennent, telle la navette d'un métier à tisser. Lorsque la danse du dragon a lieu le soir, on parle de "dragon-lampion nocturne". "Les "Annales des merveilles de Kaifeng", chronique de l'époque des Song, évoque également les festivités de la Fête des Lanternes en ces termes:"'à droite et à gauche, sur les battants des portails, l'effigie d'un dragon faite de branchages attachés et tendus d'une toile verte. Le tout est surmonté d'innombrables bougies. A regarder les sinuosités de cette silhouette, on croirait voir un dragon qui s'envole'". De nos jours encore, la danse du dragon est pratiquée partout où vivent des communautés chinoises. Dans "l'Elégie de Chang-An", Zhang Heng évoque "les bêtes gigantesques qui partout sont en quête". Sans doute mettait-on jadis en scène toutes sortes d'animaux. Aujourd'hui encore, la danse du dragon est concurrencée par celle du lion.
La danse du dragon est semblable à celle du lion. Elle est également un reste de cérémonies votives d'autrefois. Elle vise en premier lieu à protéger hommes et bétail des maladies, mais elle possède aussi d'autres vertus car le dragon est dans la conscience collective des Chinois un animal de bon augure, un être sacré qui inspire le respect. En tant que maître de la pluie, le dragon assure des récoltes abondantes et donc la prospérité et le bonheur.
Déroulement de la danse du dragon.
A Taïwan, chaque fête religieuse ou non, est l'occasion de faire danser le dragon. Dans la plupart des cas, cette danse se déroule devant un temple. Les quatre accessoires nécessaires sont la "perle du dragon"", la tête, le corps et la queue du dragon. Chacun d'entre eux est tout d'abord dessiné, puis assemblé, encollé, peint, et pourvu d'ornementations avant d'être réuni aux trois autres. Le corps du dragon est généralement constitué soit de neuf sections, soit de douze, soit de vingt-quatre. Le chiffre neuf, par référence à une expression idiomatique, signifie ici innombrables (division de temps). Les douze sections symbolisent les 12 mois de l'année solaire alors que les vingt-quatre sections symbolisent les 24 périodes du calendrier lunaire. Le dragon peut être doré, argenté, vert ou rouge. Son corps est recouvert d'une pièce de tissu blanc émaillé de couleurs vives. Chaque section du dragon est pourvue d'une hampe qui permet de la porter. Pour animer le dragon de façon harmonieuse, il convient que chacun des porteurs agisse en synchronisation parfaite avec les autres. Celle-ci est bien sûr le fruit d'une longue pratique et d'un véritable esprit d'équipe.
Les mouvements du dragon sont guidés par la perle, boule de tissu bariolé que l'on agite devant lui. En tentant de s'en emparer, le dragon est amené à tourner sur lui-même ou encore à sauter comme pour s'envoler. Le bruit des pétards ouvre la marche que clôt celui des gongs et des tambours. La danse du dragon peut comprendre les séquences suivantes:
1. Le dieu dragon descend sur terre
2. Offrande au dragon droit
3. Offrande au dragon faste
4. Le dragon se tord pour attraper la perle
5. Le dragon d'or se fait des volte-face
6. Les mille méandres du dragon
7. Le dragon des Sept Mers
8. Les deux dragons de la Fortune
9. Le dragon d'or agite sa queue
10. Apothéose du dragon
PROGRAMME
1. Plus haut que le drapeau
Comme mus par des ressorts, des garçons et des filles s'envolent et virevoltent en des sauts acrobatiques incessants au-dessus d'un vaste drapeau bariolé de 2 mètres sur 2 mètres cinquante que d'autres danseurs agitent.
2. Jolies jambes qui jonglez sans gêne
Dans ce brillant numéro d'antipodistes, les acteurs, seuls et en groupe, jonglent avec des objets empruntés à la vie quotidienne: jarres, tonneaux, tables, échelles et perches.
3. A ne plus savoir où donner de la tête
Un bol qui tourne au bout d'une tige de bambou: il n'y a pas de quoi en faire un plat. Mais quand il y en a plusieurs et que le premier lancé menace de tomber alors que le dernier commence juste à tourner, il convient de se dépêcher pour éviter une catastrophe.
4. A la mode de chez nous
Un panorama folklorique de Taïwan où, à travers danses, chants et jeux pleins de dextérité, se manifeste aussi bien la culture aborigène que celle de la population chinoise.
5. Habiles, fragiles, subtiles et graciles
Tableau séduisant de charmantes jeunes filles qui dansent, se déhanchent et prennent les poses les plus acrobatiques tout en faisant tourner des assiettes sur des tiges de bambou.
6. Equilibre précaire
Prenez une table sur laquelle vous placez quatre ou huit bouteilles. Placez sur ces dernières un bon nombre de chaises et asseyez-vous tranquillement sur le tout. C'est ce que fait l'acrobate équilibriste qui réalise ce numéro. Personnes émotives s'abstenir.
7. Vif comme l'éclair
En équilibre instable sur une planche posée sur un cylindre, l'artiste effectue de rapides mouvements latéraux de va-et-vient; on pourrait croire que de ses deux mains balanciers il narre une histoire, celle de la liberté du corps qui semble faire fi des contraintes de la pesanteur.
8. Pièce montée
Tous les membres de la troupe, garçons et filles, se retrouvent sur la scène en un ensemble coordonné qui se dresse en pyramides humaines et autres figures saisissantes.
6 photos
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1999-06-05
Samedi 5 juin 1999
La confrérie soufie des Aïssawa de Meknès a pris naissance au XVIe siècle sous l'impulsion de Sidi Mohammed Ben Aissa, appelé aussi Cheikh al-kamel (le cheikh parfait). On raconte qu'à sa mort, un de ses disciples bouleversé entra en transe et lacéra ses vêtements et son corps, puis dévora tout crus un mouton et une chèvre. Cette légende tend à justifier deux pratiques propres à cette confrérie: la hadra ou transe collective et la frissa qui consiste à dévorer un animal vivant (pratique que l'on trouve également dans certaines cérémonies de possession de l'Afrique occidentale).
La fête (moussem) la plus importante des Aïssawa a lieu chaque année à proximité du sanctuaire. Toutefois, les Aïssawa organisent également des cérémonies nocturnes (lila) dans les maisons afin de célébrer un événement heureux ou au contraire de résoudre un problème familial ou communautaire.
La cérémonie a donc plusieurs fonctions. Non seulement elle a pour but de favoriser l'union du fidèle avec Dieu à travers le dhikr, suite de chants, d'invocations et de danses menant à l'extase, mais on lui reconnaît également des vertus thérapeutiques, ce qui la relie à toutes les pratiques maraboutiques que l'on peut observer au Maghreb.
La cérémonie comprend six phases distinctes :
le hizb, suite de versets coraniques et d'oraisons écrites par le Cheikh al-kamel et quelques-uns de ses disciples,
le dhikr, au cours duquel le choeur des membres de la confrérie répond au chanteur soliste, soutenu par les instruments.
le horm (pardon) et l'ahadun (l'unique), chantés et dansés
la hadra, danse composée d'un balancement continu, qui se fonde sur deux rythmes bien différenciés, le rebbani qui accompagne une danse très "physique" et le mjarred (rythme à 5 temps) qui accompagne une danse plus majestueuse.
la cérémonie prend fin avec une invocation de Dieu.
Pendant la cérémonie, le moqaddem, chef spirituel de la confrérie (Lamrabet Driss), peut recevoir des dons des personnes qui assistent mais qui ne participent pas au rituel et souhaitent que des prières et des v'ux soient prononcés pour un malade, un prisonnier, une femme enceinte, etc.
Les instruments utilisés sont les hautbois ghayta, les petits tambours-calices ta'rija, le grand tambour tbel et le petit tambour sur cadre à cymbalettes bendir.
La confrérie Aïssawa de Meknès n'est pas inconnue du public français. Présentée à deux reprises par la Maison des Cultures du Monde, elle a également été invitée au Cirque d'Hiver par l'Institut du Monde Arabe. Elle est reconnue pour être, sous la direction spirituelle de son chef Lamrabet Driss, l'une des confréries qui a su le mieux préserver la tradition aïssawa.
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1999-03-04
4 au 6 mars Centre Culturel Jacques Duhamel, Vitré
7 mars Le Triangle, Rennes
10 mars Théâtre Duchamp-Villon, Rouen
11 au 14 mars Musée national des Arts d'Afrique et d'Océanie, Paris
16 mars L'Heure bleue, Grenoble
Une manifestation organisée par la Maison des Cultures du Monde en collaboration avec Afrique en Créations
Arte
Association Vitré'Djenné
Centre Culturel Jacques Duhamel, Vitré
Le Triangle, Rennes
Musée de l'Homme
Musée national des Arts d'Afrique et d'Océanie, Paris
Théâtre Duchamp-Villon, Rouen
38e Rugissants, Grenoble
Ville de Rennes, Ville de Vitré
Peuple devenu emblématique par le mystère dont ils surent et savent encore s'entourer, les Dogon vivent enclavés dans une région rocheuse du centre du Mali, entre plaine et plateau, accrochés à la falaise de Bandiagara dont la hauteur varie entre quatre cents et sept cents mètres et qui s'étend en longueur sur plus de deux cent cinquante kilomètres. Venus du pays mandingue, à cheval sur la frontière du Burkina Faso et du Mali, les Dogon, émigrants conquérants, chassèrent les habitants troglodytes de la falaise de Bandiagara, les Tellem, et s'installèrent dans leurs abris rocheux. Ilstransformèrent les habitations des Tellem en tombeaux et bâtirent de caractéristiques villages en banco ponctués par les greniers à mil au toit pointu. Vivant à l'origine en plaine, ils ont dû, pour s'adapter à la vie de la falaise, faire face à une situation traumatique. L'ethnologue français Marcel Griaule a révélé une partie du secret de leur cosmogonie. Il semblerait qu'une cohérence peu commune puisse s'établir entre le langage, la musique et la danse, l'architecture, le tissage, les masques, le comportement des vivants et le culte des morts. Les Dogon, chasseurs et pêcheurs, cultivent depuis peu de minuscules jardins d'oignons. Ils connaissent parfaitement les propriétés botaniques de la brousse aride des cercles de Bandiagara, Koro et Bankass et maîtrisent la pharmacopée traditionnelle. Ils se mêlent assez peu aux autres peuples du Mali. Comme pour beaucoup d'autres groupes du pays, la musique et la danse religieuses des Dogon paraissent liées à un calendrier saisonnier pendant lequel sont pratiqués les rites des ancêtres, les rites funéraires et les rites agraires.
Un événement extraordinaire rythme la vie de l'homme Dogon : le sigi. Il s'agit d'un grand rituel pratiqué tous les soixante ans. Tout homme peut assister à un sigi. L'homme particulièrement chanceux voit deux sigi et l'homme extraordinaire assiste à trois sigi : le premier lorsqu'il est encore dans le ventre de sa mère, le second à l'âge mûr et le troisième au grand âge. La danse du sigi, appelée sigi melu, et la musique, sont confiées à l'awa une société initiatique chargée d'accomplir les levées de deuil, moment central des rites funéraires. Le contenu sacré est transmis à travers les nunge pei ou "vieux chants". A côté des "vieux chants" existent aussi les danji ou "chants funéraires" proprement dits, les boroni ou "chants de douleur" et les semele ou "chants de la mort". Les nunge pei contiennent aussi les chants liés à l'intronisation du hogon ou chef-patriarche des Dogon, à l'agriculture et aux répertoires secrets des hommes et des femmes, exécutés au moment de la dernière étape des funérailles. Tous les deux ou trois ans, après les récoltes de mil, de sorgho, de coton et d'oignons, mais aussi au retour d'une chasse fructueuse et lorsque plusieurs personnes sont mortes dans un village, se déroule le dama ou danse des masques ordinaires au caractère moins secret et exigeant que ceux du sigi. Le dama, chorégraphie processionnaire dans les lacis étagés du village, est entrecoupé de "stations" dans les différentes places. Moins sacré que le sigi, il présente cependant les caractéristiques d'un rituel et lorsqu'il est joué à l'extérieur de l'enceinte du village, il met en péril la vie des danseurs. Ils le font néanmoins, non sans avoir pris certaines précautions: par exemple, il leur est interdit de danser dans la cour d'une maison non dogon, à l'extérieur du village. S'ils quittent leur lieu de vie pour s'exprimer, ils doivent le faire en plein air ou bien simuler la construction d'une bâtisse dogon dans un endroit étranger qui représentera alors une falaise symbolique. La sortie de masques présentée aujourd'hui se réfère au dama. L'ensemble musical est composé de voix et de percussions diverses : le bar po ou tambour-calebasse, le baï na ou grand tambour, le boï tolo ou petit tambour, le gom boï ou tambour à aisselle et le sujei ou sifflet (remplacé parfois par une cloche). Les voix se répartissent en plusieurs catégories : le soliste qui entonne le chant et le choeur qui le reprend à l'unisson. Les voix s'échelonnent à des hauteurs diverses: le vociférateur qui parle-chante au-dessus du chant le sigi so ou langue secrète du sigi, le crieur qui dynamise à la fois les musiciens et les danseurs. Un par un les masques de bois peints de couleurs vives, ornés de cauris et d'étoffe sortent et forment un cercle avant que l'un d'eux ne vienne occuper le centre par une danse acrobatique. La ronde se brise ensuite et les masques interviennent par couple ou bien un à un. Tout d'abord vient la « s'ur des masques», surmontée d'une marionnette de soixante centimètres de hauteur, aux bras écartés, ensuite arrivent les deux jeunes femmes bambara à la face couverte de cauris, puis le ou les chasseurs, puis l'antilope, le lapin, le buffle, puis trois ou quatre kanaga, au heaume surmonté de la croix dogon (un axe vertical, le tronc cosmique et deux barres horizontales aux extrémités angulaires inversées représentant pour la base supérieure, le ciel et l'inférieure, la terre), puis deux échassiers dansant sur des tiges de un mètre vingt de hauteur et enfin le sirige ou la maison à étages surmontée d'une planche de plusieurs mètres de haut colorée de graphismes blancs et noirs.
Le groupe présenté au cours du troisième Festival de l'Imaginaire est formé par des Dogon de plusieurs villages des environs de Sangha, sous la direction de Sekou Dolo.
Le 13 mars à 10h00 dans le cadre du Bilan du film ethnographique, Projection des films de Jean Rouch : "Le dama d'Ambara" ; "Le Vieil Anaï" et rencontre avec le réalisateur et la troupe de masques dogon.
Cinémathèque du Musée de l'Homme.
Le 13mars à 18h30 au Musée national des Arts d'Afrique et d'Océanie, Projection de "Les Dogon : chronique d'une passion" de Guy Seligman en partenariat avec ARTE entrée libre.
Remerciements à M. Jean Rouch, M. Thierry Simon, M. Yves de la Croix, M. Jean-Hubert Martin, M. Philippe Garcia de la Rosa et à l'association Vitré-Djenné
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1997-02-21
La scène et le sacré
L'Inde, vaste continent, s'est pensée pendant des millénaires et se pense encore aujourd'hui en termes religieux. En effet, le sacré y domine sous forme d'hymnes, de textes, de rituels, de récits mythiques. "Les épopées religieux adressé aux princes ; les codes de lois s'inscrivent directement dans la littérature religieuse et le théâtre met presque uniquement en scène des sujets mythologiques" (Encyclopaedia Universalis). Ce théâtre, justement, obéit à une codification millénaire qui prend sa source dans le Natya-Shastra du sage Bharata, vaste traité donnant des indications techniques très précises sur l'organisation théâtrale, la dramaturgie et la représentation.
Cependant, il existe en Inde des formes dramatiques traditionnelles antérieures aux règles du Natya-Shastra. Le Teru Koothu, originaire du Tamil Nadu au sud-est de l'Inde, en est une. Rituel théâtral, musical et dansé, il met en scène des personnages terrifiants au maquillage extrêmement élaboré.
Le Teru Koothu
Au sud de Madras, dans l'Etat du Tamil Nadu, se déroulent après la récolte de riz, des cérémonies qui durent plusieurs jours suivies d'une représentation théâtrale d'un des épisodes du Mahâbhârata. L'ensemble porte le nom de Teru Koothu. La première partie est célébrée par des ritualistes qui pratiquent la transe destinée à la purification et à la fécondité de la communauté. La seconde partie est assurée par des villageois qui forment un groupe d'acteurs semi-professionnels.
Le culte est rendu à la déesse Dussassana, figurée par une statue de terre crue, longue d'une trentaine de mètres et couchée sur le sol du village. A un certain moment, le ritualiste brise à coups de bâton le genou gauche de la déesse dans lequel était enfouie une jarre contenant de l'eau colorée en rouge. Les participants recueillent ce sang symbolique et s'en aspergent les uns les autres.
Bien que les rôles féminins abondent dans le Mahâbhârata, tous les rôles sont joués par des hommes. Les acteurs se maquillent et s'habillent avec soin. La caractéristique d'un spectacle de Teru Koothu réside dans la magnificence des maquillages, très élaborés, aux couleurs violentes et dans le soin apporté à la danse encadrant les fragments narratifs et chantés.
Comme toutes les formes dramatiques de l'Inde du sud, le Teru Koothu du village de Purisai comprend un ensemble de chanteurs et d'acteurs-danseurs accompagnés par le petit harmonium indien, des tambours mridangam et dholak et un hautbois mukavina.
Ces représentations sont une première en France.
à écouter : INEDIT W 260096 Inde du sud, Drames dansés (Teru Koothu, Kathakali, Yakshagana).
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1993-06-22
22-24 juin 1993
Ils rêvent de se changer en oiseaux et de poursuivre les nuages, de devenir des monstres redoutables et de chasser les démons dévoreurs de récoltes, ils rêvent enfin de faire venir dans la forêt la déesse-mère qui leur rendra la santé. Alors ces anciens chasseurs de têtes se parent de plumes, revêtent leurs masques et tourbillonnent jusqu'à la transe.
22 danseurs et musiciens présenteront des danses rituelles de trois groupes dayak: les Kenia, les Modang et les Benuak.
Les Dayak et leurs mondes, un reportage de Françoise Gründ.
La rivière Maakan est si large près de Samarinda, son embouchure, que l'autre rive disparaît sous la pluie tropicale. Des arbres descendent vers la mer, à toute vitesse, créant de mouvants récifs pour les bareaux de passagers, aux ponts à claire-voie, pour les transporteurs gainés d'acier et pour les hors-bords dont le pilote ne quitte pas le courant des yeux.
Bornéo se déboise, se dénude, se pèle. Les japonais, les Javanais, les Australiens coupent les troncs centenaires, sans regarder derrière eux. Bornéo, c'est le nom que les Hollandais ont rendu à la grande île indonésienne, au territoire des Dayak, à l'époque de la colonisation. La région de l'Est, Kalimantan, qui fait partie de l'Indonésie, ne renferme pas moins de 400 groupes et sous-groupe Dayak utilisant plus de 1000 langues. Le mot Daya en malais signifie: "l'homme sauvage". Un dayak possède des jambes incroyablement fines et striées de muscles, les épaules en pointe, une taille souple, des pommettes saillantes, une chevelure noire, parfois bouclée presque crépue. Il porte des jeans et des chemises à carreaux, s'il habite un village lacustre le long de la grande rivière et s'il est cultivateur et pêcheur. Il vit nu, avec un cache-sexe et des bijoux, les épaules, le dos et les cuisses couverts de fins tatouages bleus s'il se déplace dans la forêt ainsi que les chasseurs-ceuilleurs des peuples constituant les sociétés des Dayak. Ce qui frappe pourtant dans tous les villages Dayak, c'est la présence de la maison longue, appelée actuellement la maison des hommes. Elle est plutôt un espace commun, un lieu de rencontre et de discussion et éventuellement un tribunal. Au coeur de la forêt, loin des rives des fleuves, des groupes de population continuent à vivre dans ce type d'habitat quasiment commun pour se protéger des prédateurs et des puissances surnaturelles.
Si les missionnaires et les divers envoyés de dieu les ont christianisés, évangélisés, batisés, islamisés, les Dayak disent tout bas, que les ancêtres sont vivants et agissent dans des mondes différents. Quand parfois, ils viennent se joindre aux humains, c'est pour les avertir de dangers, les aider à guérir des plaies ou formuler des réprimandes. Les Dayak croient que l'individu possède plusieurs âmes. Elles abandonnent le corps pendant le sommeil, le rêve et le voyage chamanique. L'âme du rêve est très importante. Elle génère des visions qui éclairent la réalité. La réalité est constituée par la conscience de deux mondes empilés l'un au-dessus de l'autre. Les ancêtres, les esprits et les divinités se partagent un monde qui serait le ciel puisqu'il se situe au-dessus des humains. L'image du ciel ressemble à la vision de la terre idéalisée: la jungle pleine d'abondance et inoffensive, de grandes rivières charriant beaucoup d'eau pure, mais sans crues dévastatrices, des fruits, des fleurs, des animaux. Plus bas, les humains travaillent et souffrent dans le monde terrestre.
Chez les Dayak-Kenia et chez les Dayak-Modang, le monde des humains est celui de la musique. Issue du chaos originel, la musique ne serait que la tentative de tracé d'un chemin pour mener l'émotion jusqu'au coeur de l'homme. La musique semble aux Dayak une expression synonyme de confusion, de défaillance et quelquefois de mutilation. En revanche, la danse se place au sommet de l'échelle des expressions humaines. Elle reproduit les mouvements des créatures du monde céleste, peuplé d'êtres légers et volants, insectes, papillons, oiseaux, flèches et esprits flottants. Le monde terrestre paraissant incomplet et défaillant aux Dayak, une de leur préoccupation essentielle consiste en une tentative, sans cesse renouvelée, de représentation du monde d'en-haut. Il faudrait donc jouer en permanence à construire ici-bas, un reflet du monde aérien et supérieur.Ainsi les ancêtres divinisés, les esprits supérieurs, les divinités font l'objet de représentations symboliques ou théâtralisées.
Dans ce but, les expressions comme la danse, la musique, la parole, le jeu, les graphismes, les vêtements, les parures, véritables présents offerts aux ancêtres jouent un rôle considérable et chacun des peuples dayak s'efforce de perfectionner leur forme.
La danse céleste des Dayak-Kenia
Un homme âgé se coiffe d'une haute couronne de plumes de calao et d'une chasuble largement échancrée aux aisselles qui laisse ses bras nus. Il tient à la main un arc, des flèches et une sarbacane pour exécuter le kancet lasam ou danse du chasseur. Le chasseur est bientôt rejoint par un autre homme qui exécute avec lui un kancet papatay ou danse des oiseaux.
La dramaturgie montre deux oiseaux prédateurs tournoyant en majesté, puis fondant sur leur proie avant de devenir aux-mêmes la proie d'attaquants plus sauvages. La danse s'organise en séquences qui pourraient se comparer aux rounds des combats de boxe. Comme celle des hommes, la danse des femmes véhicule un pathos. Toutefois l'âpreté se dissimule sous la grâce. Une femme aux longs lobes d'oreilles enfile au bout de ses doigts des touffes de plumes de calao et coiffe ses chignons des mêmes ornements. Entrant à pas glissés sur le plancher de bois, elle danse le kancet tengam ou danse de la fée. Les mouvements de ses bras prolongés par les faisceaux de plumes semblent aériens et la répétition aidant, donne au bout d'un moment l'impression d'assister à une véritable envolée. Ces chorégraphies rituelles n'ont pour support qu'une musique assez rudimentaire, donnée par le jeu de deux sam-pek ou luths plats à trois cordes et à caisse décorée.
Les masques danseurs des Dayak-Modang
Chez les Dayak-modang, la danse la plus vigoureuse, moins éthérée, porte le nom de hudog et met en scène des créatures violentes en lourds costumes de fibres. Elles portent des masques en bois, peint en rouge, blanc et noir, avec de larges miroirs à la place des yeux et une bouche articulée qui sert de claquoir. Dans le village de Long Bentuk les danseurs, entièrement couverts de feuilles de bananier, sortent de la forêt et investissent la place devant la maison longue où les attendent les paysans en provoquant une sorte de surprise et d'effroi.
Le chamane va guider les masques jusqu'à l'intérieur de la batisse où resonnent déjà les deux gongs, les deux tambours ba'tak et les deux tambours à deux peaux, les jong nyefeng suspendus à un portique de bois. Groupés généralement par dix ou douze, les danseurs masqués se jettent au milieu du public, qui bien que prévenu, recule en poussant des cris.
La danse consiste en tourbillons et en sauts, d'abord lents puis de plus en plus violents, rythmés par les percussions. Le comble de l'excitation survient lorsque paraissent des personnages costumés en paysans dépenaillés et des enfants masqués. Ces derniers arrivants représentent les fermiers venant demander une bonne récolte de riz et faire un serment d'allégeance aux masques qui symbolisent les puissances de la terre de l'eau et du vent.
L'appel des chamanes des Dayak-Benuak
La maison longue entièrement décorée de feuillages et de fleurs, recèle de nombreux éléments magiques construits ou sortis de l'ombre pour la circonstance. Une grappe de tissus et de vêtements multicolores représentent Sangyang, la divinité. Au pied, s'accumulent des offrandes de riz, des sucreries colorées, des noix de coco, des graines, des cigarettes et des cigares et des motifs de bambou travaillé. Trois vieillards chantent des incantations depuis le coucher du soleil. Leur voix éteinte égrène la même plainte. Les musiciens viennent, un à un, s'installer derrière les instruments déposés à une extrémité de la longue pièce rectangulaire. L'ensemble instrumental se compose de deux gongs kelentangan, de quatre gendang-tubang ou tambours à deux peaux et d'un jeu de gongs. Les femmes dans un lent balancement rythmique, longent la paroi intérieure de la maison. Après s'être inclinées devant l'ancêtre-mère, elles forment des lignes mouvantes et se mettent à chanter sans cesser leurs mouvements de déhanchement et de rotation des épaules. Avant même que les chants de femmes ne se taisent, un homme est entré. Enlevant sa chemise, il s'est assis torse nu, au pied de la divinité. Un à un, cinq autres hommes viennent le rejoindre et prennent place dans les mêmes positions. Les femmes se sont éclipsées. Le premier homme, le chamane, entonne un chant d'une voix très nasale. Un grand silence se fait dans la maison longue, pendant que s'établit un chant responsoriel, les cinq hommes assis commençant une polyvocalité riche de dissonances, en chevauchant la voix du chamane par un tuilage brutal.
Au bout d'un long moment, le chamane se lève et la femme affectée au service de la cérémonie, lui tend une large jupe blanche ornée d'éléments cosmogoniques colorés appliqués sur le tissu. Le chamane enfile la jupe et la maintien à la taille par une longue bande de coton rouge. Il place sur sa tête une couronne de feuilles fraîches. Les autres se lèvent et s'habillent à leur tour. Ils commencent une sorte de danse tourbillonnante sur la base de trois mouvements. Un déplacement circulaire autour du pilier représentant la mère, un tournoiement sur soi-même et enfin une sorte de rupture avec le mouvement cosmique reproduisant une ronde de planètes autour du soleil, puis les ritualistes, l'un après l'autre, se précipitent vers le centre du cercle, empoignent le corps de la divinité et se laissent choir qu sol, ou bien sont emportés par un tremblement frénétique. Le maître des chamanes ne cesse de contrôler l'extase et la canalise jusqu'à ce que dans les voix et la danse, l'ancêtre-mère parle et réconforte la communauté.
PROGRAMME.
Dayak Benuak
Upacara adat "Belian", cérémonie de guérison. Ensemble instrumental: jeu de six gongs kalintangan, 2 tambours gimar, 1 gong vertical geniging.
-Bememang, invocation aux esprits, chant assis.
-Tari Belian, danse d'offrande en cercle autour du mayan, symbolisant l'axe du monde.
-Bekanjar, incantation chamanique destinée à guérir les malades et à écarter les mauvaises influences.
-Bekanjar Balal, Danse d'appel aux esprits guérisseurs.
-Tepung Tawar, jet de farine symbolisant la purification de l'esprit des malades et leur guérison.
Dayak Kenia
-Datun julut, cortège dansé (Kenia), danse mixte accompagnée de deux luths sampeh.
-Kendau, poésie chantée (Suku Kenia), chant de femme retraçant l'émigration des Suku Kenia, suivi d'un chant d'homme accompagné par un choeur mixte décrivant les méfaits d'un incendie de forêt.
-Kancet tengam, danse de purification et Kancet papatay, danse des oiseaux et joute guerrière.
-Datun julut, cortège dansé.
Dayak Modang
Hudog, danse masquée
-Action de grâce après une bonne récolte de riz, sous forme de dialogue entre le chamane et les "cinq Hudog", esprits protecteurs de la forêt.
-Le chamane offre aux Hudog de la nourriture destinée aux âmes des morts.
-Danse de purification des quatre directions de l'espace
-Danse des Hudog destinée à chasser les mauvais esprits et les animaux prédateurs des rizières, accompagnée au gong geniging.
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1992-12-10
10-20 décembre 1992
Le Zâr d'Egypte, cérémonie dansée, contient des éléments de l'animisme africain et de l'islam arabe. Il est destiné à la thérapie d'affections physiologiques ou psychosomatiques.
Les ritualistes appartiennent au groupe de la cheikha Zeinab et viennent de Iman, la Ville des Morts au Caire.
Avec le Zâr, le participant comme le spectateur est emporté par une vague de passion faite d'exorcisme et de magie.
(Avec 13 personnes)
La cérémonie se déroule sur commande lorsque le besoin se fait sentir chez un individu ou dans un groupe.
Les ritualistes sont très souvent des femmes appelées cheikha.
Au son des tambours, la foule se dirige vers la maison de la cheikha.
Après les formules de bénédiction en arabe, la musique et les chants commencent, suivis par la danse.
Le but de la danse est de faire sortir du corps ou de l'esprit malade, le djinn esprit souterrain qui tourmente l'individu.
Par les percussions, les chants et les pas de danse, la transe apparaît chez le malade appelé pour la circonstance "la fiancée".
La transe libératrice se manifeste si des offrandes, de bons musiciens, de bons danseurs et une cheikha à l'esprit fort sont réunis.
Les danses sont magnifiques et les ritualistes chargés de mener les participants vers la transe, s'avancent en brandissant les bannières de marabout. Ils portent des tanouras, larges jupes plombées parfaitement circulaires, au centre desquelles ils se dressent comme des pivots tourbillonants.
La danse du zâr fait surgir une convivialité d'autant plus forte que la cérémonie est à peine tolérée par les instances officielles. Et le tafkir; partie très violente de la danse précédant la transe, est rejeté par les classes bourgeoises et bien-pensantes.
L'origine africaine de ce rituel reste évidente mais, peu à peu, il a emprunté à l'Islam de nombreux éléments.
Au Caire, le Zâr, presque clandestin, représente une soupape de sécurité, pour les femmes très humbles des classes marginalisées.
Le groupe invité exécutera trois formes de zâr :
- le Saedi dans lequel les femmes utilisent les percussions et les voix.
- le Soudani, originaire du Soudan, dans lequel les femmes et les hommes utilisent les voix, les percussions et la tambura.
- le Abou el Gheiht, proche du soufisme. Les hommes utilisent les percussions, les voix, les petits sifflets, le nay et beaucoup de danse.
Ahmed Al Shan Kahaoui, chanteur talentueux et reconnu interviendra.
Les instruments de musique : percussions, flûtes et lyres
- le tar ou daf, tambour sur cadre.
- le darbouka, percussion en terre cuite.
- la toura, paire de petites cymbales en cuivre.
- le mongour, ceinture à grappes.
- des instruments à vent dont le nay.
- des instruments à cordes : la tambura, harpe-lyre à six cordes.
Tournée :
Du 26.11.92 au 02.12.92 : Musée des Tropiques, Amsterdam.
Le 04.12.92 ou le 05.12.92 : Salle Patino, Genève.
Le 07.12.92 : C.R.T Artificio, Milan.
Du 09.12.92 au 20.12.92 : Maison des Cultures du Monde, Paris.
Texte de Françoise Gründ. Le zâr d'Egypte: la danse qui guérit le mal d'amour
Egypte: la terre.
Vaste territoire qui s'étend de la Méditerranée jusque profondément en Afrique Noire et qui touche d'un côté au désert de Lybie et de l'autre à la Mer Rouge. Sa particularité: être arrosée par un des fleuves les plus long du monde, le Nil, considéré comme une source de vie et un Dieu, depuis la plus haute Antiquité.
Egypte: civilisations.
Il est possible de dire que les trois principales cultures coexistent encore aujourd'hui dans différentes régions du pays, sous des aspects plus ou moins syncrétiques.
La Pharaonique (avec toutes les traces écrites des langues archaïques et les traces de la vie quotidienne et de la gestuelle dans la statuaire et l'iconographie)
L'Africaine (avec les langues nilotiques, les langues secrètes des rituels, les instruments de musiques, certaines danses).
L'Arabe (avec la langue arabe littéraire et dialectale, et l'Islam)
Le Caire
Une des mégalopoles du monde qui abrite aujourd'hui 4.220.000 habitants et ne cesse de s'étendre. La population totale de l'Egypte est de 30 millions d'habitants. Les autres grandes villes sont: Alexandrie, Giseh, Assiour, Port-Saïd'
Glossaire
Zâr: visite, cérémonie, esprit
Djinn: esprit, génie, cousin souterrain
Cheikha: femme chef religieux
Tafkir: partie très violente de la danse de zâr précédent la transe.
Samiri: chants du zâr
Sacrifices: poulet, pigeon, coq rouge, mouton, bélier.
Tanoura: large jupe plombée parfaitement circulaire.
Tar ou daf: tambour sur cadre à une peau.
Darbouka: percussion en terre cuite, en forme de sablier, à une seule peau.
Toura: paire de petites cymbales en cuivre.
Mongour: ceinture à grappes de sabots de chèvres ou d'antilopes.
Tanbourah: lyre à six cordes dont les deux montants en V sont fichés dans une caisse de résonance semi-circulaire, tendue d'une peau.
Saedi: groupe de musiciens ritualistes du zâr. Femmes utilisant les percussions et les voix.
Soudani (originaire du Soudan): groupe de musiciens ritualistes du zâr. Hommes et femmes utilisant les voix, les percussions et la tanbourah.
Abou El Gheih: groupe de musicien ritualistes du zâr, proche du Soufisme. Hommes utilisant les percussions, les voix, les petits sifflets, le nay et beaucoup de danse
Ringo: groupe de musiciens de zâr ayant disparu il y a une dizaine d'années, utilisant le balafon.
Imam, la Ville des Morts au Caire. Sur la colline poussiéreuse, deux millions de gens s'entassent dans des tombeaux ou se construisent avec des bouts de planche ou de tôle des logis de fortune adossés aux monuments funèbres qui s'étendent sur des centaines d'hectares. C'est la nuit. Zeinab et moi, pénétrons dans un de ces taudis qui semblent abriter une large famille. Des lampes à pétrole éclairent la pièce principale déjà pleine de femmes qui bavardent.
On nous invite à nous asseoir. Les parois portent des traces noirâtres et dégoulinantes de mains. "Le sang des poulets sacrifiés ' m'explique Zeinab ' il faut tremper la main et l'appliquer sur les endroits que l'on veut protéger!"
Une jeune fille apporte un lourd brasero fumant et le dépose près d'un coussin. Cinq femmes la suivent, munies de larges daf. Elles se placent autour du brasero et se mettent en devoir de chauffer la peau des instruments. Pendant ce temps, les hommes arrivent et s'installent par terre, tous au même endroit. Moins nombreux que les femmes, ils fument avec elles, le narguilhé dans l'attente de l'événement qui va se produire. Comme beaucoup de femmes du peuple, elles portent de longues robes fleuries sous un voile noir et couvrent leur tête de plusieurs foulards sombres ou multicolores. Malgré leur condition modeste, de lourds pendants d'oreilles et plusieurs rangs de bracelets qui semblent être de l'or brillent furtivement dans la pénombre.
Une femme de belle prestance, d'une quarantaine d'années, entre dans la pièce: la Cheikha. Elle tient sous le bras une grosse darbouka. Elle ôte ses sandales pour marcher sur la natte qui occupe le centre de la pièce (tout le monde est déjà pieds nus), soulève sa robe verte avec élégance et s'assied sur le coussin préparé pour elle. "Assalam Uleikum!" Tout le monde répond à son salut. Avant de chauffer sa percussion, elle prononce encore une formule islamique "Allahou Akbar" (Dieu est grand). Puis elle commence à battre la peau sur un rythme assez vif et à chanter.
"C'est la formule d'ouverture de la cérémonie en arabe", me dit ma voisine. Un long frisson parcourt l'assemblée, soudain électrisée. Des mains découvrent les épaules d'une jeune femme très pâle, affalée entre les épaules des autres, qui semble se soutenir à peine. Je ne l'avais pas remarquée.
Les musiciennes Saedi, autour de la Cheikha, continuent le chant et le rythme, tandis que celle-ci, prenant dans une coupelle de terre quelques braises, y ajoute de l'encens et s'approche de chacune des femmes de l'assemblée. Elle récite une formule dans une langue secrète (africaine) et lui encense la tête. La femme se lève. La coupelle fumante est passée sous les mains, sous les aisselles puis la Cheikha soulève la jupe et passe la coupelle le long des jambes. La patiente pose alors un billet de quelques livres (équivalent à 5 ou 10 francs) dans le plateau placé sous la coupelle d'encens.
Quelques hommes ont droit aussi à la bénédiction. C'est l'entourage de la jeune fille pâle qui donne le plus d'argent. La cérémonie est faite en partie pour elle.
Un second chant s'élève, sur un rythme différent. La voix de la Cheikha, vibrante, fait frissonner plusieurs femmes. Elle est revenue s'asseoir près des musiciennes mais ne quitte pas l'assemblée des yeux.
Brusquement, une femme âgée se lève et arrache le voile qui lui couvre les épaules. Elle se place au centre de la pièce et tous la regardent avec une sorte d'anxiété affectueuse qui ressemble à un encouragement. Seuls les hommes baissent la tête. Dans ces assemblées, leurs yeux ne doivent pas se poser sur une femme qui danse.
La danse commence par un léger balancement du corps entier qui suit le rythme des percussions. La Cheikha vient se placer debout à côté de la femme et lui chante les paroles presque à l'oreille. Celle-ci ferme les yeux. Les mots sont en arabe et en langue africaine qu'elle ne comprend pas. Ses gestes se précisent, elle lève les bras et presque sur place, au-dessous, le corps effectue un mouvement de vrille lente. Le visage de la femme prend alors une expression de grande sérénité. Une de ses compagnes assises saisit alors un long châle blanc et lui couvre la tête (la vision de l'extase peut-elle être indécente?)
Le rythme change par l'intervention de la Cheikha toujours debout et attentive. La femme voilée de blanc effectue maintenant une rotation violente de la nuque semblable à celles de plusieurs danses soudanaises ou tanzaniennes et ses épaules se mettent à frissonner. Les mouvements toujours coordonnés et harmonieux deviennent violents. Une telle force alliée à une telle grâce sont étonnants chez cette femme qui frise la soixantaine. Elle rejette le châle et ses cheveux se dénouent. La transe arrive. Tout le corps tremble. La bouche s'ouvre et les yeux ne montrent plus que des globes blancs. Deux voisines s'approchent pour maintenir le corps qui va tomber. Brusquement, la femme s'affaisse et la Cheikha fait aussitôt cesser la musique. On aide la vieille femme à se redresser. En sueur, elle semble s'éveiller. Elle sourit, étonnée, et regagne sa place en s'épongeant le visage.
La Cheikha s'approche de la jeune fille pâle et bat pour elle sur la darbouka un rythme spécial qu'elle semble reconnaître. L'invitation ainsi formulée, la jeune fille se redresse avec peine et se met debout grâce à l'aide des autres. Son visage reste empreint de souffrance. La Cheikha change de rythme mais aucune transformation ne se passe au cours de la danse très répétitive que toutes les femmes soutiennent par leurs battements de mains. "Son cousin souterrain ne sort pas!" chuchote une voisine de Zeinab. La jeune fille défaillante s'appuie sur l'épaule de la Cheikha. Celle-ci décide "Faites venir les musiciens Soudani!"
Elle retourne s'asseoir et installe la jeune fille recroquevillée sur elle-même au centre de la pièce.
Un homme très sombre de peau se lève et un autre l'aide à attacher la Mongour sur ses hanches. Une femme noire également se saisit du tambour.
Lorsqu'il a terminé la préparation du chef, le jeune homme commence à jouer quelques notes très douces sur la tanburah. Le chant (le Samiri) la musique très sensuels semblent un instant sortir la jeune fille de sa torpeur. Plusieurs femmes séduites par le rythme, prêtes à s'élancer dans la danse se balancent sur place. D'un geste autoritaire, la Cheikha les maintient assises. Le zâr est pour la "Fiancée" d'abord. Les autres ne se joindront à l'euphorie que lorsque la "Fiancée" sera libérée. C'est sa famille qui a commandé et financé les musiciens. (Il se trouve qu'ici la "Fiancée" est une femme, mais dans les zâr masculins, un garçon ou un homme prend aussi le nom de "Fiancée").
Les épaules de la jeune fille ondulent doucement mais sa tête reste lourde. Le chef Soudani s'écrie "Sacrifions un coq rouge. Ses jambes ont besoin de sang". Aussitôt, des bruits indiquent que dans d'autres parties de la maison, on commence à exécuter l'ordre. La fiancée est presque portée jusqu'au seuil de la demeure. La musicienne Soudani frappe avec frénésie son tambour et le chef donnant de violents coups de reins pour faire tinter sa Mongour, élève le coq qui bat des ailes aux quatre points cardinaux. Tout en prononçant des formules, il sort un grand couteau suspendu sur sa poitrine par l'ouverture de sa robe et tranche le cou du coq. Aussitôt, des chants, des you-you et des claquements de mains s'élèvent. Il place un peu de sang chaud sur le front de la fiancée, puis sur la paume des mains puis trois taches sur le dessus de chaque pied.
La robe blanche de la jeune fille est tachée aussi, au niveau du ventre; ce qui est interprété comme un signe favorable. C'est alors que le chef décide de faire l'entrée "dans le monde souterrain", me précise Zeinab. Un des bras de la tanbourah est placé sur l'épaule de la Fiancée. Le musicien joue sur les cordes et les vibrations électrisent la patiente. Suit la femme et le chef. Les gens s'écartent et ils font quelques pas jusqu'au milieu de la pièce en chantant. Alors les femmes se précipitent et commencent à onduler, extatiques dans le tout petit espace. Certaines parviennent à la transe et sont éloignées promptement. Le chef Soudani n'arrête pas le rythme. Soudain la jeune fille s'évanouit. On la porte entre ses parentes, on l'asperge d'eau de roses et on lui fait respirer de l'encens. Elle ne bouge pas. Il faut appeler les "Abou el Heith" dit la Cheikha. Un long moment se passe, les musiciens habitent une rue voisine. Pendant ce temps, du thé très sucré est distribué parmi l'assemblée. La jeune fille gît toujours inanimée. Tout le monde se tait. Un épais rideau d'encens empêche presque de distinguer les traits de ceux qui sont assis en face. Des bruits légers montrent que quelqu'un bouge dans la pièce attenante. "Les musiciens se préparent". La musique retentit et le troisième groupe de zâr apparaît, uniquement constitué d'hommes. Revêtus d'une robe blanche, ils portent des tarbouches rouges assez hauts. Les premiers présentent des bannières où sont brodées et peintes des maximes islamiques. Les musiciens suivent, entraînés par un jeune homme maniant les toura. Par-dessus sa robe, il a passé une large jupe plombée à raies de couleur, la tanoura. Dans le petit espace du centre de la pièce bondée avec une presque mourante allongée, ce pourrait être un désordre indescriptible. Miraculeusement, tout s'organise.
Le jeune homme se met à évoluer seul, au centre des bannières brandies par ses compagnons. Ses petites cymbales élevées, son corps mince et flexible effectuant des mouvements précis fait penser aux danseurs peints des tombes pharaoniques. Il commence à tourner et sa large jupe plombée devient un cercle parfait' Une représentation cosmique. Saisi par l'admiration davant la grâce de ce pur esprit de la danse, tout le monde avait oublié la jeune fille. Soudain, elle est là, chancelante, à côté de lui, martelant le sol de ses talons. Les musiciens l'entourent. Elle suit leurs mouvements en regardant la terre, oubliant son corps malade. La langueur la quitte lorsque le danseur en face d'elle l'exhorte à imiter ses bonds arqués vers l'arrière.
De ses pieds tachés de sang, elle foule la terre en déployant de plus en plus de force. Elle atteint le tafkir. Les musiciens et les danseurs Abu El Gheit maintiennent le rythme en changeant la mélodie. Et la chose extraordinaire se produit dans la danse. Les cheveux de la jeune fille se gonflent sur sa tête. L'expression du visage devient rayonnante et féroce. Son buste se redresse. Elle élève les bras. Ses hanches tournent et bientôt, elle bondit, les cuisses serrées, superbe et effrayante. Elle est possédée. Le danseur fait tournoyer sa jupe autour de ses épaules, puis au-dessus de leurs têtes. Elle danse seule, conquérante de l'espace. Et brusquement, son corps se casse et elle tombe. Lorsque des mains candides la relèvent, arrangent sa chevelure collée par la sueur, elle sourit, puis interroge les autres avec vivacité. La faiblesse, la maladie semblent l'avoir définitivement abandonnée.
Elle va remercier les "Abu El Gheit" et ordonne qu'un gosse aille acheter des gateaux pour accompagner les plateaux de thé qui arrivent.
"Ce n'est pas un miracle" me dit Zeinab, ces choses-là se produisent chaque jour!" Dans les milieux populaires en Egypte, les femmes sont excisées. Cet état les empêche de parvenir le plus souvent à une satisfaction sexuelle. Dans le même ordre d'idées, il affecte le comportement des hommes. Accablées de travail, en outre souvent mal alimentées, les femmes en particulier, tombent dans des états dépressifs qui provoquent des troubles physiologiques. Dans certains milieux moins populaires, le remède réside dans l'alcool ou la drogue, mais à Imam, dans les taudis de la Ville des Morts, c'est la danse de "zâr" qui guérit. Non seulement elle consiste en une convivialité rendue d'autant plus forte que la cérémonie est à peine tolérée par les instances officielles, mais le "tafkir" qui conduit à la transe libératrice, délivre de tous les maux.
Les zâr, djinn, ou cousins souterrains sortent de l'empire sombre et possèdent le corps qui danse et qui, par la force du mouvement, parvient à l'expulser momentanément ou définitivement.
L'origine africaine de ce rituel reste évidente mais, peu à peu, il a emprunté aux autres cultures, comme à celle de l'Islam. Pour Le Caire, le zâr, presque clandestin, représente une soupape de sécurité.
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1990-06-23
23-24 juin 1990
Aux arènes de Lutèce
LE CRICKET DES ILES TROBRIAND
Situées aux larges des côtes orientales de la Nouvelle-Guinée, les Iles Trobriand comptent une population d'environ 20 000 habitants dont une des particularités est d'avoir su intégré le jeu de cricket à leur système culturel et social traditionnel.
Le cricket, apparu sous une forme rudimentaire au début du XIVe siècle en Angleterre, va très vite s'affirmer comme sport national pour se fixer dans ses règles définitives vers la fin du XIX siècle. À la même époque, la Nouvelle-Guinée et les îles avoisinantes sont soumises au pouvoir colonial britannique qui, tout en imposant ses règles politiques et les valeurs morales défendues par ses missionnaires, introduit ce nouveau jeu auprès des populations papoues. Curieusement, le cricket fait tout de suite fureur chez les nouveaux convertis, à tel point que les deux grandes institutions britanniques actuellement conservées par la Papouasie- Nouvelle guinée depuis son indépendance sont la démocratie parlementaire et... le Cricket.
Contrairement aux populations de Papouasie, celles des Iles Trobriand vont faire subir au jeu de cricket une série d'avatars tout à fait surprenants.
Le jeu est introduit auprès des Trobriandais en 1903 par un missionnaire méthodiste, le Rév. M. K. Gilmour, désireux d'imposer une activité compétitive de substitution aux guerres tribales. Avec l'aide de missionnaires fidjiens, des missions se créent dans lesquelles les nouveaux convertis s'adonnent volontiers au plaisir du cricket qu'ils pratiquent dans les règles de l'art. Mais pour être efficace politiquement, ce jeu ne peut se limiter aux nouveaux convertis. Des matchs sont donc organisés dans les cours des missions entre les convertis et les villageois. Et peu à peu, ces derniers incorporent ce jeu à leur culture et après quelques transformations l'intègrent à leur système de compétitions traditionnelles.
Parmi les activités liées aux guerres tribales, les Trobriandais ont toujours pratiqué diverses sortes de compétitions obligatoires kayasa, organisées périodiquement et entourées d'un large cérémonial. Chaque village établissait sa réputation en organisant ces compétitions et en les entourant de manifestations fastueuses. Ainsi, lorsque l'équipe invitante était ensuite accueillie chez ses adversaires, ceux-ci ne pouvaient pas moins faire que d'organiser une fête encore plus splendide que la précédente (principe de l'économie d'ostentation). Prêts à accueillir cette nouvelle forme de compétition sportive, les Trobriandais lui firent donc subir toutes sortes de transformations et ajouts rituels.
Tout d'abord, les joueurs se débarrassèrent des costumes et des équipements britanniques, pour revêtir des costumes de guerre traditionnels et utiliser des battes qu'ils sculptaient eux-mêmes dans un bois léger et dur. Les battes étaient ensuite décorées de traits aux couleurs de guerre : le noir et le blanc. Les équipes de onze joueurs furent remplacées par l'ensemble des hommes de chaque communauté clanique, et l'on vit apparaître ainsi des équipes de trente, quarante, voire soixante joueurs. Comme ces équipes étaient beaucoup plus importantes que dans le jeu britannique, on assista à une nouvelle distribution des rôles : le batsman n'eut plus à courir entre les bases (wickets) mais se fit remplacer par des coureurs. On eut également recours à des procédés magiques pour renforcer la protection des bases et la précision des battes.
Enfin, le jeu entouré de toutes sortes de chants et de danses spécifiques à chaque équipe et ayant pour rôle de provoquer et d'impressionner les adversaires ; le jeu acquit ainsi une fonction à la fois rituelle, économique et politique, qui dépassait sa simple fonction ludique originelle.
Ces chants et ces danses ont par ailleurs toujours témoigné d'une capacité créatrice encore très vivace aujourd'hui, dans la mesure où chaque équipe nouvellement créée doit composer son propre répertoire.
Chaque équipe se donne donc un nom et compose une série de chants et de danses qui réfèrent le plus souvent, mais sous le mode de la dérision,, aux activités des Blancs. Ainsi l'équipe Blindmen (aveugles) défile comme un régiment d'infanterie, en mimant le port des fusils, l'équipe des Airplanes (avions) mime le vol des patrouilles aériennes que leurs pères virent décoller des bases anglaises des Iles Trobriand pendant la IIe Guerre Mondiale. Une autre équipe évoque un groupe de piroguiers bravant avec courage une mer démontée, ou le vol des oiseaux de mer.
Ces chants aux textes provocateurs empreints de dérision sont généralement à double sens et recèlent des connotations érotiques très fortes :
Le manioc par ici,
La noix de coco par là ;
Je râpe, je râpe.
Outre le fait que le manioc et la noix de coco sont consommés râpés, le manioc apparaît ici comme un symbole phallique, et le verbe râper sous son acception relative à l'acte sexuel.)
Chaque équipe possède deux sortes de danses chantées ; une danse d'entrée par laquelle commence le match, et qui est reprise à la fin de la compétition, et une danse destinée à célébrer chaque succès de l'équipe.
Le matin du match, tout le village invitant se lève à l'aube pour se préparer. Déjà l'équipe invitée suit les sentiers de brousse pour se rendre sur le lieu de la compétition. L'homme chargé de l'organisation du match s'assure que les balles sont prêtes et ont été convenablement fabriquées ; la veille il est allé voir le guérisseur du village et lui a demandé de faire le nécessaire pour que le temps soit propice, puis il lui a présenté les battes de son équipe pour qu'il leur confère un pouvoir magique. Il lui reste encore à se rendre sur le terrain et placer les piquets de chaque base à une distance de vingt-deux pas. Pendant ce temps, les joueurs s'habillent et se peignent le visage. Ces peintures de guerre renforceront leur force et leur courage en leur donnant une seconde personnalité. Enfin, ils se coiffent de parure de feuilles et de plumes.
Lorsque l'équipe invitée arrive au village, tout le monde se rend sur le terrain. On compte les équipes, puis un jeune garçon est envoyé cueillir une grande feuille de cocotier qui, grâce à ses multiples ramures, servira à marquer les scores. De chaque côté de la tige centrale, le nombre de ramures est ramené au nombre de joueurs de chaque équipe.
Ensuite les joueurs se livrent aux danses d'entrée. Et le jeu commence. Quant à son principe, il est semblable au cricket d'outre-manche. Derrière chaque base (wickets) se tient un joueur de l'équipe A. Devant la base se tient un joueur de l'équipe B, une batte à la main (batsman). Le lanceur (bowler) de l'équipe A lance sa balle que le batsman doit renvoyer le plus loin possible. Dès que la balle a été renvoyée, les coureurs de l'équipe B entament le va et vient entre les deux bases. Ils doivent avoir regagné leur base avant que la balle ait été récupérée par un joueur de l'équipe A. Le batsman est éliminé s'il sort de sa zone de sécurité, ou si la balle est récupérée avant même qu'elle n'ait touché le sol. Lorsque tous les batsman de l'équipe A ont joué, les équipes changent de place, et c'est au tour des batsmen de l'équipe A de jouer, et ainsi de suite jusqu'à la fin de la partie qui s'achève par des danses de sorties identiques à celle du début du match.
Parmi les cas de situations de type colonial en Afrique et en Océanie, le cricket des Iles Trobriand constitue un exemple remarquable de récupération traditionnelle. Il relève en effet la force culturelle d'une communauté qui, face à un processus de déculturation, y répond en jouant superficiellement le jeu du pouvoir, tout en le détournant au profit de ses structures sociales. Curieusement, en jetant avec ce jeu un nouveau pont entre le rituel, le politique et l'économique, les Trobriandais sont même parvenus à renforcer leur système social.
Cette situation s'est-elle développée de manière explicite entre les différents protagonistes de ce drame colonial ? Les anglais mesurèrent-ils sur le moment toutes les implications profondes de cette modification de leur sport national ? Une chose est certaine en tout cas, c'est que si le pouvoir britannique parvint ainsi à endiguer les conflits qui ensanglantaient ces îles, les Trobriandais surent faire preuve d'un machiavélisme politique encore plus efficace.
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1990-06-15
15-17 juin 1990
Les Boni ou Aluku sont les descendants d'un groupe d'esclaves originaires d'Afrique occidentale qui se rebellèrent à la fin du XVIIIe siècle contre les Hollandais du Surinam et se réfugièrent sur les rives du Lawa et du Maroni, d'où leur nom de "Noirs réfugiés de Guyane". A l'heure actuelle ils peuplent le cours moyen du Lawa, principal affluent du Maroni avec lequel il forme une frontière naturelle entre le Surinam et le département français de Guyane.
La région se présente comme une pénéplaine vallonnée recouverte d'une végétation dense de type tropical, qui rend le transport et l'établissement de routes impossible. Actuellement, cette région n'est accessible que par avion ou par pirogue : le village de Maripasoula, dont est issu le groupe présenté ici, est situé à trois jours de pirogue de Saint-Laurent. Par ailleurs, de nombreux rapides ou sauts qui jalonnent le fleuve interdisent l'usage de grosses embarcations. Chaque village s'est donc établi le long des rivières, seul axe de circulation, de même que les plantations vivrières qui assurent, avec le gibier (tapir, pécari, agouti, caïman...), et le poisson (aimara, acoupa), l'essentiel de la subsistance des Boni.
La langue des Boni s'apparente à celle de tous les groupes noirs du Surinam, le taki-taki, langue véhiculaire dérivée de l'anglais et dont le Surinam a fait sa lingua franca.
Si les Boni furent autrefois en conflit avec l'ethnie voisine Djuka, ils semblent en revanche avoir toujours entretenu de bons rapports avec leurs voisins amérindiens Wayana et Galibi.
Le système de parenté boni est matrilinéaire.Aux matrilignages rigoureusement structurés se superposent des patrilignages dont l'existence ne se manifeste qu'à travers l'héritage de père en fils d'un interdit spécifique, dont la transgression est communément admise comme étant cause de lèpre. Le mariage étant de type exogamique, et les individus vivant sous le régime matrilocal (c'est-à-dire dans leur propre matrilignage), la vie de couple apparaît plus comme une association temporaire fondée sur des intérêts matériels et qui peut-être rompue à tout moment, que comme un mariage proprement dit.
Le système politique. Chaque lignage est dirigé par une assemblée des hommes présidée par le "capitaine" ou hèdèman (head man) qui est nommé après interrogatoire de l'esprit (yorka) de son prédécesseur défunt et est entérinée par le grand man, chef suprême de la communauté Boni. Le hèdèman exerce avant tout un pouvoir judiciaire et une fonction religieuse comme prêtre du culte des ancêtres.
Le grand man a une fonction analogue, mais à l'échelle de tout le groupe Boni. Outre son rôle judiciaire qui ne s'exerce que sur les morts, il a le pouvoir d'exhorter les esprits des défunts (yorka) et il est le prêtre du culte d'Odun, divinité régulant la loi morale et religieuse, objet d'un culte secret et constituant la clé de voûte de l'édifice social et religieux boni.
Le système religieux boni s'appuie d'abord sur un dieu suprême, Nana ou Masa Gadu, créateur de tout ce qui vit sur terre, ainsi que des dieux subalternes. Bien qu'il ne fasse pas véritablement l'objet d'un culte, il est considéré comme la source de force à laquelle s'alimentent tous les vivants, et les hommes lui sont reliés par l'intermédiaire des ancêtres.
Les boni considèrent l'homme comme formé du corps et de deux parties spirituelles:
-Akra, représente une parcelle du divin et retourne au divin après la mort
-Yorka, constitue la personnalité de l'homme, et ne change pas après la mort mais passe à un plan intermédiaire entre le divin et l'homme.
Le culte se compose de prières adressées aux yorka des ancêtres sur le mode d'une conversation familière, et d'offrandes, afin qu'ils veillent sur le lignage et intercèdent en sa faveur auprès de Masa Gadu.
Masa Gadu a envoyé aux hommes le dieu Odun comme législateur et justicier. Objet d'un culte secret, Odun constitue la clé de voûte de l'édifice social et religieux boni. Les lois d'Odun interdisent la sorcellerie, la vengeance sous quelque forme que ce soit (naturelle ou supra-naturelle), la violence, toute atteinte à la liberté individuelle, toute invocation des esprits dans un cadre autre que celui prévu par les règles coutumières. On constate ainsi, aur par leur passé, les Boni ont développé une philosophie libertaire et non-violente qui se révèle de manière remarquable dans la limitation des pouvoirs temporels des hédèman et du grand man.
Les cultes de possession kumanti
Parmi les dieux subalternes ou gadu, les plus remarquables sont ceux qui provoquent la possession: kumanti, djadja, opete, bunsunki, bien disposés envers les hommes, et dont les cultes ont une fonction à la fois protectrice et thérapeutique, et les ampuku et vodun (ou papa gadu) qui sont au contraire redoutés parce que susceptibles d'exercer une malédiction contre les hommes.
Les cultes de possession kumanti (semble venir de Coromentin situé en pays ashanti) ne sont pas le fait de confréries religieuses. Il existe seulement des maîtres qui enseignent un petit groupe de disciples sans distinction de village ou de lignage. Le maître, "bas", commence par enseigner la langue de la divinité, puis il prépare des infusions dont le choix correspond à telle ou telle divinité, enfin il apprend à l'élève à danser à la façon du dieu.
Au début, pour faciliter la montée de la possession (gita) chez le disciple, il lui fait prendre des substances toxiques empruntées aux voisins amérindiens des Boni, notamment du jus de tabac. Mais une fois les réflexes créés, ces substances ne s'avèrent plus nécessaires, la gita se manifeste dès qu'on emploie les procédés d'appel: port du costume du dieu, émission du nom du dieu en langage tambouriné (apinti). Si le dieu est satisfait de l'élève, il pourra entrer en lui, mais cela se fera de façon progressive. Au début le dieu ne trouve dans son nouveau porteur qu'un médium balbutiant et incohérent, et l'entraînement doit se poursuivre longtemps avant qu'il ne devienne un porteur convenable. Quand il vient d'entrer dans un homme, le dieu commence par rendre hommage au dieu suprême Masa Gadu, proclamant qu'il n'agit qu'en son nom et par sa volonté. Puis il salue l'assistance en langue kumanti, disant diverses choses peu intelligibles qui ont trait au pays et à la famille du dieu, enfin il se met à parler en langue courante et répond aux questions qui lui sont posées.
Afin d'éprouver la passivité et la transparence du porteur, le maître de cérémonie injurie le dieu. Le kumanti se fâche alors, casse des bouteilles, les piétine, avale du verre pilé, marche dans les braises, saisit des pièces de métal rougies au feu, et se frappe à coup de sabre, sans dommage pour le corps du porteur. Sans caractère secret, ces danses ont toujours constitué pour les gens du village un spectacle de choix et une source de fous rires devant les actions étranges que les dieux pouvaient inspirer aux possédés.
Les funérailles.
On a vu l'importance des esprits des ancêtres, il en va de même de l'esprit d'un défunt, futur ancêtre. Interrogé lors des funérailles, il révèlera non seulement les causes du décès, mais désignera, au besoin le successeur d'un hèdèman décédé. Il pourra également faire apparaître les causes profondes de dysfonctionnements sociaux. L'interrogatoire de l'esprit yorka du défunt, est l'un des rites majeurs qui peut être suivi de diverses punitions symboliques contre les membres du lignage.
Par ailleurs, étant donné l'importance limitée du mariage et l'absence de rites d'initiation, la mort est un évènement d'une gravité extrême, et les rites funéraires sont de loin les plus importants de la vie coutumière boni. Dès leur enfance, les Boni y sont préparés, les uns devenant faiseurs de cercueils, les autres fossoyeurs ou laveurs de corps avec des pouvoirs étendus sur le village et le fleuve à l'occasion de chaque funérailles.
Huit jours après la mort a lieu la cérémonie broko dé (break a day, "casser un jour") qui clôt les funérailles proprement dites et marque le début du deuil. A la tombée du jour on raconte les contes traditionnels mato qui sont suivis jusqu'à l'aube par les danses chantées susa, songé et awasa.
La période de deuil, qui fait l'objet de nombreux interdits pour le conjoint et le lignage du défunt, s'achève au bout de dix-huit à vingt quatre mois par une succession de cérémonies, puu baaka (pull black, "retirer le noir"), qui ont pour but de consommer progressivement mais définitivement la séparation entre l'esprit du défunt et ses proches. A cette occasion, peuvent se dérouler des rites de possession kumanti, ampuku ou vodun, mais surtout il s'agit là d'une nouvelle occasion d'organiser une nuit de contes et de danses susa, songé et awasa. Puu baaka, de même que broko dè, paraissent en fin de compte être l'affirmation par le groupe du triomphe de la vie sur la mort.
Danses de funérailles : elles sont soumises aux injonction rythmiques du tambour principal.
-susa, jeu dansé dans lequel les hommes entrent en compétition 2 par 2, essayant d'exécuter le bon pas sur le bon coup de tambour, tout en cherchant à tromper l'adversaire, quand un danseur parvient à "tuer" son rival, celui-ci abandonne la piste, et est remplacé par un autre.
-songé s'inspire de l'agankoi, poisson dont on dit que la danse essaie de reproduire les mouvements des nageoires
-awasa (origine ashanti), est une cour d'amour, où chants et improvisations rythmiques alternent avec les intermèdes dansés.
La musique
Tambour à membrane consiste en un fût tronconique d'acajou gravé et reposant sur un pied, recouvert d'une peau de cervidé tendue par un lien circulaire maintenu par huit chevilles de wacapou plantées dans l'épaisseur du fût. L'accord se fait en enfonçant plus ou moins les chevilles.
-Tambour gan don, qui dirige l'ensemble et émet les différentes formules tambourinées apinti
-Deux tambours plus petits, pikin don.
Planche ou morceau de canot retourné, kwakwa, joué par 3 tambourinaires
Choeur de femmes
Sur une base polyrythmique stable ou évolutive exécutée sur le kwakwa, les tambours à membranes tissent un jeu de variations complexes et créent ainsi un dialogue avec les danseurs et les danseuses qui contribuent également au rythme en faisant vibrer leurs sonnailles de chevilles kaway (empruntés aux populations amérindiennes) formées de grelots en fruits de thevetia fixés sur des liens de coton.
Pluriarc agwado qui accompagne les chants en solo, composé d'une gourde traversée de trois arcs musicaux, le musicien s'en sert comme d'un instrument à percussion en faisant alterner le jeu des cordes et les frappes sur le résonateur..
PROGRAMME
Musiques de possession
-Apinti, appel du dieu Kumanti en langage tambouriné
-Danses du Kumanti
Chants en solo accompagnés au pluriarc agwado
Musiques de funérailles
-Apinti, appel tambouriné des esprits des ancêtres yorka
-danse susa
-danse songé
-danse awasa
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1990-06-09
9-10 juin 1990
Dix musiciens exorcistes de la confrérie d'Asilah font danser les jinn au rythme de leurs grands tambours tbel et de leurs crotales en fer.
Les Gnawas d'Asilah représentent une des confréries les plus pure du Maroc. Pour tous ceux qui se sont rendus à Marrakech, place Djemaa el Fna c'est aussi l'occasion de découvrir l'authentique rituel des Gnawas. La confrérie d'Asilah perpétue la véritable tradition d'exorcisme comme en témoigne la présence au sein de la confrérie d'une femme médium Khedma (littéralement la servante) habilitée à jouer le rôle de médium pendant la séance d'exorcisme.
Le culte des jinn : êtres surnaturels.
Les Gnawa constituent une confrérie extrêmement célèbre et vivante au Maroc bien que marginale par rapport aux confréries soufies et à l'Islam. Musulmans, les Gnawas fondent leur spécificité sur le culte d'êtres surnaturels : les jinn, dont la pratique remontant à l'époque préislamique, les apparente plus aux cultures africaines qu'arabes. Ce culte correspond à une croyance populaire qui existe au Maroc, comme dans tous les pays musulmans.
Les Gnawas sont une communauté d'anciens esclaves noirs et de leurs descendants.
La particularité du rituel est que, tout en étant lié à l'Islam, il laisse place à ses origines africaines. La relation avec les jinn est identique aux cultes des ancêtres d'Afrique noire : faire monter l'âme des ancêtres dans un individu et lui demander une explication, un remède à un fléau ou à une maladie. Les Gnawas ont une fonction sociologique, ils interviennent en cas de désordre social.
Les jinn peuvent être divisés en diverses classes et associés à des saints.
Il y a les jinn totalement maléfiques, des jinn associés aux maladies et, une classe supérieure, les 'afaret, jinn à sept têtes aux pouvoirs extraordinaires (les jinn des récits des Mille et une nuits sont généralement des 'afaret).
Le jinn est généralement décrit comme un éclat de lumière, ou encore une tête dépourvue de corps et de membres, mais il a ceci de commun avec les hommes qu'il est sexué et se nourrit d'aliments, à l'exception du sel et de l'eau. On lui attribue en outre la capacité de se transformer et d'apparaître sous des formes diverses tant humaines qu'animales, et l'on cite nombre de cas d'unions d'hommes avec des jinn femelles.
Outre leur fonction, les jinn sont associés aux principales religions de la région: il existe donc des jinn musulmans, juifs, chrétiens ou "païens".
On leur associe également des couleurs: aux plus redoutables, les Ulad bella Hmar, friands de sang, la couleur rouge, aux jinn juifs et chrétiens, le noir, aux jinn musulmans, le blanc, le jaune et le vert.
Du fait de l'intimité privilégiée qu'ils entretiennent avec les jinn, et de la crainte que l'utilisation du mot lui-même inspire, les Gnawas leur ont donné des noms divers dahsh pour les enfants, siadna (nos seigneurs), rijal al-khafiya (les hommes du caché), al-mluk (les propriétaires), mawalin al-'ard (les maîtres de la terre), les Gnawas se nommant eux-mêmes memluk al-'ard (les esclaves de la terre).
Le jinn ou jnun attaque un individu ou un animal en le possédant, soit pour une courte durée, soit pour une période plus longue qui fait alors du possédé un danger pour lui-même et ses proches. Le possédé est appelé mejnun, ou memluk (esclave) ou encore meskun (habité). Les cibles favorites sont les Noirs, les femmes et les assassins ou encore les bouchers qui ont été ou sont régulièrement en contact avec le sang, substance de prédilection de la voracité des jinn. Associés au monde souterrain dont ils sont originaires, ils le sont également à certaines heures de la journée. Selon la tradition, ils sortent hanter l'espace intermédiaire qui sépare la terre du ciel l'après-midi, après la prière de 'asar.
Le déroulement du rituel.
Lorsqu'une personne est possédée, plusieurs remèdes sont d'abord tentés : applications de bitume et de sel dans les narines et sur la tête du malade, poignards ou pièces d'argent placés sous son oreiller et devant servir de transfert à la maladie, qui sont ensuite remises aux Gnawas, etc. Si ces remèdes demeurent sans effet, on fait appel à un shuwaf, guérisseur et devin qui définit l'étiologie de la maladie, établit son diagnostic et entame une thérapie qui se déroule soit chez lui soit chez le patient.
C'est également lui qui fait appel aux Gnawas pour qu'ils organisent une derdba, séance d'exorcisme composée de chants, de danses, d'invocations et de sacrifices.
Les Gnawas, hommes et femmes, arrivent à la maison où est soigné le malade, juste après le coucher du soleil, frappant sur de grands tambours (tbel) et faisant claquer leurs crotales en fer (shaqshaqa). Ils forment un cercle au centre de la cour et commencent à bouger lentement, de gauche à droite, jouant des crotales et chantant Sala ya nabina a mulay Muhammad (Prions, O notre Prophète, O notre seigneur Muhammad), tandis qu'au centre un homme tourne sur lui-même, et qu'à l'extérieur du cercle deux tambourinaires frappent leurs tbel.
Lorsque la derdba est finie, la famille du patient offre du lait et des dattes (nourritures célestes et premiers aliments offerts à Adam) en signe de bienvenue et de bénédiction au nom de Sidi Bilal, saint patron des Gnawas. Puis le chef de la confrérie, le moqaddem, demeuré jusque-là à l'écart entonne, en s'accompagnant au luth, des chants de louanges dédiés aux différents saints associés aux jinn; les Gnawas répètent ses paroles en s'accompagnant aux crotales.
La femme joue le rôle de medium.
A ce moment commencent les possessions des femmes. Dès qu'une femme est possédée, elle s'écroule, prise de convulsions. Deux hommes l'assistent qui lui font des fumigations de benjoin ; ils la relèvent, et le moqaddem sacrifie un bouc noir ou un poulet, dont la femme boit le sang à même la blessure. Ensuite, toujours en transes, elle commence à danser, puis peu à peu se met à parler, s'adressant au moqaddem, expliquant les causes de la maladie, appelant la bénédiction de Dieu, pendant que les hommes récitent plusieurs fois la fatiha, première sourate du Coran. Puis la femme prend le malade sur son dos et le transporte jusqu'à son lit, tandis que les autres femmes le touchent légèrement en souhaitant "bonne santé à notre ânon". Le mot ânon recouvre ici un sens analogue à celui de cheval dans les cultes de possession africains, celui de porteur du dieu ou de l'esprit.
Après la cérémonie, en tant qu'ancien possédé, le malade fait désormais partie ipso facto de la confrérie.
Chaque année, les Gnawa célèbrent une cérémonie analogue à la derdba en l'honneur des jinn, qui se déroule au milieu du mois de shaaban, et au cours de laquelle sont sacrifiés un veau, un bouc et des poulets.
LE MONDE EN RYTHME MAROC
ASSOCIATION AL-MOUHIT GNAWA
9 - 10 juin 1990
Les Gnawa occupent parmi les confréries religieuses du Maroc une place à part. Il n'en est pratiquement fait aucune mention dans les ouvrages consacrés aux confréries et aux cultes des saints, leur origine et leurs pratiques les plaçant dans une position relativement marginale par rapport à l'islam et aux confréries soufies.
Les Gnawa constituent une communauté d'anciens esclaves noirs et de leurs descendants, qui se reconnaissent pour maître Sidna Bilal, un Ethiopien chrétien qui, devenu l'esclave du Prophète, se convertit à l'islam, devint le premier muezzin et mourut en martyr. Historiquement, les Gnawa formèrent au XVIIIe siècle les principales forces armées du sultan Moulay Ismaïl.
Sur l'étymologie même du mot gnawa subsiste encore un doute.
On le fait dériver de Guinée, de Ghana, ou encore du mot berbère ignawen, 'ciel d'orage'. Les Gnawa eux-mêmes s'appellent 'les gens du tourbillon'.
Bien que musulmans, les Gnawa fondent leur spécificité sur le culte d'êtres surnaturels, les jinn, dont la pratique remontant à l'époque préislamique, les apparente plus aux cultures africaines qu'arabes.
Au Maroc, comme dans tous les pays musulmans, il existe une croyance populaire en une race d'être spirituels bien antérieure à l'homme: les jinn (au Maroc : jnun). Les jinn peuvent être divisés en diverses classes et associés à des saints. II y a les jinn totalement maléfiques ou shayatin (pl. de shaytan, Satan), encore appelés abalis (pl. de iblis), les jinn associés aux maladies ou laryah (de ryah, vent), et une classe supérieure, les 'afaret, jinn à sept têtes aux pouvoirs extraordinaires (les jinn des récits des Mille et une nuits sont généralement des 'afaret).
Le jinn est généralement décrit comme un éclat de lumière, ou encore une tête dépourvue de corps et de membres, mais il a ceci de commun avec les hommes qu'il est sexué et se nourrit d'aliments, à l'exception du sel et de l'eau. On lui attribue en outre la capacité de se transformer et d'apparaître sous des formes diverses tant humaines qu'animales, et l'on cite nombre de cas d'unions d'hommes avec des jinn femelles.
Outre leur fonction, les jinn sont associés aux principales religions de la région: il existe donc des jinn musulmans, juifs, chrétiens ou "païens".
On leur associe également des couleurs: aux plus redoutables, les Ulad bella Hmar, friands de sang, la couleur rouge, aux jinn juifs et chrétiens, le noir, aux jinn musulmans, le blanc, le jaune et le vert.
Du fait de l'intimité privilégiée qu'ils entretiennent avec les jinn, et de la crainte que l'utilisation du mot lui-même inspire, les Gnawas leur ont donné des noms divers dahsh pour les enfants, siadna (nos seigneurs), rijal al-khafiya (les hommes du caché), al-mluk (les propriétaires), mawalin al-'ard (les maîtres de la terre), les Gnawas se nommant eux-mêmes memluk al-'ard (les esclaves de la terre).
Le jinn ou jnun attaque un individu ou un animal en le possédant, soit pour une courte durée, soit pour une période plus longue qui fait alors du possédé un danger pour lui-même et ses proches. Le possédé est appelé mejnun, ou memluk (esclave) ou encore meskun (habité). Les cibles favorites sont les Noirs, les femmes et les assassins ou encore les bouchers qui ont été ou sont régulièrement en contact avec le sang, substance de prédilection de la voracité des jinn. Associés au monde souterrain dont ils sont originaires, ils le sont également à certaines heures de la journée. Selon la tradition, ils sortent hanter l'espace intermédiaire qui sépare la terre du ciel l'après-midi, après la prière de 'asar.
Si la connaissance des membres de ces confréries demeure imprécise, la structure de leurs rituels et le contenu de leurs à chants double sens révèlent une réactualisation constante de la mise en scène du drame cosmique: la récitation des prières (dhikr) apparaît comme une allusion à l'histoire sacrée du monde, tandis que la hadra, danse extatique, reconstitue dans le parcours de l'adepte toutes les phases de ce drame jusqu'à la création du monde et son acheminement vers la grande ouverture sur le monde caché khla. A cet égard, les Gnawa sont particulièrement intéressants puisqu'ils se considèrent eux-mêmes, et sont considérés par les autres comme les gens du khla, les voyageurs, les errants de la nuit.
Leur cosmogonie, assez différente de celle de l'islam coranique, repose sur l'existence à l'origine d'un 'uf de serpent, la dunya, entouré par la nuit, le vide, et qui lui préexistait, c'est le khla. Ce vide, plein de Dieu, contenait en puissance toute la création. L''uf fut cassé par un double tourbillon émanant du khla qui le féconda, et en le brisant dispersa les éléments du monde.
Le monde se composa alors de deux parties, terre et ciel, séparées par la dunya, lumière rouge, associée à Lalla Fatima Zahra, fille du Prophète, et à Lalla Myriam, mère de Jésus.
La dunya pénétra ensuite la terre, dans ses zones les plus souterraines, moment commémoré par le sacrifice d'une volaille, animal à deux pattes, puis elle remonta vers le ciel qu'elle transperça, provoquant entre autre la naissance du soleil, moment commémoré par le sacrifice d'un animal à quatre pattes. Ces deux moments préfigurent les sacrifices du mariage, de la circoncision et de la naissance.
Ceci fait, la dunya retomba sur le khla et fut partagée en quatre saisons par le soleil. Elle s'étendit donc sur le khla en suivant les quatre points cardinaux, mais n'en recouvrit que les deux tiers qui furent peuplés par les humains, le dernier tiers étant peuplé de jinn.
Le khla reste donc une partie ouverte, celle où l'on peut trouver la lumière, la connaissance, et on y accède par deux portes, celle de la nourriture et de la Vie, et celle des déchets et de la Mort.
Lorsque l'homme meurt son âme va dans le khla par le Sud où en cheminant elle subit une série de purifications avant de retourner s'incarner par l'Est dans le ventre de la mère.
A certaines époques de l'année, notamment à la mi-shaaban, période à laquelle les Gnawa organisent leur rituel annuel, et au coeur de 1'été, le monde fragmenté se réunifie et permet la circulation des âmes. En dehors de ces périodes, les Gnawa ont seul le pouvoir de réunifier l'univers lors de leur rituel, et de permettre la circulation des âmes en les faisant monter et s'incarner provisoirement dans les danseurs. La derdba commence par la joie et le mariage et s'achève par la mort. Mais lorsque le dernier des jinn gît sur le sol, le moqaddem lui chuchote à l'oreille le la ila lah qui le fait monter à l'Est, vers le pays de la Résurrection.